TTIP/TAFTA ou comment passer la sécurité alimentaire à la moulinette !
Grâce à une fuite, plusieurs groupes écologistes ont pu avoir connaissance des propositions de la Commission européenne sur la sécurité alimentaire, lors des négociations de ce traité commercial.
Grâce à une fuite, plusieurs groupes écologistes ont pu avoir connaissance des propositions de la Commission européenne sur la sécurité alimentaire, lors des négociations de ce traité commercial. Adrian Bebb, chargé de la campagne Agriculture et Biodiversité des Amis de la Terre Europe explique en quoi ces documents montrent que l’accord EUA-UE sape les fondements mêmes de la politique de sécurité alimentaire européenne.
Les citoyens européens ont toutes les raisons de s’inquiéter des conséquences du projet d’accord de libre échange avec les Etats-Unis (TTIP ou TAFTA). Nous avons obtenu par une fuite, un document essentiel sur la sécurité alimentaire, qui montre l’étendue des renoncements que la Commission européenne est prête à concéder sur la protection des citoyens, malgré les affirmations répétées du commissaire européen au Commerce, Karel de Gucht, qui continue d’affirmer que ces « questions ne sont pas sur la table de négociation ».
Les citoyens européens en sont réduits à devoir compter sur des fuites pour découvrir ce qui se manigance dans leur dos, puisque les négociations sur cet accord de libre échange se déroulent en secret. Ce que révèlent ces documents, c’est qu’il s’agit d’une proposition de la Commission européenne et bien que le texte soit incomplet, il est suffisamment explicite pour confirmer nos craintes : cet accord a avant tout pour but de rendre la vie plus facile aux multinationales, quitte à sacrifier des mesures fondamentales de sécurité alimentaire qui protègent les citoyens européens.
Ce que le texte obtenu par l’Institute for Agriculture and Trade Policy démontre clairement, c’est que cet accord de libre échange est une compétition pour niveler vers le bas les mesures de protection des citoyens, de la santé et de l’environnement. Le texte révèle que l’Union européenne devrait accepter des niveaux de contamination pour les aliments contaminés, non pas fixés par les états membres, mais par un organisme international, le « Codex Alimentarius ». Cet organisme a systématiquement fixé des normes de sécurité très basses, en grande partie grâce au travail de lobbying des multinationales et du gouvernement états-unien.
L’Union européenne a souvent des normes plus strictes que celles du Codex, par exemple en ce qui concerne les niveaux autorisés pour les pesticides dans les aliments, qui sont bien plus bas que ceux qu’autorise le Codex. Bien que le document qui nous est parvenu laisse entendre que les pays importateurs peuvent faire opposition à ces normes, cela signifie que dans l’avenir, les citoyens européens consommeront quand même des aliments avec des niveaux de contamination plus élevés.
Un des produits qui soulève des inquiétudes particulières est la ractopamine, une molécule qui favorise la croissance, et qui est administrée aux Etats-Unis à 80 % des porcs et 30 % des bovins. Elle est actuellement interdite en Europe. L’Union européenne a une politique de tolérance zéro pour tout produit alimentaire contenant cette molécule, car elle n’est pas considérée comme suffisamment sure pour pénétrer dans la chaîne alimentaire. Pourtant, d’après les documents qui nous sont parvenus, on peut lire dans le chapitre concernant la sécurité alimentaire, que les Européens pourraient bien finir par devoir manger des saucisses à la ractopamine. En effet, les normes du Codex Alimentarius – quoique controversées – autorisent des niveaux faibles de ractopamine, même si l’Union européenne rejette cette décision. Le droit fondamental de l’Union européenne de définir ses propres règles de sécurité est gravement mis en question et ce n’est pas une bonne nouvelle pour les citoyens européens.
Bien que les systèmes d’évaluation des Etats-Unis et de l’Union européenne diffèrent fortement dans la manière d’évaluer la sécurité alimentaire, dans le traité commercial et le chapitre que nous avons obtenu, il n’est question que d’accepter les lois et les normes de sécurité des Etats-Unis, comme si c’était les nôtres. C’est ce que les négociateurs appelle « reconnaissance mutuelle ». Il est clair d’après la fuite, qu’on attend des citoyens européens qu’ils acceptent sans broncher le système de sécurité alimentaire des Etats-Unis, tant qu’il fournit « un niveau adapté de protection » – bien que tout le monde s’accorde à reconnaître que le système états-unien est beaucoup plus laxiste que son équivalent européen.
De plus, il devient clair à la lecture du texte, que quelque soient les objections qui puissent être soulevées quant aux normes de sécurité alimentaire des Etats-Unis, la mise en place et l’application de normes de sécurité alimentaires ne peuvent provoquer des « barrière commerciales injustifiées ». Cela veut dire que le commerce et les profits des entreprises passent avant les questions de sécurité alimentaire. L’évaluation des risques de l’Union européenne se basant sur le principe de précaution est clairement en ligne de mire. Est-ce qu’à l’avenir, on aura droit à plus de traitements désinfectants pour la viande industrielle, ce qui est actuellement largement interdit dans l’Union européenne ? Encore un exemple qui montre que les questions de sécurité alimentaire ne devraient pas faire l’objet de négociations commerciales.
Et comme si cela ne suffisait, il semble bien que les contrôles et inspections qui sont permis sur les importations, devraient être plus ou moins supprimés. Au lieu de tester et contrôler les cargaisons d’aliments dans les ports d’entrée pour cause de maladies ou de contamination, comme le fait actuellement l’Union européenne, l’accord commercial prévoit de les supprimer et de se contenter des déclarations des exportateurs états-uniens. On va droit à la catastrophe. Comme le gouvernement des Etats-Unis a clairement expliqué que c’est à l’industrie alimentaire états-unienne de procéder à ces tests et de garantir la sécurité alimentaire, cela signifie que ce sont les firmes elles-mêmes qui ont la charge de déterminer si leurs propres produits sont sûrs. Les gouvernements sont relégués au second plan.
C’est ce qu’on appelle lâcher le renard dans le poulailler. Il s’agit ni plus ni moins de privatiser le système de sécurité de l’Union européenne, en enlevant aux gouvernements élus le contrôle des importations pour le confier à des firmes privées. C’est le meilleur moyen de voir les scandales alimentaires se multiplier et de laisser entrer dans l’Union européenne des aliments de qualité inférieure. Attendez-vous donc à voir toujours plus de cas d’aliments contaminés par des OGM non autorisés se retrouver dans votre assiette.
Avec la fuite de ce document, nous ne pouvons que nous opposer encore plus fortement à cet accord commercial. Bien que nous n’ayons pas un tableau complet à cause de l’insupportable culture du secret qui entoure ces négociations, nous en savons déjà assez pour dire haut et fort que nous ne faisons pas confiance à ceux qui disent que les normes européennes « ne sont pas sur la table de négociation » et ne seront pas affaiblies. Il est temps que nos dirigeants politiques prennent au sérieux les intérêts de leurs concitoyens, de l’agriculture familiale et de l’environnement. Les normes relatives à la santé publique, en particulier celles concernant la sécurité alimentaire, ne devraient faire l’objet d’aucune négociation, ni dans cet accord, ni dans aucun autre. Il est grand temps de les retirer de ces négociations.
Pour Adrian Bebb, chargé de la campagne Agriculture et biodiversité des Amis de la Terre Europe : « Le commissaire chargé des négociations se moquait des inquiétudes des citoyens européens craignant qu’un accord commercial avec les Etats-Unis puisse saper les mesures de protection publiques. Cette fuite de documents montre clairement que les citoyens ont toute raison d’être inquiets. C’est derrière des portes closes que les négociateurs sont en train de démanteler le système de protection alimentaire de l’Union européenne dans le seul but de permettre aux multinationales d’engranger toujours plus de profits ».
Pour Christian Berdot des Amis de la Terre France : “Notre santé et notre environnement ne sont pas négociables. Alors que l’Union européenne devrait enfin renforcer ses lois pour nous protéger notamment contre les pesticides, les perturbateurs endocriniens, les OGM, des négociateurs travaillent dans le plus grand secret à détruire notre système de protection. Les citoyens doivent réagir et vite !”.