les populations locales sont impactées par les projets de Total
Multinationales
14 décembre 2020

Nouvel épisode dans l’affaire Total Ouganda

La cour d’appel de Versailles renvoie le cas devant le tribunal de commerce, confirmant la décision de première instance sur le tribunal compétent. Ce n’est pourtant pas une affaire commerciale mais la protection des droits humains et de l’environnement qui est en jeu.

Une décision qui va à l’encontre de l’esprit de la loi

En cette journée internationale des droits humains et à deux jours de l’anniversaire de l’Accord de Paris, les juges de la cour d’appel ont tranché 1: selon eux, c’est le tribunal de commerce qui serait compétent pour entendre l’affaire Total Ouganda. Ils ne se sont pas prononcés sur le fond de l’affaire, c’est-à-dire le respect ou non des obligations de vigilance par Total. Le renvoi de l’affaire au tribunal de commerce ralentit encore l’examen de cette première action en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance. 

Publication
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Décryptage

Total Ouganda – Première action en justice sur le devoir de vigilance des multinationales : où en est on ?

Selon nous, cette décision repose sur une interprétation erronée du droit, et va à l’encontre de l’esprit et de l’objectif de la loi sur le devoir de vigilance : protéger les droits humains et l’environnement.

Cette loi vise à rendre les multinationales responsables légalement, en les obligeant à prévenir les violations des droits humains et dommages environnementaux qui peuvent résulter de leurs activités, y compris celles de leurs filiales, sous-traitants et fournisseurs, en France comme à l’étranger. Réduire ces enjeux externes à une question purement commerciale, de gestion et fonctionnement interne de l’entreprise, comme l’a fait la cour d’appel de Versailles, revient à vider la loi de son sens. Le tribunal de commerce a été conçu comme une juridiction d’exception. Or, selon nous, la connaissance technique du monde des affaires, qui justifie habituellement la compétence de ce tribunal, n’a pas lieu d’être dans le cas présent, qui concerne principalement les droits à la terre et à l’alimentation de populations locales, et des risques d’atteintes irréversibles à l’environnement et au climat.

Les conséquences d’une telle décision

En octobre dernier, nous alertions sur l’urgence de la situation, sur le terrain. Selon les témoignages que nous avons pu recueillir, les projets pétroliers de Total privent les populations locales de leurs moyens de subsistance et de leurs terres en Ouganda et en Tanzanie. Selon notre nouvelle enquête, les violations des droits humains que nous avions dénoncées dès 2019 se poursuivent et se multiplient, et toucheraient désormais environ 100 000 personnes.

Au vu de cette urgence, nous avions demandé à la cour d’appel de Versailles de se prononcer aussi sur le fond de l’affaire, ce qu’elle a également refusé. Un an après le lancement de cette action, la justice n’a pas encore apporté de réponse à ces violations des droits humains et à ces risques d’atteintes graves à l’environnement. L’impunité de Total persiste.

L’enjeu de cette décision dépasse cette unique affaire puisqu’il s’agit du tout premier cas utilisant la loi sur le devoir de vigilance : ce qui est en train de se jouer au tribunal est donc l’interprétation de cette nouvelle loi, et par conséquent la garantie de sa mise en œuvre de façon plus ou moins restrictive et de ses effets concrets sur les comportements des multinationales. Cela dépasse aussi nos frontières car cette loi est une première mondiale, considérée comme un exemple à suivre au niveau international.

Malgré l’existence de la loi sur le devoir de vigilance, faire condamner une multinationale qui mène des projets destructeurs pour l’environnement, le climat et les populations locales reste encore aujourd’hui un parcours du combattant.