Suite juridique du rejet à la centrale de Golfech
Rejet interdit à la centrale de Golfech mais le 10 janvier 2019, le tribunal de Montauban a tranché : il n’y a pas eu de faute d’EDF. Décryptage
Le réacteur n°1 de Golfech redémarre après une révision et échange d’une partie du combustible. Généralement, après une révision, le niveau de contamination de l’eau primaire se retrouve plus bas qu’il ne l’était avant l’arrêt. A Golfech, ce niveau sera multiplié par 225. Cette contamination indique qu’une ou plusieurs gaines des barres de combustible chargées sont fissurées ou ont été dégradées lors de leur chargement. Au lieu d’arrêter le réacteur pour rechercher l’origine du problème, EDF augmentera seulement le filtrage des radioéléments pour rester en limite d’autorisation de contamination du circuit primaire. D’où accroissement de la contamination de l’environnement, des travailleurs et des riverains. EDF ne se penchera sur la résolution du problème des gaines fuyardes que… 13 mois plus tard.
19 octobre 2016, rejet intempestif
Suite à un usage excessif du circuit de filtrage, un technicien contournera une procédure pour remédier à une défaillance technique de ce système. Déjà passé à une autre tâche, il sera urgemment rappelé à l’ordre par une alarme provenant d’un excès de radioactivité à la cheminée de rejet à l’atmosphère. Pendant 2 minutes, selon EDF, près de 78 milliards de becquerels ont été relâchés dans la nature ! Il faudra attendre cinq jours pour que le public soit informé de ce problème.
28 novembre 2016, laxisme de l’Autorité de Sûreté Nucléaire
L’ASN considérant le problème comme bénin, le 28 novembre 2016, ce sont les associations Réseau “Sortir du nucléaire“, France Nature Environnement, FNE Midi-Pyrénées, FNE 82, Association Française des Malades de la Thyroïde, Amis de la Terre Midi-Pyrénées, SEPANLOG, Stop Golfech-VSDNG et Sortir du nucléaire 82 qui déposeront plainte auprès du Parquet de Montauban. Cette plainte ayant été classée sans suite, le 17 octobre 2017, les associations feront une citation directe et, le 13 décembre 2018, le tribunal de police de Montauban a examiné l’affaire : le 10 janvier 2019, EDF a été relaxée de toutes les infractions. Les associations ayant fait appel, l’audience se tiendra le 3 juin 2019.
Une faute lourde de l’Autorité de Sûreté Nucléaire
Sans être un foudre de guerre, l’ASN a toujours eu un langage technique clair. Mais dans l’affaire du rejet attaqué, elle mélange les torchons et les serviettes car elle exprime un rejet interdit en pourcentage d’un niveau de rejet autorisé (selon les prescriptions réglementaires, les gaz radioactifs doivent être stockés au moins 30 jours avant leurs rejet dans l’atmosphère). Dans ce cas les gaz radioactifs ont été largués instantanément dans l’air sans avoir subis de décroissance radioactive dans des réservoirs de stockage.
Une décision de justice surprenante
Me Martinet, avocat d’EDF, utilisera les données erronées de l’ASN à l’avantage de son client. La présidente du tribunal, elle-même, se servira de cet argument en citant l’Autorité : « l’ASN a estimé que l’impact du rejet était négligeable. 0,3% de la limite réglementaire. » Suite à cela, le Parquet prononcera la relaxe d’EDF alors que les infractions de l’électricien sont totalement documentées par l’ASN.
EDF n’a pas pris toutes les dispositions pour :
- éviter les rejets non prévus
- assurer l’étanchéité des assemblages combustible
- éviter les fuites des canalisations
EDF a par contre :
- contourné les voies normales de collecte et de rejet
- rejeté des effluents radioactifs de manière non contrôlée ni maîtrisée
- mené une opération de dégazage qui a conduit à atteindre le seuil d’alarme à la cheminée
- enfin, EDF n’a pas traité les émissions de façon à ce qu’elles soient le plus faiblement radioactives possible
En 2010 à Golfech, Me Piquemal défendait EDF : il déclarait que l’eau de la nappe phréatique sous la centrale de Golfech, suite à un rejet intempestif d’eau primaire radioactive non traitée de la centrale, pouvait être bue et n’était pas plus radioactive que l’eau de Perrier… Juste 57 millions de fois plus !
Un nouvel avocat pour EDF
Aujourd’hui, Me Martinet semble plus sérieux et pourtant son travail consiste essentiellement à brouiller le sens des mots :
- « un écart ne constitue pas une infraction » : qu’il soit classé ou pas, un écart constitue un événement déclaré par EDF à l’autorité car il peut avoir des conséquences néfastes graves sur l’installation, l’Homme ou l’environnement
- « une lettre de suite [d’un inspecteur assermenté de l’ASN : note du Rédacteur] ne constitue pas un procès-verbal » : une lettre de suite est justement établie par l’autorité pour signifier à EDF ce qu’elle a l’obligation d’exécuter pour se mettre en conformité avec la loi. C’est d’ailleurs sur cette base qu’EDF a été condamnée en appel à Toulouse en décembre 2012 suite à son rejet dans la nappe phréatique sous la centrale de Golfech. Un point sur lequel Me Martinet insistera lourdement concerne le rejet qu’il qualifiera, plusieurs fois durant sa plaidoirie, d’évanescent… nous allons mesurer, dans les lignes qui suivent, comme ce qualificatif est tout à fait abusif !
Sur la question majeure de l’impact du rejet radioactif sur l’Homme et l’environnement
- pourquoi le mensonge de l’ASN, qui exprime le rejet du 19 octobre en pourcentage de l’autorisation annuelle, est-il si grave ? Dès l’origine de l’usage des centrales nucléaires, pour faire face aux besoins techniques d’EDF qui ne pouvait stocker indéfiniment ses déchets radioactifs liquides et gazeux en particulier suite à leurs quantités trop importantes, le législateur a établi une loi qui permettait à l’électricien de rejeter tranquillement dans l’environnement des radioéléments toxiques à vie longue. Probablement en forme de contrepartie, EDF a dû concéder un stockage :
- dans plusieurs très grands réservoirs pour les liquides avant leurs rejets dans les fleuves et la mer
- et dans d’autres très grands réservoirs pour des gaz contaminés qui seront largués dans l’atmosphère. Pour le législateur, ce stockage doit durer un minium de trente jours. La décroissance naturelle de la radioactivité des éléments à vie dite courte permet de réduire significativement l’impact des rejets sur l’homme et l’environnement. Ces radioéléments à vie courte sont en effet beaucoup plus toxiques pour le vivant. Pierre Galle, Professeur de biophysique à la faculté de Marseille, écrivait dans un livre très bien documenté : « De façon générale […] , les gaz radioactifs provenant de la fission et contenus dans le circuit primaire en sont extraits et stockés pendant plus de 50 jours, soit 10 fois la période du xénon 133, de façon à faire décroître l’activité de cet élément d’un facteur 1 000 avant rejet à l’atmosphère. »
Et si le chaînon manquant entre les excès de leucémies infantiles constatés et la proximité des centrales nucléaires était lié aux fréquents rejets massifs de ces radioéléments à vie courte jamais pris en compte par les autorités ?
Le lien entre leucémies infantiles et proximité des centrales nucléaires est depuis longtemps établi par plusieurs études européennes : le monologue de la planète atomique sur ce sujet consiste à affirmer – souvent avec à l’appui des calculs et des simulations savantes mais fantaisistes – que les doses sont trop faibles pour être en cause dans l’excès de leucémies infantiles constaté autour des centrales atomiques… et bien sûr qu’il faut encore de très longues études pour établir ce lien. – au moins sans doute jusqu’à la fin de l’ère nucléaire pour les décideurs. Le scientifique de l’AIPRI, Paolo Scampa note que pratiquement 63 % de la radioactivité du cœur est composée de radioéléments qui ont une demi-vie de moins d’une minute et qui, en conséquence, sont très radiotoxiques. Il s’interroge pour savoir si « nous n’aurions pas ici le chaînon manquant qui ne concernerait donc pas forcément les faibles doses mais les doses « oubliées » de ces 63 % de radionucléides dont une partie seulement est filtrée et en décroissance radioactive. »
Le devoir d’agir qui s’impose n’est pas mis en œuvre
Le constat accablant étant là, nous écrivions dans les colonnes de Stop Golfech il y a 7 ans : « Quelle que soit l’origine des leucémies et cancers infantiles liée à la proximité des centrales nucléaires rejetant massivement de la chimie, de la radioactivité, de la chaleur, des bactéries, des amibes pathogènes… – le constat étant établi, une réaction s’impose car nous ne sommes déjà plus dans le principe de précaution mais dans celui de certitude : il est donc obligatoire d’interdire une présence infantile ou de femmes enceintes dans ces périmètres. »
Au vu de l’intérêt de l’affaire, le 3 juin la magistrate de la cour d’appel l’a renvoyée au 7 octobre 14h devant une formation collégiale de la cour de Toulouse. Nous saurons alors si la procédure d’appel lancée par les associations a été entendue.