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17 juillet 2014

Sables bitumineux : une nouvelle réglementation menacée par les lobbies

L'Union Européenne veut mettre en place une réglementation pour lutter contre le changement climatique au travers de la réduction des émissions de gaz à effet de serre des carburants pour les transports.

Comprendre les enjeux

Cette directive reconnaît notamment le caractère plus polluant des sables bitumineux, mais sa mise en œuvre se heurte aux pressions exercées par le gouvernement canadien et l’industrie pétrolière. Aujourd’hui, l’Europe peut aussi faire un pas pour freiner l’exploitation des sables bitumineux et d’autres sources de carburants très polluants dans le monde.

Une nouvelle proposition de la Commission européenne…

Ainsi, en octobre 2011, la Commission européenne a publié une proposition relative à la mise en œuvre de la Directive sur la Qualité des Carburants, votée en 2008 sous présidence française de l’Union Européenne. Cette directive vise à réduire de 6% les émissions de gaz à effet de serre (GES) des carburants pour les transports. Les transports sont le seul secteur qui a vu ses émissions augmenter ces deux dernières décennies.

La proposition de la Commission inclut donc une intensité carbone (valeur d’émissions de gaz à effet de serre) spécifique pour chaque type de carburant, notamment ceux issus des sables bitumineux, du charbon liquéfié, etc. Cette valeur, fondée sur des études scientifiques approfondies, reconnaît ainsi que les carburants issus des sables bitumineux produisent 23% de plus d’émissions de GES que le pétrole conventionnel (107 grammes d’équivalent CO2 par megajoule d’énergie produite contre 87g pour le pétrole conventionnel).

Note de décryptage

Révision de la directive sur la Qualité des carburants : une nouvelle proposition considérablement affaiblie

Cette réglementation pourrait se révéler un frein important à leur importation en Europe et surtout constituer un précédent pour d’autres législations dans le reste du monde. A savoir que la Californie est aussi en train de mettre en place une réglementation similaire, au travers du Low Carbon Fuel Standard. Cela pourrait donc décourager les pétroliers de continuer à produire ces hydrocarbures non conventionnels au Canada, et surtout de commencer à les exploiter ailleurs, notamment dans des pays du Sud où les impacts sociaux et environnementaux seraient encore pires, comme à Madagascar ou au Congo.

… menacée par le lobby du Canada et des pétroliers

Il a fallu batailler pour que la Commission sorte finalement cette proposition, car le gouvernement canadien exerce une pression sans précédent contre cette directive (voir Canada’s dirty lobby diary et Keeping their head in the sands , rapports des Amis de la Terre Europe). En effet, actuellement c’est au Canada que se trouvent les principaux projets d’exploitation des sables bitumineux, et ce pays ne veut donc pas que leur intensité carbone plus élevée soit reconnue.

Aux pressions du Canada, s’ajoutent celles des principales compagnies pétrolières européennes, telles que BP, Shell, Total ou ENI, qui sont elles aussi allées dans les bureaux bruxellois et dans les ministères des États-membres pour tenter de freiner cette nouvelle réglementation, qui les obligeraient à renoncer à leurs projets les plus polluants. Par conséquent, la mise en œuvre de cette directive, révisée en 2008, a déjà pris un retard considérable à cause de ces lobbies.

Pourtant, sans ces mesures de mise en œuvre, les objectifs fixés dans cette loi ne pourront être atteints. En effet, cette dernière vise à lutter contre le changement climatique en diminuant les GES issus des carburants, il est donc logique d’éliminer l’utilisation de carburants les plus polluants, tels que les sables bitumineux, l’huile de schiste ou le charbon liquéfié (coal-to-liquid).

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Où en est-on aujourd’hui?

Les États-membres doivent maintenant ratifier la proposition de la Commission, au travers de leurs experts dans le cadre d’un processus de « comitologie » (1). La bataille est donc transposée au niveau de chaque État, avec le lobby canadien et des compagnies pétrolières (principalement Total en France) en toile de fond.

En France, sous la présidence de Nicolas Sarkozy, la décision devait être prise par le ministère de l’Environnement (Nathalie Kosciusko-Morizet, favorable) et le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie (Éric Besson, ministre chargé de l’industrie et l’énergie, défavorable). Au vu de leur désaccord, le premier ministre François Fillon a été appelé à arbitrer en décembre 2011, et a tranché en faveur d’Eric Besson (2).

Les experts des États membres se sont réunis le 23 février 2012 pour voter. Le vote a abouti à un blocage, aucune majorité qualifiée ne s’en étant dégagée. La France s’est abstenue à la dernière minute.

La discussion va être maintenant transférée au niveau du Conseil Environnement : les ministres de l’Environnement des États membres de l’Union Européenne seront donc appelés à voter sur la proposition de la Commission.

Ce vote, attendu initialement en 2012, a été maintes fois reporté. De plus, sous pression des lobbies et de différents États membres, la Commission a décidé d’entreprendre de nouvelles études d’impact, qui pourraient l’amener à apporter des modifications à sa proposition d’octobre 2011. Les résultats de ces études étaient attendus pour juin 2013 mais n’ont toujours pas été publiés par la Commission.
Les pressions des lobbies se sont intensifiées, notamment au travers des négociations commerciales avec les États-Unis (TAFTA) et le Canada (CETA). Selon des articles de presse parus en juin 2014, la nouvelle proposition de mise en œuvre qui doit être publiée par la Commission européenne est très affaiblie, préconisant une approche par moyenne, attribuant une seule et même valeur pour tous les types de pétroles bruts. Si l’article dit vrai,
la nouvelle proposition de mise en œuvre de la FQD ne contient donc plus l’élément clé qui aurait permis de décourager l’importation de sources de carburants hautement dangereuses pour le climat, comme les sables bitumineux.

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Nos demandes

  • Les Amis de la Terre et leurs partenaires demandent à la Commission européenne de maintenir les modalités de mise en œuvre qu’elle a proposées en octobre 2011.
  • Par ailleurs, Les Amis de la Terre demandent au gouvernement français d’être courageux et de dire “non” aux sables bitumineux et aux autres carburants polluants en soutenant la première proposition présentée par la Commission européenne.

Quelques documents complémentaires à découvrir

Notes
1

Lorsque les règlements de l’UE sont adoptés, de nombreux détails importants attendent encore des décisions prises lors d’un processus appelé « comitologie ». A cause de la technicité et de l’opacité de ce processus, des décisions ayant des conséquences très importantes peuvent être prises sans beaucoup de contrôle extérieur.

2

Une lettre, signée par plus de trente associations européennes et canadiennes, a été envoyée aux ministères concernés le 30 novembre 2011 : Lettre à Mme Kosciusko-Morizet, lettre à Mr Besson, lettre à Mr Fillon

Une nouvelle lettre a été envoyée le 16 février 2012 : lettre à Mme Kosciusko-Morizet, lettre à Mr Besson, lettre à Mr Fillon