Glyphosate et Union européenne : opacité et controverse !
L'Observatoire européen de l'industrie (CEO) critique l'opacité qui entoure cette évaluation de l'EFSA sur la dangerosité du glyphosate.
En mars 2015, le Centre international de recherche sur la cancer annonçait que le glyphosate (voir notre dossier sur le glyphosate) était “probablement cancérigène”. Peu de temps après l’Agence européenne de la sécurité alimentaire contredisait ce résultat. L’EFSA se basait sur le travail de l’Office fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) et ses méthodes de travail particulières. Aujourd’hui, l’Observatoire européen de l’industrie (CEO) critique l’opacité qui entoure cette évaluation de l’EFSA.
Lors de l’évaluation officielle du glyphosate menée par l’Union européenne, plus de 80 % des experts nationaux impliqués ont refusé que leur nom ne soit rendu public. Contrairement au Centre international de recherche sur le cancer (IARC), leur évaluation concluait qu’il était « improbable » que l’herbicide le plus utilisé dans le monde ne puisse causer des cancers. Il était pourtant impossible d’examiner les intérêts de 84 % des experts.
[MISE AU POINT, 18 Janvier 2016 : pour cause d’incohérences dans le formatage de la base de données de l’EFSA concernant les Déclaration d’intérêts, nous sommes passés à côté des Déclarations d’intérêts de certains experts et nous ne les avons pas évoquées dans l’article initial La phrase « Presque 95 % n’ont pas accepté de voir leurs intérêts publiés » a donc été remplacé par « En conséquence l’évaluation de leurs intérêts a été possible pour 84% des experts », toutes les Déclarations d’intérêts concernées ont été téléchargées à partir du site de l’EFSA et postées sur notre site pour pouvoir garder le lien. Veuillez nous excuser pour tout problème.]
Les agences nationales de sécurité des aliments sont nommées avec le nombre d’experts qui les représentaient. Pour l’instant, les seuls auteurs de cette évaluation de l’Union européenne sont des agences gouvernementales et pas des scientifiques individuels. La Commission européenne et les Etats membres doivent décider s’ils ré-autorise ou pas la commercialisation du glyphosate d’ici juin 2016.
Une controverse a éclaté entre d’un côté, le Centre international de la recherche sur le cancer et de l’autre l’Agence européenne de sécurité alimentaire et l’Office fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR), leur évaluation respective du glyphosate s’opposant fortement. Peu de temps après que l’EFSA et le BfR aient publié leur conclusion en novembre 2015, plusieurs membres du groupe de travail de l’Organisation internationale pour la recherche sur le cancer et des douzaines de scientifiques envoyèrent une lettre ouverte très critique à la Commission européenne pour déplorer la façon dont les deux organismes avaient réalisé leur tâche. Les deux organismes répondirent en janvier 2016 en insistant sur le fait que le travail de le Centre international de recherche sur le cancer n’était qu’un « premier filtrage » des informations, mais que leur travail était « une évaluation plus large des risques ». Le Commissaire européen pour la Santé publique, V. Andriukaitis répondit aussi, reconnaissant qu’« une divergence d’appréciation scientifique sur un produit aussi largement utilisé était effectivement troublante » et appelait les deux camps à travailler ensemble pour « résoudre ou au moins clarifier les questions scientifiques qui posent problème ». Il semblerait qu’une rencontre ait été fixée entre l’EFSA et le Centre international de recherche sur le cancer en février 2016, pour approfondir la discussion.
Pour un non expert des questions toxicologiques, il est très difficile de savoir qui a tort ou qui a raison, mais les différences dans la façon de procéder n’en restent pas moins très intéressantes. Notre analyse a montré que le Centre international de recherche sur le cancer n’a utilisé que des données d’accès public, que ses réunions étaient ouvertes à des observateurs (y compris de l’industrie) et que le panel ne comprenait que des scientifiques de haut niveau, où tout conflit d’intérêts était exclu. De l’autre côté, l’EFSA et l’Office fédéral allemand (BfR) se sont appuyés sur des études sponsorisées par l’industrie, leur ont donné plus de poids en expliquant qu’elles se différenciaient de celles de le Centre international de recherche sur le cancer, mais seuls ces deux organismes et les industriels ont pu les voir… Les travaux ont été menés par des responsables de leurs propres départements pesticides, ainsi que par plusieurs agences nationales mais la plus grande partie du travail s’est fait par téléconférences sans témoins extérieurs.
Est-ce que ces responsables étaient indépendants de l’industrie des pesticides et des pressions exercées par leurs propres gouvernements ? La politique d’indépendance de l’EFSA est loin d’être parfaite mais interdit au moins les conflits d’intérêts visibles pour son personnel pour la durée de leur affectation et l’Agence est supposée être indépendante à la fois des Etats membres que de la Commission européenne – on pourrait discuter longtemps de son indépendance par rapport à la Commission. Juger de l’indépendance des experts nationaux impliqués dans ce travail est encore plus difficile.
Une demande d’accès aux documents de l’EFSA faite par le CEO donna les résultats suivants : parmi les 73 experts nationaux qui ont participé à l’évaluation entre pairs du glyphosate, seuls 14 ont accepté que leur nom soit rendu public, en tant que représentant de leur pays dans ce processus. L’EFSA a au moins détaillé le nom des organisations nationales dont ces experts étaient membres. Voir le tableau fourni par l’EFSA et le nôtre avec les liens vers les Déclarations d’intérêt. Parmi les 14 experts qui ont accepté que leur nom soit publié, 13 ont rempli une déclaration d’intérêt et une n’est pas publiée. Cela représente seulement 16 % des experts impliqués dans cette évaluation [MISE AU POINT 18 Janvier 2016]
Ce qui est le plus frappant dans cette demande d’accès aux documents, c’est certainement le fait que pas un seul des experts du pays rapporteur, l’Allemagne, n’est nommé. Ceci est d’autant plus problématique que l’Office fédéral allemand pour l’évaluation des risques (BfR) a pour politique d’accepter dans ses panels, des salariés de l’industrie (dans le panel actuel sur les pesticides, par exemple, on trouve des salariés des géants de la chimie Bayer et BASF). L’Office fédéral allemand a refusé tout commentaire portant sur l’identité des cinq responsables qui ont participé à l’évaluation entre pairs (une source anonyme a envoyé cinq noms au CEO, tous des responsables du BfR), affirmant que « les évaluations de l’Office fédéral sont en général faites par les employés de l’Office » et que « les experts extérieurs des comités de l’Office n’ont qu’un rôle de conseil […] et n’ont pris part à aucune stade de la réévaluation de la substance active, le glyphosate ».
Mais alors pourquoi tant de secret ? Aucune raison n’a été donnée. En ce qui concerne d’autres pays, l’EFSA avance que comme ces personnes ne sont pas membres de l’EFSA, l’Agence ne peut exiger qu’elles remplissent une fiche de Déclaration d’intérêt. L’EFSA n’a pas voulu dévoiler le nom de ses propres membres impliqués, en tant qu’auteur institutionnel et prétextant du besoin de protéger ses employés de toute influence inacceptable. Le dernier argument peut être accepté durant le processus (moins après), mais ce manque de transparence est précisément ce qui permet à toute influence inacceptable de passer inaperçue…
La Commission européenne et les Etats membres (dont les représentants au Comité permanent compteront vraisemblablement certains de nos experts inconnus) doivent décider de redonner ou pas l’autorisation de commercialisation du glyphosate dans l’Union européenne d’ici juin 2016.