Biodiversité : Attaque législative brutale des semenciers contre les paysans
La nouvelle loi sur les certificats d’obtention végétale remet radicalement en cause la liberté d’utilisation des semences par les agriculteurs et les jardiniers.
C’est à la majorité des trente député(e)s présent(e)s à 23 heures ce soir-là, et malgré la forte mobilisation de la société civile et d’une partie du monde agricole, que l’Assemblée nationale a voté le 28 novembre 2011 une loi sur les certificats d’obtention végétale (COV) – certificats détenus principalement par les grandes entreprises semencières. En interdisant aux agriculteurs la possibilité de ressemer une partie de leur récolte d’une année sur l’autre, c’est-à-dire d’utiliser des semences de fermes – et ce pour la majorité des espèces cultivées –, cette loi aura de forts impacts.
Taxes ou royalties obligatoires
La nouvelle loi vise en effet à interdire les semences de fermes si elles sont issues de variétés protégées par un COV français. Concrètement, les légumes, les arbres fruitiers, les vignes, les fleurs, le soja, le maïs, le sainfoin, le sarrasin, le chanvre, etc., protégés – mais aussi leurs hybrides – ne peuvent plus être reproduits. Une exception a été adoptée pour 21 espèces (blé, avoine, orge, pois, colza…) pour lesquelles l’utilisation des semences de fermes est autorisée, mais en échange du paiement de royalties versées à l’obtenteur de la variété.
Ce texte aura aussi des répercussions sur les semences paysannes, variétés anciennes ou modernes, reproductibles et sélectionnées par les paysans à partir de méthodes de sélection non transgressives du vivant, et libres de droits de propriété industrielle, donc non protégées. Pour ne pas payer de royalties, les paysans qui les utilisent devront fournir la preuve qu’ils ne reproduisent pas de variétés protégées. A défaut, une taxe pourra leur être prélevée au moment de la livraison de leur récolte, comme c’est le déjà le cas pour le blé tendre.
D’autres dispositions portant sur la commercialisation, la sélection, la conservation et le contrôle des semences invitent le gouvernement à réglementer par décret : elles peuvent être lourdes de conséquences pour les agriculteurs, mais aussi pour les jardiniers amateurs qui pourraient être soumis à des obligations (déclaration, contrôle…).
Mainmise sur les ressources L’Etat pourra réglementer par décret les modalités de conservation et les conditions d’enregistrement des ressources phytogénétiques appartenant à la “collection nationale” – comme définie par le Traité international sur les ressources phytogénétiques (Tirpaa). Si les objectifs énoncés par la loi semblaient a priori louables – intérêt général, utilisation durable et préservation des ressources – seules seront éligibles pour être intégrées à cette collection les ressources phytogénétiques dites patrimoniales ou celles qui présentent un intérêt actuel ou potentiel pour la recherche scientifique, l’innovation ou la sélection. Les autres seront vouées à disparaître.
Le pré carré des labos et semenciers
Mais qui sera chargé de déterminer les “ressources phytogénétiques” dont l’intérêt, inconnu à ce jour, pourrait se révéler vital demain ? Pourra-t-on encore conserver, cultiver et créer des ressources ne répondant pas à ces critères d’éligibilité et ne faisant pas partie de cette collection nationale ? La recherche scientifique, l’innovation et la sélection sont-elles réservées aux laboratoires de recherche et aux entreprises semencières.
Cette loi est une attaque sans précédent contre le travail des paysans et des jardiniers qui ont, eux, préservé, innové et sélectionné des centaines de variétés depuis plusieurs millénaires. Ce rôle doit perdurer et être pleinement reconnu. En principe, le Tirpaa reconnaît leur contribution et les droits qui en découlent. Mais la France, qui l’a approuvé en 2005, ne l’applique pas. Il faut donc rester mobilisés durant la période de négociation des décrets, qui seront eux aussi déterminants.
> ANNE-CHARLOTTE MOŸ
Chargée de la veille juridique du Réseau Semences Paysannes