Pollution de l’air : l’inaction des pouvoirs publics appelle l’action ..en justice
L’été est tout juste à nos portes et la pollution de l’air a déjà atteint, à Paris, des niveaux intolérables. Ces chiffres soulignent en creux l’inaction persistante des autorités en charge de la police de l’air. Soucieux, quels que soient les moyens employés, d’obtenir un air sain pour tous les Amis de la Terre Paris ont choisi d’emprunter la voie de la justice.
En 2004, la Charte de l’environnement consacrait le droit de chacun de vivre dans un environnement équilibré et respectueux de la santé. Force est de constater que 7 ans plus tard, ce droit conserve toute raison de figurer dans la panoplie juridique des défenseurs de l’environnement. L’air est un bien commun et le code de l’environnement reconnaît à chacun le droit de respirer un air qui ne nuise pas à sa santé (art. L110-1 et L220-1).
Impacts sanitaires avérés
Or respirer un air pollué nuit gravement à la santé de l’Homme et des écosystèmes. Depuis plus d’un siècle, ce constat est régulièrement mis en lumière à la faveur d’une catastrophe ou d’une publication scientifique. En décembre 1952, le « smog » londonien causait la mort prématurée de plusieurs milliers de personnes. En 1994, l’observatoire régional de la santé d’Ile-de-France publiait une étude épidémiologique montrant clairement le lien entre pollution de l’air et augmentation à court terme de la mortalité et de la morbidité. En 2004, ce sont les effets à long terme que s’est attachée à étudier l’AFSSE (Agence française de sécurité sanitaire environnementale). Ce faisant, elle pointait déjà le coût humain et économique de la pollution atmosphérique. En chiffrant les décès « évitables », l’AFSSE rendait alors d’autant plus inacceptable la carence des pouvoirs publics à garantir le respect des valeurs limites fixées par la réglementation. Mais l’air ambiant n’intéresse pas seulement les Français. L’OMS s’est saisie de ce problème en publiant dès 1987 ses lignes directrices relatives à la qualité de l’air, mises à jour pour la dernière fois en 2005. L’organisation internationale évalue ainsi à plus de 2 millions les décès prématurés dus à la pollution de l’air (intérieur et extérieur) dans le monde. L’étude AFSSE envisage trois scénarii à l’horizon 2020 : l’un volontariste, l’autre progressif le troisième correspondant au « minimum exigible ». Pour l’heure, les faits reflètent une réalité bien en deçà du scénario le plus pessimiste. Une étude publiée en mars dernier, réalisée conjointement dans 25 villes d’Europe, a révélé une perte d’espérance de vie pouvant atteindre 2 ans pour les habitants de certaines grandes agglomérations européennes ! À Paris, cette perte, principalement due aux effets pulmonaires et cardio-vasculaires des particules en suspension (PM2,5 et PM10), est estimée à 6 mois. Si la santé humaine inquiète naturellement l’opinion publique, elle n’est pas la seule victime d’un air pollué : les effets sur les écosystèmes (pluies acides, déficit de croissance des plantes et eutrophisation) ne sont pas moins préoccupants. Pourtant, cet aspect est loin d’être appréhendé avec tout l’intérêt qu’il mérite : le PSQA (plan de surveillance de la qualité de l’air), ne traite que succinctement cette problématique. Face à l’ampleur et la fiabilité de ces résultats, il apparaît capital de réduire les émissions de polluants à la source, notamment par la l’adoption et la mise en œuvre effective de mesures volontaristes de prévention.
Une cadre juridique existant
Depuis 1996, la lutte contre la pollution atmosphérique européenne a donné lieu à l’adoption de nombreuses directives sectorielles (par groupes de polluants). La directive n°2008/50/CE du 21 mai 2008 concernant la qualité de l’air ambiant et un air pur pour l’Europe est venue unifier ces règles disséminées. Ces directives fixent pour chacun des polluant des « valeurs limites » contraignantes pour les Etats membres (sous peine de sanction). Elles définissent également des « seuils d’information du public » et des « seuils d’alerte » (en cas de pics de pollution). Ces notions tangibles et mesurables sont autant de leviers juridiques à la disposition des associations de défense de l’environnement. En outre elles prévoient des seuils correspondant à des objectifs de qualité volontaires répondant parfois, aux préconisations de l’OMS. Ces différentes directives ont été transposées dans le droit français, notamment par la loi sur l’air et l’utilisation rationnelle de l’énergie du 30 décembre 1996 (LAURE). Depuis l’origine, ce cadre juridique commun fait de la surveillance des niveaux d’émissions la première étape d’une gestion efficace de l’air. Et c’est à l’Etat, avec le concours des collectivités territoriales, qu’en revient la responsabilité. Concrètement, il s’appuie pour cette mission, sur les associations agréées de surveillance de la qualité de l’air (AASQA), généralement compétentes à l’échelle de la région. AIRPARIF est l’association agréée pour exercer une surveillance de la qualité de l’air ambiant en Ile-de-France : son réseau de mesure compte 65 stations de fond et de trafic. Les données ainsi recueillies ne seraient pas bien utiles sans la planification d’actions pour réduire sur la pollution constatée. Pour cela, plusieurs instruments juridiques ont été créés. Les plans régionaux pour la qualité de l’air (remplacés depuis le Grenelle par les schémas régionaux du climat, de l’air et de l’énergie) dressent des orientations générales. Les plans de protection de l’atmosphère (PPA) ont pour objet de ramener, dans le périmètre qu’ils couvrent, la concentration en polluants dans l’atmosphère à un niveau conforme aux normes de qualité de l’air. Ces PPA sont obligatoires dans les agglomérations de plus de 250000 habitants et sont élaborés et mis en œuvre par les préfets de département. Puisqu’ils contiennent des mesures réglementaires contraignantes, leur application effective est mieux contrôlable.
Insuffisant et inappliqué
Dès 2005, les amis de la Terre réclamaient des actions préventives fortes pour réduire les pollutions de fond et de trafic. Associé tardivement à l’élaboration du premier PPA d’Ile-de-France (IDF) – approuvé par l’arrêté inter préfectoral du 4 juillet 2006 – le groupe local de Paris dénonçait « un plan décevant masquant ses insuffisances ». Ce système réglementaire qui prévoit surtout des mesures curatives en cas de pics de pollution ne s’attaque pas réellement aux causes du problème et n’encourage pas la population à modifier son comportement sur le long terme. Pour toutes ces raisons, l’association avait porté ce plan de protection de l’atmosphère devant le Conseil d’Etat en 2008. La Cour Suprême avait alors reconnu que le PPA « emporte une série d’effets contraignants quant à la surveillance et la maîtrise de la qualité de l’air dans le périmètre qu’il couvre, qui s’imposent aux autorités administratives compétentes pour mettre en oeuvre des mesures préventives et curatives en vue d’atteindre les objectifs qu’il fixe dans le respect d’un calendrier donné ». Elle avait néanmoins refusé d’exercer un contrôle étendu de l’insuffisance des mesures du PPA et avait laissé le bénéfice du doute à ses auteurs. Cinq ans plus tard les contrôles de la qualité de l’air réalisés par Airparif confirment l’échec de la stratégie proposée par l’Etat. Depuis, les Amis de la Terre Paris se sont intéressés à la mise en œuvre de certaines mesures prévue au PPA, mais là encore, l’opacité demeure malgré les demandes répétées d’informations.
Chiffres à l’appui
Pour les particules PM10, principale cause des problèmes de santé chroniques, les données publiées par AIRPARIF sont sans appel : les valeurs limites sont systématiquement dépassées depuis 2003. Pire : pour le NO2 (dioxyde d’azote), c’est le PPA qui admet depuis son élaboration son impuissance à en garantir le respect des valeurs limites en 2010 ! On aurait préféré que ses auteurs se soient trompés mais de fait, cette substance se trouve toujours actuellement en quantités inacceptables dans l’atmosphère parisienne. Selon Claude Bascompte, président Amis de la Terre Paris « les dépassements de valeurs limites avérés qui confirment nos alertes et l’absence de dialogue persistante révèlent une situation intolérable de la part des institutions publiques ».
Action en justice
La capitale enregistre les plus nombreux et les plus forts dépassements des normes de qualité de l’air en France. Le groupe local de Paris se trouve de fait aux premières loges du combat pour un air sain. C’est ainsi qu’en juin 2010, il a adressé deux courriers au préfet de la région Ile-de-France, également préfet de Paris, et au préfet de police de Paris pour exiger qu’ils fassent exécuter, de façon effective, les mesures du PPA comme le prévoit la législation française. N’ayant reçu aucune réponse, l’association a produit ces décisions implicites de refus devant le tribunal administratif de Paris en octobre 2010. Ce recours s’appuie sur le non respect des valeurs limites contraignantes pour le dioxyde d’azote et les particules en suspension (PM10) en 2009 et 2010. Ainsi, les Amis de la Terre entendent voir reconnue en justice la carence des autorités chargées de faire respecter ces valeurs. En plus de cette reconnaissance, ils demandent au juge d’enjoindre aux deux préfets de mettre en œuvre « toutes les mesures nécessaires » pour y parvenir. Enfin, ils réclament symboliquement à l’Etat 1 euro en réparation du préjudice moral subi par l’association, car la démarche d’intérêt général qu’elle porte a été niée et discréditée. L´action des Amis de la Terre est confortée par la décision de la Commission européenne d´adresser, en octobre 2010, un avis motivé à la France pour non respect des valeurs limites communautaires. Cet acte initie la procédure européenne de « l’action en manquement » contre un Etat membre. Si l’Etat visé ne répond pas de manière satisfaisante aux prescriptions de la Commission, la seconde étape de cette procédure – l’assignation devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (CJUE) – est inéluctable. Or cette étape vient d’être franchie le 19 mai dernier…
Action trop tardive
Récemment, les pouvoirs publics semblent s’être intéressés plus consciencieusement à la qualité de l’air en annonçant l’adoption prochaine de Zones d’actions prioritaires pour l’air (ZAPA). Celles-ci devraient permettre de restreindre la circulation des véhicules les plus polluants dans les zones les plus touchées par les dépassements des seuils. L’agglomération parisienne apparaît une ZAPA évidente mais tardive. Tout en saluant les avancées que cela représenterait, les Amis de la Terre mettent en garde contre de « fausses bonnes mesures » et demandent qu’elles soient socialement justes. Ils rappellent que les seules mesures pertinentes doivent réduire globalement l’intensité des émissions de la circulation. La réduction des pollutions atmosphériques implique de changer nos modes de déplacement en agglomération, mais aussi de fixer des valeurs limites et des seuils d’alerte ambitieux, pour lutter contre les pollutions chroniques et les pics de pollution, ce qui est loin d’être le cas actuellement.
Peu importe le flacon…
Si la perspective de remporter une victoire sur le terrain juridique est salutaire, les Amis de la Terre Paris ne perdent pas de vue l’objectif ultime : un air sain pour tous. Aussi, peu importe le cadre réglementaire retenu (ZAPA, PPA,PDU, etc…) pourvu que les mesures mises en œuvre permettent de respecter, pour tous les polluants de l’air, non seulement les valeurs limites contraignantes mais aussi les objectifs de qualité plus stricts mais non contraignants. Gageons que la France risque une condamnation par la CJUE. Une telle sentence (plusieurs millions d’euros) pèserait lourd sur un budget qui aurait pu dès l’origine servir une politique volontariste de prévention des émissions polluantes. Ceci met en évidence un attentisme coupable.
Déni de démocratie
Aujourd’hui, Les Amis de la Terre Paris s’inquiètent de la révision du PPA d’Ile-de-France (IDF), celle-ci devant intervenir avant fin 2011. Pour l’heure, il s’agit encore de doubles discours. Si les Assises de l’air qui se sont tenues les 6 et 7 avril 2011 témoignent d’une approche plutôt démocratique, la procédure d’élaboration du nouveau PPA IDF laisse penser le contraire. Arguant de délais très courts, les pouvoirs publics ont choisi d’écarter les associations de protection de l’environnement de la concertation ,pour n’y associer que « les professionnels ». Sic !