De Dunkerque à Grenelle
Contribution du groupe local des Amis de la Terre Dunkerque au « Grenelle de l’environnement ».
Lorsque la secrétaire d’État chargée de l’écologie, Me Kosciusko-Morizet, à peine nommée, s’est rendue à Dunkerque le 21 juin dernier, à l’occasion de l’assemblée générale de la fédération Atmo, elle ne s’est pas trompée. Dunkerque est un lieu emblématique de la crise environnementale qui sévit partout sur la planète et constitue une parfaite illustration des dérives de nos sociétés industrialisées. Nous espérons que le « Grenelle de l’environnement » répondra aux préoccupations des populations eu égard à la dégradation de notre environnement.
Pollutions atmosphériques :
Le littoral dunkerquois était réputé pour son air sain, maritime et iodé, à tel point que l’on y construisait au début du XXème siècle des sanatorium pour les malades atteints d’affections respiratoires. Aujourd’hui, l’air que nous respirons nuit à notre santé ! Quelques exemples illustratifs : les retombées de poussières sédimentables sont particulièrement élevées sur le littoral dunkerquois avec des niveaux atteignant parfois plus de 1500 mg/m²/jour (dépassement de 50% du seuil autorisé) ; taux de nickel particulièrement élevé sur le dunkerquois* (moyenne 6 fois plus élevée qu’ailleurs dans la région NPDC avec une concentration de 25,14 ng/m3 d’air en moyenne annuelle pour 2006, dépassant ainsi la valeur cible de 20 ng/m3) ; les particules en suspension (PM10) inquiètent aussi avec des chiffres à 26µg/m3 de moyenne annuelle, ces moyennes cachent des mesures à 52µ/m3 sur Mardyck (village en proximité industrielle). À Dunkerque, la pollution est massive du fait de la trop grande concentration d’installations industrielles fortement émettrices de produits polluants et qui se rajoutent à ceux émis par le secteur des transports.
[*Données Atmo-Nord-Pas-de-Calais]
Dans notre arrière-pays, la Flandre verdoyante, la pollution aux pesticides pose problème, comme ailleurs en France, et il faut rappeler qu’il n’existe toujours pas de valeurs réglementaires concernant les teneurs de ce polluant dans l’air ambiant.
Risque industriel :
Dunkerque est un pôle industriel de premier ordre avec sa quinzaine de sites SEVESO seuil haut située en proximité d’une agglomération de plus de 200 000 habitants. Comment faire en sorte de permettre à ceux qui veulent quitter leur habitation trop proche des sites à risque (exemple du village de Mardyck souvent repris par les médias) quand cette habitation est tellement dépréciée (voire invendable), et que l’on est finalement assigné à résidence au pied de véritables bombes en puissance ? On attend toujours les décrets d’application de la loi sur le risque industriel – votée après la catastrophe d’AZF – qui permettraient le délaissement de l’habitation avec les contreparties financières nécessaires (indemnités financées sur les fonds de l’État, des collectivités, des industriels).
Emissions de CO2 et autres GES :
L’un des enjeux majeurs du XXIème siècle est la lutte contre l’effet de serre, c’est un problème planétaire, cependant à Dunkerque on se sent très concernés puisque 8 % des émissions industrielles nationales sont le fait d’une seule de nos entreprises : un sidérurgiste bien connu à l’échelle internationale. Cet industriel souhaite d’ailleurs voir ses quotas d’émission être revu à la hausse, prétextant que la demande d’acier est forte et qu’il faudra encore et toujours produire plus. Si l’on veut vraiment diviser nos émissions de GES d’un facteur 4 d’ici 2050, il faudra bien sortir de la logique du « produire plus » !
Nucléaire :
Selon nous, le nucléaire ne peut être la solution dans la lutte contre les changements climatique car le problème est planétaire et le nucléaire civil ne sera jamais un moyen de produire de l’énergie à l’échelle de la planète. Vu la demande d’énergie, il faudrait construire beaucoup trop de réacteurs à travers le monde et les réserves d’uranium ne sont pas inépuisables ! La solution du retraitement (combustible MOX) n’est pas non plus une bonne solution car utilisant du plutonium (risque de prolifération du nucléaire militaire, problème des déchets à durée de vie très longue). À Dunkerque-Gravelines, nous ne voulons pas d’un nouveau réacteur EPR en plus des 6 réacteurs moxés existant déjà sur le site. Privilégions plutôt les énergies renouvelables, les unités de production de petite taille déconcentrées et mieux diffusées sur le territoire, les économies d’énergie et l’efficacité énergétique.
Terminal méthanier et nouveaux projets :
Un projet de terminal méthanier est actuellement à l’étude – la CNDP organise un débat public en ce moment même – au port de Dunkerque. Outre le fait que, comme l’a déjà dénoncé FNE, nous sommes là dans une logique de surproduction énergétique et d’appauvrissement de la ressource en gaz naturel (nous puisons déjà dans le patrimoine des générations futures), ce terminal méthanier serait implanté à quelques encablures de la centrale nucléaire (aucune installation de ce type n’est installée dans la zone des 5 km d’une centrale nucléaire ailleurs sur la planète !). On parle même de récupérer les eaux échauffées par le CNPE pour le refroidissement des installations en vue de réchauffer le méthane liquide transporté à – 160° par les méthaniers : une vraie usine à gaz !
Des choix de développement non durable :
Les choix de développements économiques de notre littoral sont orientés uniquement dans l’industrie lourde, la pétrochimie ou le traitement des déchets. Or ces activités à risques, quoique présentées comme durables, connaissent un avenir chaotique : l’exemple de l’usine Dupont-de-Nemours implantée dans les années 1990 à Loon-Plage près de Dunkerque est particulièrement instructif puisque cette usine à risque a fermé au bout de 5 ans, fut remplacée par une unité du groupe Teris spécialisée dans le traitement des déchets industriels spéciaux qui aujourd’hui ferme ses portes pour répondre à la politique du groupe. Ces emplois industriels ne sont pas toujours durables, ils impliquent aussi beaucoup de précarité du fait de la sous-traitance et du recours croissant au travail intérimaire. Notre bassin d’emploi connaît des taux de chômage bien supérieurs à la moyenne nationale.
Transport :
Comme tous les acteurs de la défense de l’environnement, nous réclamons que la part du transport routier diminue au profit du transport ferroviaire ou fluvial, voire par le développement des autoroutes de la mer. Dunkerque est concerné de part sa situation géographique dans l’Europe septentrionale. Notre autoroute A16 voit défiler un trafic incessant de camions en provenance des ports de Dunkerque ou de Calais, ainsi que du tunnel sous la Manche, et ce train de camion se dirige ensuite vers les pays du nord (Bénélux, Allemagne…). Pourquoi ne pas immédiatement lancer la réalisation d’un axe de ferroutage international partant du tunnel sous la manche et allant vers l’Europe du Nord, ceci dans le cadre d’une politique européenne des transports ? D’autant plus que – de part ce trafic poids lourd, y compris de matières dangereuses – notre autoroute A16 sert également de rocade urbaine et que, de ce fait, elle est très accidentogène.
Santé :
Le revers de la médaille de notre littoral sur-industrialisé est que l’état de santé des populations est déplorable. Le scandale de l’amiante a déjà provoqué une catastrophe sanitaire durement ressentie sur le littoral dunkerquois, les cas de maladies dues à l’amiante sont nombreux ici et les marches des veuves des victimes de l’amiante l’ont rappelé. Les chiffres de l’Observatoire Régional de la Santé l’ont démontré : les taux de cancers (mortalité/morbidité) sont élevés chez nous avec des taux records pour certains types de cancers tels ceux des voies aéro-digestives supérieures, les allergies, asthmes et bronchiolites sont légions. Nous avons chez nous une espérance de vie largement inférieure à la moyenne nationale et le déficit de médecins n’arrange pas notre situation sanitaire. Les seules pratiques alimentaires ou comportementales ne peuvent expliquer cet état de fait, les maladies liées à notre environnement se multiplient chez les adultes mais aussi chez les enfants.
Voici le tableau que l’on peut présenter depuis Dunkerque. Ce « Grenelle de l’environnement » doit interroger en profondeur nos modèles de développement et nos choix de société. Cela implique certes un changement dans nos comportements avec une nécessaire sobriété à s’imposer mais le législateur, le gouvernement, les pouvoirs publics en général ont également à insuffler des pratiques nouvelles pour être en adéquation avec les enjeux majeurs de la crise environnementale actuelle que ce soit en termes de santé publique, de changement climatique ou de prise de risques sociétaux.