Une décennie de combat juridique contre la pollution de l’air à Paris
L’importante pollution atmosphérique parisienne est bien connue. Mais les recours juridiques que mènent les Amis de la Terre Paris, le sont beaucoup moins. Retour sur 10 ans de lutte, de jugements pour le moins surprenants et de petites avancées.
Face aux enjeux sanitaires et écologiques de la pollution atmosphérique, l’Union européenne a élaboré en 1996 une législation sur la qualité de l’air. Celle-ci doit permettre d’assurer aux européens un « air pur », comme l’indique son nom, ou tout au moins un air nettement moins pollué qu’il ne l’est aujourd’hui. Pour cela, elle impose aux Etats membres de mesurer la concentration d’une série de polluants dans l’air, fixe des valeurs limite à respecter et propose des outils pour abaisser les concentrations dans les zones en infraction.
Parmi ces outils, certains sont optionnels, comme les « zones basses émissions » dans lesquelles le trafic des véhicules les plus polluants est limité. L’Europe impose néanmoins une mesure essentielle : pour toutes les zones en infraction, les pouvoirs publics doivent établir des plans de protection de l’atmosphère (PPA) prévoyant une série de mesures visant à réduire la pollution pour respecter les valeurs limite.
La plupart des Français soumis à la pollution
De Lille à Marseille, en passant par Paris, Lyon ou la Vallée de l’Arve, 36 zones sont en infraction… Mais, dans les zones urbaines les plus polluées, la mise en place de zones basses émissions, la mesure jugée la plus efficace par les experts, a toujours été repoussée. Et pourtant, la plupart de nos voisins l’ont instaurée dans quelques 200 villes européennes. Bien sûr, il est indispensable, de prendre des mesures pour aider les ménages les plus modestes impactés par les limitations de circulation.
Des solutions existent, il s’agit bien d’un choix politique. Mais au pays du diesel roi, c’est tout le contraire qui a été fait avec notamment le bonus-malus, dont on mesure aujourd’hui l’impact catastrophique en termes de diésélisation du parc automobile. Triste exception française.
Un plan largement insuffisant…
En 2005, Les Amis de la Terre Paris décident de s’impliquer dans l’application de la règlementation. A cette époque, la préfecture élabore le PPA francilien, l’Ile-de- France étant très largement en infraction avec la législation européenne concernant les particules fines et le dioxyde d’azote. Le plan publié l’année suivante manque clairement d’ambition. Alors que le nonrespect de la règlementation concerne quasi exclusivement les contrôles à proximité des axes de circulation, aucune mesure sérieuse en faveur la diminution du trafic n’est prise. Nous avions pourtant identifié et dénoncé ce problème.
Face au manque de concertation et d’écoute de nos demandes et propositions, un recours en annulation est introduit devant le Conseil d’Etat. Ce dernier rejette la requête et explique qu’il n’est pas convaincu de l’inefficacité des 16 mesures du plan (!). Le plan n’est donc pas « entaché d’erreur manifeste d’appréciation ». Sans surprise, l’avenir a malheureusement donné raison aux Amis de la Terre puisque la pollution persiste.
En revanche, l’arrêt fait jurisprudence : contrairement à ce que soutenait l’administration, le PPA est composé de mesures contraignantes « qui s’imposent aux autorités administratives (…) en vue d’atteindre les objectifs qu’il fixe dans le respect d’un calendrier donné ». L’adoption du PPA et son application sont donc bel et bien obligatoires.
…et même pas appliqué !
En 2010, nous demandons donc aux préfets de faire appliquer le plan francilien et de prendre les mesures prévues. Privilégiant manifestement d’autres priorités, il n’a pas cru devoir ne serait-ce que répondre à ces demandes…
Face à cette « carence » de l’Etat, nous finissons par saisir le tribunal administratif en août 2010 afin qu’il impose au préfet d’appliquer le PPA pour revenir sous les valeurs limite. Tout comme la Commission européenne qui a fini par assigner la France devant la Cour de justice de l’Union pour non-respect des valeurs limite pour les particules fines, nous demandons le respect de ces valeurs …
Cette fois, le tribunal reconnait bien que l’exécutif européen partage notre constat, mais il juge que notre association « n’est pas fondée » à demander le respect des valeurs à Paris. En outre, il a considéré que nous n’avions pas démontré que les mesures du plan étaient insuffisamment mises en oeuvre.
Circulez, il n’y a pas péril grave
Lors de l’appel du jugement, lancé en janvier 2011, la préfecture a argumenté qu’elle n’était pas tenue à une obligation de résultat concernant les valeurs limite mais à une seule obligation de moyen. La Cour administrative d’appel a suivi cet argument et rejeté notre requête en avril 2013.
De plus, elle a rejeté les nombreuses études sanitaires que nous avions versées au dossier, en considérant qu’elles n’étaient pas suffisamment précises concernant la région Ile-de-France pour établir que les autorités n’ont pas rempli leurs obligations légales en s’abstenant de prendre les mesures indispensables pour faire cesser un péril grave.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel s’inscrit ainsi en totale contradiction avec la condamnation par la Cour de Justice de l’Union européenne de trois pays européens (la Suède, l’Italie et le Portugal) pour non-respect des valeurs limite d’émission des particules fines en 2011 et 2012, ainsi que celle de la France et d’autres pays membres de l’Union européenne à venir. Nous avons donc décidé de nous pourvoir en cassation en saisissant le Conseil d’Etat. Pour l’instant, le pourvoi a passé le « filtre », alors que 80 % sont rejetés avant d’être instruits.
Enfin des preuves suffisantes ?
Parallèlement, le PPA d’Ile-de-France est révisé et la nouvelle mouture est publiée en mars 2013. Là encore, sans grande surprise, notre participation active à son élaboration et nos remarques lors de la consultation publique n’a pas été suivie d’effet. Nous lançons donc un nouveau recours. Mais cette fois-ci, nous entendons bien apporter les preuves satisfaisantes de l’inefficacité du plan. Airparif, l’association agréée de surveillance de la pollution de l’air en Ile-de-France, a passé au crible le PPA. La conclusion est sans appel : en 2020 plusieurs centaines de milliers de Franciliens seront encore concernés par des dépassements de valeurs limite en particules et en dioxyde d’azote. Pire, ce résultat calamiteux est obtenu en partant d’« hypothèses volontaristes ». En effet, il repose sur l’hypothèse que Paris et quelques communes créent une zone basses émissions, comme elle prétendent alors vouloir le faire. Option aujourd’hui abandonnée.
Cette étude a un dernier mérite. Elle montre la voie à suivre pour atteindre une meilleure qualité de l’air en soulignant l’effort qui doit être consacré à la réduction du trafic et un abandon progressif du diesel. Si l’on veut vraiment respirer un « air pur » en ville, une telle révision de la politique des déplacements accompagnée d’une refonte de l’organisation urbaine nous paraît urgente.
> LOUIS COFFLARD ET LES AMIS DE LA TERRE • PARIS
Face aux enjeux sanitaires et écologiques
de la pollution atmosphérique,
l’Union européenne a élaboré en 1996
une législation sur la qualité de l’air.
Celle-ci doit permettre d’assurer aux
européens un « air pur », comme l’indique
son nom, ou tout au moins un air
nettement moins pollué qu’il ne l’est
aujourd’hui. Pour cela, elle impose aux
Etats membres de mesurer la concentration
d’une série de polluants dans l’air, fixe
des valeurs limite à respecter et propose
des outils pour abaisser les concentrations
dans les zones en infraction.
Parmi ces outils, certains sont optionnels,
comme les « zones basses émissions »
dans lesquelles le trafic des véhicules les
plus polluants est limité. L’Europe impose
néanmoins une mesure essentielle : pour
toutes les zones en infraction, les pouvoirs
publics doivent établir des plans de protection
de l’atmosphère (PPA) prévoyant
une série de mesures visant à réduire la
pollution pour respecter les valeurs
limite.
La plupart des Français soumis à
la pollution
De Lille à Marseille, en passant par Paris,
Lyon ou la Vallée de l’Arve, 36 zones sont
en infraction… Mais, dans les zones
urbaines les plus polluées, la mise en
place de zones basses émissions, la
mesure jugée la plus efficace par les
experts, a toujours été repoussée. Et
pourtant, la plupart de nos voisins l’ont
instaurée dans quelques 200 villes européennes.
Bien sûr, il est indispensable, de
prendre des mesures pour aider les
ménages les plus modestes impactés par
les limitations de circulation.
Des solutions existent, il s’agit bien d’un
choix politique. Mais au pays du diesel
roi, c’est tout le contraire qui a été fait
avec notamment le bonus-malus, dont
on mesure aujourd’hui l’impact catastrophique
en termes de diésélisation du
parc automobile. Triste exception française.
Un plan largement insuffisant…
En 2005, Les Amis de la Terre Paris décident
de s’impliquer dans l’application de la
règlementation. A cette époque, la préfecture
élabore le PPA francilien, l’Ile-de-
France étant très largement en infraction
avec la législation européenne concernant
les particules fines et le dioxyde d’azote.
Le plan publié l’année suivante manque
clairement d’ambition. Alors que le nonrespect
de la règlementation concerne
quasi exclusivement les contrôles à
proximité des axes de circulation, aucune
mesure sérieuse en faveur la diminution
du trafic n’est prise. Nous avions pourtant
identifié et dénoncé ce problème.
Face au manque de concertation et
d’écoute de nos demandes et propositions,
un recours en annulation est introduit
devant le Conseil d’Etat. Ce dernier
rejette la requête et explique qu’il n’est
pas convaincu de l’inefficacité des 16
mesures du plan (!). Le plan n’est donc
pas « entaché d’erreur manifeste d’appréciation
». Sans surprise, l’avenir a malheureusement
donné raison aux Amis de la
Terre puisque la pollution persiste.
En revanche, l’arrêt fait jurisprudence :
contrairement à ce que soutenait l’administration,
le PPA est composé de
mesures contraignantes « qui s’imposent
aux autorités administratives (…) en vue
d’atteindre les objectifs qu’il fixe dans le
respect d’un calendrier donné ».
L’adoption du PPA et son application sont
donc bel et bien obligatoires.
…et même pas appliqué !
En 2010, nous demandons donc aux préfets
de faire appliquer le plan francilien et de
prendre les mesures prévues. Privilégiant
manifestement d’autres priorités, il n’a
pas cru devoir ne serait-ce que répondre
à ces demandes…
Face à cette « carence » de l’Etat, nous
finissons par saisir le tribunal administratif
en août 2010 afin qu’il impose au
préfet d’appliquer le PPA pour revenir
sous les valeurs limite. Tout comme la
Commission européenne qui a fini par
assigner la France devant la Cour de justice
de l’Union pour non-respect des
valeurs limite pour les particules fines,
nous demandons le respect de ces
valeurs …
Cette fois, le tribunal reconnait bien que
l’exécutif européen partage notre
constat, mais il juge que notre association
« n’est pas fondée » à demander le respect
des valeurs à Paris. En outre, il a considéré
que nous n’avions pas démontré que les
mesures du plan étaient insuffisamment
mises en oeuvre.
Circulez, il n’y a pas péril grave
Lors de l’appel du jugement, lancé en janvier
2011, la préfecture a argumenté qu’elle
n’était pas tenue à une obligation de
résultat concernant les valeurs limite
mais à une seule obligation de moyen. La
Cour administrative d’appel a suivi cet
argument et rejeté notre requête en avril
2013.
De plus, elle a rejeté les nombreuses
études sanitaires que nous avions versées
au dossier, en considérant qu’elles
n’étaient pas suffisamment précises
concernant la région Ile-de-France pour
établir que les autorités n’ont pas rempli
leurs obligations légales en s’abstenant
de prendre les mesures indispensables
pour faire cesser un péril grave.
L’arrêt de la Cour administrative d’appel
s’inscrit ainsi en totale contradiction
avec la condamnation par la Cour de
Justice de l’Union européenne de trois
pays européens (la Suède, l’Italie et le
Portugal) pour non-respect des valeurs
limite d’émission des particules fines en
2011 et 2012, ainsi que celle de la France
et d’autres pays membres de l’Union
européenne à venir. Nous avons donc
décidé de nous pourvoir en cassation en
saisissant le Conseil d’Etat. Pour l’instant,
le pourvoi a passé le « filtre », alors que
80 % sont rejetés avant d’être instruits.
Enfin des preuves suffisantes ?
Parallèlement, le PPA d’Ile-de-France est
révisé et la nouvelle mouture est publiée en
mars 2013. Là encore, sans grande surprise,
notre participation active à son élaboration
et nos remarques lors de la consultation
publique n’a pas été suivie d’effet. Nous
lançons donc un nouveau recours.
Mais cette fois-ci, nous entendons bien
apporter les preuves satisfaisantes de
l’inefficacité du plan. Airparif, l’association
agréée de surveillance de la pollution de
l’air en Ile-de-France, a passé au crible le
PPA. La conclusion est sans appel : en
2020 plusieurs centaines de milliers de
Franciliens seront encore concernés par
des dépassements de valeurs limite en
particules et en dioxyde d’azote. Pire, ce
résultat calamiteux est obtenu en partant
d’« hypothèses volontaristes ». En effet, il
repose sur l’hypothèse que Paris et
quelques communes créent une zone
basses émissions, comme elle prétendent
alors vouloir le faire. Option
aujourd’hui abandonnée.
Cette étude a un dernier mérite. Elle
montre la voie à suivre pour atteindre
une meilleure qualité de l’air en soulignant
l’effort qui doit être consacré à la
réduction du trafic et un abandon progressif
du diesel. Si l’on veut vraiment
respirer un « air pur » en ville, une telle
révision de la politique des déplacements
accompagnée d’une refonte de
l’organisation urbaine nous paraît
urgente.
> LOUIS COFFLARD ET LES AMIS DE LA TERRE • PARIS