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Climat-ÉnergieFinance
9 juin 2021

Bilan des AG : la finance française sourde aux appels de l’AIE et du gouvernement

Les Amis de la Terre France et Reclaim Finance ont interpellé les grands groupes financiers français à l'occasion de leurs assemblées générales. Les ONG en dressent le bilan.

La saison des assemblées générales se termine et le climat est loin d’être sauvé. Malgré un nouveau scénario exclusif de l’Agence internationale de l’énergie (AIE) appelant à la fin des investissements dans de nouveaux projets d’énergies fossiles, les acteurs financiers français restent dans le déni de cette réalité scientifique et continuent de soutenir aveuglément les bras armés de l’expansion des pétrole et gaz, comme Total. Reclaim Finance et les Amis de la Terre France ont interpellé et questionné les directions des grands groupes financiers à cette occasion : ils en dressent le bilan 1.

Publication
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Rapport

Les banques françaises au secours de l’industrie fossile

L’AIE dit non, la place financière française dit oui

Le 18 mai, l’AIE annonçait 2 ce que les industriels et le monde de la finance n’avaient pas envie d’entendre : “l’alignement sur une trajectoire de réchauffement de + 1,5 °C implique la fin des investissements dans l’exploration ou l’extraction d’énergies fossiles”. En clair, le développement du gaz comme du pétrole est dès ce jour incompatible avec toute ambition affichée sur le climat et engagements “net zéro en 2050”. N’en déplaise aux amateurs de gaz fossile, sa production doit elle aussi décliner dès maintenant.

Si les acteurs financiers reconnaissaient déjà qu’il faudra réduire la production d’énergies fossiles, aucun n’est prêt à accepter dès maintenant la fin de l’expansion du pétrole et du gaz. Quelques jours à peine avant la publication du scénario de l’AIE, Crédit Agricole nous répondait que “le déclin rapide des sources actuelles de pétrole et gaz nécessitera encore des investissements sur de nouvelles ressources dans les prochaines années” 3. AXA soulignait pour sa part que “nos économies dépendent encore largement du pétrole” 4.

Malheureusement, depuis sa publication, le nouveau scénario de l’AIE semble avoir du mal à se faire une place sur la table de chevet des acteurs financiers, pourtant habituellement amateurs et ambassadeurs des scénarios de l’Agence internationale. Aucun ne s’engage encore à ne plus soutenir les entreprises qui portent de nouveaux projets pétroliers et gaziers 5. Tous se contentent d’engagements lointains comme le net zéro 2050, ou d’objectifs de court terme qui n’impliquent pas de cesser de soutenir les développeurs du secteur pétro-gazier. BNP Paribas emboitait ainsi en mai le pas à Société Générale en annonçant réduire son exposition côté crédit au pétrole et au gaz de 10 % d’ici 2025, un engagement qui ne saura empêcher ces banques de financer de nouveaux investissements dans les énergies fossiles.

Pied de nez à Bruno Le Maire

Même pour les secteurs pétro-gaziers les plus risqués, la finance française fait le dos rond, et n’a pas encore renoncé à leur expansion. En octobre 2020, Bruno Le Maire appelait la place financière de Paris à sortir des secteurs pétrole et gaz dits “non-conventionnels”. Six mois plus tard, le Scan de la Finance Fossile révèle que plus de la moitié des institutions financières françaises n’ont toujours pas de politique 5 pour sortir ou réduire les soutiens aux sables bitumineux, aux forages en eaux très profondes et en Arctique, aux pétrole et gaz de schiste, et aux infrastructures qui y sont liés notamment les terminaux de gaz liquéfié. Et quand elles existent, ces politiques sont largement insuffisantes. Ce sont pourtant des industries hautement destructrices pour le climat : elles représentent une part énorme de la croissance de la production d’hydrocarbures prévue dans les prochaines années et décennies. Elles sont en outre associées à de lourdes violations des droits humains et menacent l’environnement et la biodiversité.

Et pourtant, moins d’une dizaine parmi eux, Crédit Agricole, Société Générale, Banque Postale AM, Ostrum AM et le réassureur SCOR des 56 acteurs ont prévu d’adopter ou actualiser leur politique d’ici la fin de l’année. Au lieu de nous répondre, AXA préfère se cacher derrière les alliances et coalitions “net zéro”, qui rassemblent certains des moins bons élèves sur le climat. Ce faisant, l’assureur-investisseur nie sa responsabilité individuelle, repousse les décisions urgentes à plus tard, et opte pour une ambition collective faible plutôt qu’un leadership fort. Tant pis pour le climat.

D’autres prennent des engagements trop minimalistes pour répondre à la commande de Bruno Le Maire. C’est notamment le cas pour les pétrole et gaz de schiste : si les grandes banques reconnaissent désormais les impacts dévastateurs du secteur, elles se contentent de premières mesurettes au lieu de s’engager sur une véritable sortie. Société Générale, par exemple, a annoncé à son assemblée générale qu’elle ne soutiendrait plus directement les nouveaux projets de terminaux d’exportation de GNL en Amérique du Nord 6. Elle pose cependant une exception de taille, qui balaie la crédibilité d’une telle mesure : elle se laisse la possibilité de continuer à soutenir les projets pour lesquels elle a déjà un mandat de conseil en cours. Alors que l’avenir du secteur est incertain, et allant à contresens de son propre engagement, elle refuse ainsi de  se désengager toujours pas des deux bombes climatiques que sont les terminaux de Rio Grande LNG et Driftwood LNG aux États-Unis. La banque s’engage également à exclure une partie des entreprises actives dans l’extraction des gaz de schiste, mais l’absence de précisions laisse entrevoir un soutien maintenu aux principaux développeurs du secteur. En bref, une politique timorée et incohérente qui tranche avec le mot d’ordre très clair lancé par Bruno Le Maire.

Soutien total à Total

La place financière française s’obstine et laisse faire les développeurs dans le pétrole et le gaz, conventionnels et non-conventionnels.

  • Interpellées sur les activités gazières très controversées de Total au Mozambique, les banques qui financent le projet restent dans un déni profond de la situation dramatique pour les populations, et des impacts environnementaux et climatiques irréversibles 7. En ce qui concerne le projet EACOP en Afrique de l’Est, Natixis n’est toujours pas prête à rejoindre les grandes banques françaises 8 BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole qui ont annoncé qu’elles ne le soutiendraient pas.
  • Interpellés sur les méga-projets que la major développe dans des zones très vulnérables de la région Arctique alors que celle-ci doit être sanctuarisée au plus vite, les banques et assureurs regardent ailleurs au motif que cela représente seulement une faible part des activités de la major.

Non seulement la place financière française laisse faire Total mais va même jusqu’à cautionner ses velléités d’expansion. BNP Paribas AM, AXA, Crédit Agricole / Amundi, en tant qu’actionnaires de Total, ont voté en soutien du plan climaticide de Total au lieu d’appeler la major à renoncer à ses plans de développement 9. Total annonce pourtant la couleur en prévoyant de consacrer 80 % de ses investissement aux pétrole et gaz, et d’accroître sa production de 50 % d’ici 2030. C’est pourtant, justement, cette stratégie d’investissement incompatible avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C qui a poussé certains investisseurs à voter contre le plan climat de Total. Parmi eux, EDRAM, la Banque Postale AM, Sycomore, l’Ircantec, et les trois investisseurs en charge du dialogue actionnarial avec Total sur le climat au nom d’une coalition de 575 investisseurs.

Malheureusement, la place financière de Paris continue de soutenir les entreprises à l’avant-garde de l’expansion des énergies fossiles. Alors que la COP26 à Glasgow approche, il est temps que les banques, assureurs et investisseurs français prennent enfin acte du consensus scientifique et climatique, et revoient leur feuille de route pour ne pas décrédibiliser une nouvelle fois leurs promesses de leaders de la finance verte.

Notes
1

Les Amis de la Terre France et Reclaim Finance ont soumis de nombreuses questions écrites aux banques, assureurs et investisseurs français. Lire les questions et les réponses :

2

AIE, rapport Net Zero by 2050.

5

Reclaim Finance, Scan de la finance fossiles.

6

Les Amis de le Terre France, analyse sur Twitter.