
1 an après l’adoption à l’Assemblée de la loi anti fast-fashion, il y a urgence !
Aujourd’hui, les organisations de la coalition Stop Fast-Fashion, dont les Amis de la Terre, se mobilisent devant le Sénat pour que la loi visant à encadrer la surproduction dans le secteur textile, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale il y a un an jour pour jour, soit enfin examinée au Sénat et définitivement adoptée.
Les dix tonnes de la honte
En ce 14 mars 2025, un an jour pour jour après l’adoption à l’unanimité de la loi « anti fast-fashion » à l’Assemblée nationale, le temps semble s’être arrêté pour le parcours de cette loi, dont l’examen en plénière du Sénat se fait toujours attendre. C’est pourquoi les associations et collectifs membres de la coalition Stop Fast-Fashion, dont les Amis de la Terre font partie, ont décidé de faire une piqûre de rappel au gouvernement et au Sénat.
Ce matin, à 8h, des camions ont déversé devant le Sénat, à Paris, dix tonnes de déchets textiles, symboles des ravages de la mode jetable. Les représentant·es des associations et collectifs porteurs de l’initiative ont déployé une grande banderole « STOP FAST-FASHION » devant la montagne de vêtements, pour interpeller François Bayrou et les sénateur·ices sur la nécessité de mettre urgemment l’examen de la loi à l’agenda du Sénat.
Loin de se restreindre à Paris, l’action s’est tenue également dans une quarantaine d’autres villes françaises, avec une demande clé : instaurer urgemment un cadre législatif permettant de pénaliser les enseignes de fast-fashion (Shein, Zara, H&M, Primark, mais aussi Kiabi, Action, Décathlon, etc) et ainsi encadrer les volumes de production dans le secteur textile.
Une loi cruciale pour l’environnement et le respect des droits humains
Aujourd’hui, l’industrie de la mode est responsable de près de 10 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre1, et 70 %2 des vêtements vendus en France sont fabriqués en Asie du Sud-Est où les ouvrières sont exploitées, en contrepartie de salaires indignes3.

Rana Plaza, 10 ans après
Avec 3,3 milliards d’articles commercialisés en France en 20224, jamais autant de vêtements et de chaussures n’ont été vendus sur le territoire, si bien que l’humanité a déjà produit suffisamment de vêtements pour vêtir la population entière jusqu’en 21005. Cette explosion des volumes de vêtements produits s’accompagne d’une baisse notable de leur qualité. À cause d’une utilisation croissante de fibres synthétiques (matières dérivées de plastique et donc de pétrole), l’industrie de la mode est coupable de 35% des rejets de microfibres plastiques dans les océans6, et la durée d’usage d’un vêtement a été divisée par deux en moyenne depuis le début des années 2000, c’est-à-dire depuis l’essor de la fast-fashion7.
La soif du jean
Pour confectionner un jean, il faut 10 000 litres d’eau rien que pour faire pousser le kilo de coton nécessaire à sa fabrication. 10 000 litres d’eau, c’est l’équivalent de ce que boit une personne humaine en 10 ans !
Cette situation est insoutenable, tant pour la nécessité vitale de cesser la dégradation effrénée de nos écosystèmes, que pour garantir le respect des droits des travailleuses du secteur textile à l’autre bout du monde. C’est pourquoi les associations membres de la coalition Stop Fast-Fashion demandent à ce que soit adoptée une loi ambitieuse et véritablement contraignante pour les acteurs de l’industrie de la mode jetable. La loi doit clairement définir la fast-fashion comme correspondant à toutes les marques (y compris les plateformes de commerce en ligne) proposant plus de 10 000 références par an. Cette définition de la fast-fashion dans la loi ne devra pas viser uniquement les acteurs de l’ultra-fast-fashion (tels que Shein et Temu) mais devra englober l’ensemble du secteur de la mode jetable, en couvrant aussi Zara, H&M, Primark, mais également les plateformes de commerce en ligne telles qu’Amazon.
Nous demandons également à ce que la loi « anti fast-fashion » ne soit pas vidée de sa substance par rapport à la version votée à l’Assemblée nationale il y a un an. Le maintien du système de malus financiers, indexés sur l’affichage environnemental textile, jouera un rôle clé en ce sens.
Intérêt général, vous dites ?
Alors que la rapidité originelle du processus législatif avait pris de court les marques de fast-fashion et son lobby, la dissolution de l’Assemblée nationale et l’immobilisme institutionnel qui s’en est suivi ont laissé du temps au lobby de la fast-fashion pour s’organiser et épaissir ses rangs. Emblématique de l’ultra fast-fashion, la marque chinoise Shein a progressivement professionnalisé ses apparitions dans les médias et son lobbying auprès des pouvoirs publics. Au-delà de son inscription au registre des « représentants d’intérêts » de la Haute Autorité pour la Transparence de la Vie Publique le 28 mars 2024 (deux semaines après le vote de la loi à l’Assemblée), Shein s’est également empressée de s’entourer de précieux soutiens, et pas n’importe lesquels8. Fabrice Layer, ancien collaborateur parlementaire au sein du parti Les Républicains, dirige depuis 2023 les relations gouvernementales pour l’enseigne chinoise. En décembre dernier, c’est Christophe Castaner, ancien ministre de l’intérieur sous Emmanuel Macron, qui fut nommé par Shein au sein de son comité RSE. Ces deux personnalités ne sont pas les seules recrues de Shein à pouvoir se targuer d’un épais carnet d’adresses, puisqu’au niveau européen, c’est Günther Oettinger, ancien commissaire européen, qui représente désormais la marque à Bruxelles.
Alors que les frontières entre la défense de l’intérêt général et celle des intérêts privés se brouillent, il est probable que le retard dans l’examen de la loi au Sénat ne soit pas qu’une simple coïncidence. Alors que la loi devait être inscrite à l’ordre du jour du Sénat du 26 mars lors de la dernière conférence des Présidents, le gouvernement est revenu sur cette décision au dernier moment et sans explication, au grand dam des sénateur·ices mobilisé·es sur le sujet.

Quand la mode surchauffe : Shein, ou la course destructrice vers toujours plus de vêtements
La fin de la mode jetable, une nécessité vitale pour la filière textile en France
L’avènement de la mode jetable ne s’est pas fait sans effets secondaires, et en l’occurrence, pas si secondaires que ça. En effet, depuis les années 90, le secteur de l’habillement et du textile français a perdu près de 300 000 emplois9, c’est-à-dire trois quarts des emplois du secteur. La concurrence déloyale pratiquée par les grandes enseignes de fast-fashion (H&M, Primark, Zara…) a déshabillé de nombreuses enseignes françaises, alors contraintes de fermer leurs boutiques10 et laisser leurs employé·es sur le carreau.
Ainsi, faire barrage à la mode jetable est, en plus d’être une affaire de préservation de l’environnement et de refus de perpétrer des violations de droits humains, aussi une nécessité pour l’économie française. Les acteur·ices de l’industrie française de l’habillement ont donc donné le ton à travers une forte mobilisation collective11, en appelant le Premier Ministre François Bayrou à cesser de bloquer l’examen de la loi au Sénat.
« Pour une concurrence juste et une mode éthique et durable, il est crucial que le gouvernement cesse de bloquer l’examen de la loi au Sénat. Tant pour l’environnement et les droits humains que pour la vitalité de notre tissu commerçant, il y a urgence ! La loi anti fast-fashion doit être mise à l’ordre du jour du Sénat à l’occasion de la Conférence des présidents, qui se réunira le 19 mars. »
The impact of textile production and waste on the environment, European Parliament, 15 novembre 2023
Mode éthique ou fast-fashion ?, Greenpeace
Shein paie ses employé·es en moyenne 0,04 € par vêtement produit, pour des journées de travail pouvant durer jusqu’à 18 heures, d’après Rob Hastings, « Shein: Fast-Fashion Workers Paid 3p per Garment for 18-Hour Days, Undercover Filming Reveals », Inews, 15 octobre 2022
Catherine Dauriac, Fashion, Fake or not ?, 2022
Microplastiques : le textile à l’origine de 35 % des rejets dans les océans, Fashion Network, 19 avril 2023
Ellen MacArthur Foundation, « A new textiles economy: Redesigning fashion’s future », 2017
Christophe Castaner, Nicole Guedj… Dans quel objectif Shein nomme-t-il des personnalités politiques françaises ?, France Info, 16 janvier 2025
Camaïeu, Kookaï, Naf Naf : des faillites françaises en série, Radio France, 27 mai 2024