Climat-Énergie
16 mars 2011

« Aller vers plus de sobriété et d’efficacité énergétique »

Gouvernements et multinationales ne veulent pas lâcher la course aux énergies fossiles… Il n’y aurait donc pas d’autres solutions ? Bien sûr que si. La preuve avec Thierry Salomon, président de négaWatt, association qui propose une alternative basée sur la sobriété énergétique.

Qu’est-ce que négaWatt ?

Créé en 2001, négaWatt est un groupement d’experts et de professionnels de l’énergie. Ensemble, nous réfléchissons à la question de la consommation énergétique. Pour se faire, nous avons mis au point une méthodologie qui s’appuie sur trois fondamentaux : sobriété, efficacité et renouvelable. Il s’agit en fait de penser à des solutions pour modérer nos consommations, mettre en place une chaîne énergétique plus performante et délaisser les énergies fossiles au profit de celles que nous offre la nature (soleil, vent…). Il y a quelques années, nous avons voulu voir ce que ce que pouvait donner l’application de ces prescriptions sur le territoire français. C’est ainsi qu’est né un autre volet de notre action : la rédaction de scénarii tendanciels.

Alors que les gaz de schiste débarquent en France, quelles principales solutions préconisez-vous ? Nous sommes partis d’une analyse fondée sur les usages chaleur, mobilité et fourniture d’électricité et avons regardé ce qui pouvait être mis en place pour aller vers plus de sobriété et d’efficacité. En ce qui concerne l’usage calorifère, nous préconisons un grand programme de rénovation de tout le parc immobilier français. Au niveau de l’appareillage (réfrigérateur, ordinateur…), nous pensons qu’il faut multiplier la mesure. Si les individus pouvaient mesurer la consommation de leurs appareils, ils feraient sûrement plus attention, en les réglant au mieux ou en optant pour des machines plus économes. Il faut aussi se débarrasser des consommations superflues comme celles engendrées par ces écrans publicitaires électriques. Au niveau des transports, il est indispensable de poser un autre regard sur le véhicule : éliminer les voitures d’1,5 tonne, revenir à des automobiles plus adaptées à un usage urbain et remettre en cause le concept de propriété individuelle pour aller vers un usage collectif de la voiture.

Comment travaillez-vous pour convaincre les décideurs politiques et économiques ?

D’abord, nous essayons d’augmenter le nombre de nos adhérents. L’accroissement du nombre de relais au sein de la société civile favorise la circulation de notre message. Nous disposons aussi d’un organisme de formation : l’institut négaWatt. Nous proposons aux professionnels et aux décideurs, des formations sur divers sujets comme la conception et la rénovation de bâtiments à basse consommation. Enfin, nous nous mettons à la disposition des politiques qui souhaitent obtenir une information ou même organiser un débat au sein de leur parti. Nous sommes notamment intervenus lors des journées d’été d’Europe Ecologie – Les Verts.

Votre dernier scénario, datant de 2006, prévoit une fermeture progressive des centrales nucléaires jusqu’en 2035. Or un quart des réacteurs a dépassé la limite des 30 ans et leurs conditions d’exploitation ne cessent de se dégrader. Ne sous-estimez-vous pas gravement le risque radioactif ?

Pour nous, il existe deux scénarii de sortie du nucléaire : une sortie progressive sur 20/25 ans – c’est la solution qui figure dans notre scénario –, et une sortie de crise à mettre en place immédiatement en cas d’accident grave. Un scénario avec une échéance de sortie du nucléaire de deux à cinq ans n’est pas envisageable. Le nucléaire produit actuellement 80 % de l’électricité française. Pour continuer à fournir de l’électricité aux foyers et entreprises, il faudrait remplacer les centrales nucléaires par des centrales thermiques. Or ces installations émettent énormément de CO2. Une sortie progressive, avec la fermeture en priorité des centrales les plus anciennes permet de mettre en place l’alternative du renouvelable.

Les Amis de la Terre, plus inquiets de l’état réel du parc nucléaire français, sont plus exigeants et partisans d’une sortie du nucléaire en 5 à 10 ans, en recourant à des économies d’énergie drastiques et à la cogénération chaleur-électricité en milieu urbain, y compris en bas d’immeuble. Par ailleurs, si l’on se base sur les fourchettes hautes du GIEC*, il faut réduire les émissions domestiques de gaz à effet de serre (GES) des pays industrialisés d’au moins 40 % d’ici à 2020 et de 95 % d’ici à 2050. Tout cela suppose une modification rapide et radicale de nos modes de production et de consommation. Le scénario négaWatt n’est-il pas trop timide ?

Je suis d’accord. Nous sommes d’ailleurs en train de travailler sur un nouveau scénario qui sera plus radical. Cependant, je tiens à préciser qu’une baisse de 95 % des GES d’ici à 2050 me semble irréalisable. Je ne remets pas du tout cause les chiffres du GIEC mais il faut voir qu’à nos consommations actuelles il faut rajouter celles des six millions de Français qui naîtront d’ici à 2050. Ce que nous proposons, c’est un scénario de transition de manière à passer de l’intention à la mise en oeuvre.

> PROPOS RECUEILLIS PAR LUCILE PESCADÈRE

*Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.