Climat-ÉnergieFinance

Gaz au Mozambique, la violence TOTAL(e)

Au nord du Mozambique, Total prévoit de développer un projet colossal d’extraction et d’exportation de gaz fossile. Au-delà de la menace que représente ce projet pour le climat, il est responsable de graves violations des droits humains et lié à des crimes présumés contre des civil·es.

Contexte

En 2010 et 2013, d’immenses réserves de gaz fossile sont découvertes au large du Mozambique : les 9èmes plus grandes du monde. Ces réserves attirent rapidement l’attention des grandes entreprises pétro-gazières internationales dans la région nord du pays, le Cabo Delgado. Au moins 60 milliards de dollars d’investissements sont prévus pour les exploiter. Parmi ces géants de l’industrie fossile, Total, qui est depuis 2019 aux manettes d’un méga-projet baptisé Mozambique LNG.

Comprendre

Le projet Mozambique LNG vise à ouvrir des champs gaziers situés en eaux profondes, à 2 000 mètres sous la surface de l’océan, puis à acheminer ce gaz dans un gazoduc sous-marin jusqu’à un immense parc industriel prévu sur la terre ferme, et dont la surface serait équivalente à deux fois la taille de Paris. Dans ce parc industriel, le gaz sera liquéfié, puis exporté par bateaux aux quatre coins du monde. Alors que la science est claire sur le fait que pour respecter les objectifs climatiques de l’Accord de Paris, aucun nouveau champ gazier ou pétrolier ne doit être exploité, Mozambique LNG représente à lui seul une véritable bombe climatique.

Par ailleurs, Mozambique LNG est implanté dans une région en proie à de fortes violences systémiques et dans un contexte démocratique et humanitaire très instable. Dans la région du Cabo Delgado, comme ailleurs, le boom gazier et la mainmise sur les ressources se sont accompagnés d’une explosion des inégalités, et d’une militarisation et d’une répression croissantes, alimentant la spirale de violences subies par les populations civiles. Dans ce contexte, Total n’a cessé de se montrer indigne de confiance, échouant à prendre véritablement en compte l’impact de ses activités sur les droits humains, sous-estimant les risques d’opérer dans une telle zone de conflit, et liant des relations avec des forces de sécurité accusées de crimes de guerre.

Mozambique LNG a, jusqu’ici, pu compter sur le soutien de grandes banques françaises, mais aussi sur celui de Donald Trump et Georgia Meloni.

Problèmes

Une bombe carbone en passe d’être amorcée

Tout comme le charbon et le pétrole, le gaz est une énergie fossile et émet du CO2 à la combustion. Mais surtout, le gaz est composé presque exclusivement de méthane, un gaz à effet de serre 84 fois plus puissant que le CO2 sur une période de 20 ans. Or, ce méthane fuit tout au long de la chaîne d’approvisionnement du gaz de son extraction jusqu’à sa consommation, que ce soit dans une centrale électrique ou dans votre cuisine. Or, ces fuites de méthane sont largement sous-évaluées, elles seraient même en réalité 30% supérieures à ce qui est déclaré1.

Dans le cas de projets de gaz liquéfié (GNL) tels que Mozambique LNG, le gaz, une fois extrait du puits, doit être liquéfié à très basse température, stocké, transporté par bateaux sur des milliers de kilomètres, avant d’être regazéifié et de rejoindre le réseau conventionnel – multipliant les fuites à chacune de ces étapes. Ce processus, extrêmement énergivore, est responsable d’impacts climatiques colossaux et irréversibles.

Ainsi, au cours de son cycle de vie, Mozambique LNG contribuerait à produire entre 3,3 et 4,5 milliards de tonnes d’équivalent CO2. Cela représente plus que les émissions de gaz à effet de serre annuelles de l’ensemble des 27 pays de l’Union européenne2!

Un projet entouré d’atrocités commises sur les populations civiles

En parallèle de l’arrivée des multinationales fossiles, des groupes d’insurgés multiplient les attaques  dans la région de Cabo Delgado à partir d’octobre 2017. La présence accrue d’entreprises étrangères, perçues comme des symboles de pillage des ressources locales, contribue fortement à exacerber les tensions, faisant des infrastructures gazières des cibles prioritaires des attaques. Le développement gazier au Mozambique va alors s’accompagner d’une militarisation croissante, poussée par les majors dont Total, non sans aggraver le conflit armé. La population civile se trouve en première ligne, prise en étau dans ces violences. Total décide pour sa part de financer une force spéciale de sécurité composée de soldats mozambicains, la Joint Task Force (JTF), pour protéger ses installations3.

Les violences culminent en mars et avril 2021, lors de l’attaque de Palma – ville voisine du site de Mozambique LNG – par les insurgés, faisant plus de 1 400 victimes, dont près de 1 200 personnes tuées ou portées disparues et présumées mortes4. Cet événement est considéré comme l’une des attaques terroristes les plus meurtrières depuis le 11 septembre 2001. Le jour de l’attaque néanmoins, plus de 800 soldats protégeaient le site gazier de Total, contre un poignée seulement qui protégeait la ville et les civil·es. Bien que consciente de la dégradation de la situation sécuritaire et d’une probable attaque imminente, Total est accusée d’avoir failli à ses obligations de protection des travailleurs de son site à cette occasion. En octobre 2023, une plainte pénale est déposée contre Total pour homicide involontaire et non-assistance à personne en danger par des survivants et des familles de victimes de l’attaque de Palma.

Par ailleurs, Politico a publié5 une enquête indépendante révélant que durant l’été 2021 – c’est-à-dire quelques semaines seulement après la terrible attaque de Palma –, des civil·es cherchant à se mettre en sécurité auraient été massacrés par des troupes mozambicaines en charge de protéger le site gazier de Total. Entre 180 et 250 hommes auraient ainsi été détenus pendant trois mois, privés d’eau, affamés, battus, asphyxiés et torturés. Seuls 26 d’entre eux auraient survécu. Les femmes, elles, auraient subi des humiliations et des agressions sexuelles répétées, avant d’être relâchées.

Les liens étroits qui unissent Total et l’armée mozambicaine interrogent fortement quant à la responsabilité de la multinationale française dans des atrocités pouvant être considérées comme crimes de guerre, d’autant qu’en novembre 2024, Le Monde6 et SourceMaterial7 ont révélé que Total savait que les troupes de la JTF étaient accusées d’avoir violé, enlevé et tué des civil·es. La multinationale a, malgré tout, continué à verser un salaire aux soldats8.

Mozambique LNG, emblème du néocolonialisme fossile façon Total

Contrairement à ce qu’affirme Total, le projet est loin de bénéficier à la population mozambicaine et de garantir la sécurité énergétique du pays. Si le projet Mozambique LNG voit le jour, ses bénéfices économiques seront massivement captés par Total et ses actionnaires, et le gaz extrait du Mozambique ne sera pas consommé au Mozambique mais revendu aux quatre coins du monde.

Par ailleurs, tout au long de la construction de ce projet, la population mozambicaine est vue par Total comme une simple variable d’ajustement. La construction du site gazier implique l’expropriation de 586 familles, représentant des milliers de personnes, qui se voient contraintes de quitter leurs terres et privées de leurs moyens de subsistance, sans pour autant recevoir de compensations dignes – toutes les communautés affectées par le projet ont enregistré des plaintes en ce sens. Ces injustices et violations des droits humains persistent : malgré les risques que cela représente, les communautés affectées ont, fin 2024 et début 2025, manifesté de manière répétée aux portes du site de Total pour réclamer les terres promises il y a des années par l’entreprise française.

Ce projet est symptomatique de la recette signée Total : extraire les ressources naturelles présentes dans les pays du Sud pour enrichir ses actionnaires, en se rendant, au passage, complice de régimes autoritaires et en aggravant les conflits armés et les schémas de corruption.

Le soutien coupable des grandes banques françaises

En 2020, 31 institutions financières publiques et privées participent au financement de 14,9 milliards de dollars pour Mozambique LNG. Parmi elles, Société Générale et Crédit Agricole. Ces banques ont maintes fois été alertées de l’impact climatique de Mozambique LNG, mais surtout, des risques vitaux que fait peser le projet sur les communautés – des risques qui se sont depuis matérialisés avec violence.

Alors que le projet est suspendu depuis l’attaque de Palma en 2021, Société Générale et Crédit Agricole portent aujourd’hui une responsabilité clé : Total attend la validation de leur financement pour relancer Mozambique LNG, d’autant que Société Générale a le rôle clé d’être conseiller financier du projet. Si elles maintiennent leur soutien à Mozambique LNG, c’est notre argent à toutes et tous qu’utiliseraient ces deux banques pour contribuer à un projet lié à de graves violations des droits humains. Leur rôle est donc essentiel : elles doivent se mettre du bon côté de l’Histoire !

Demandes

01

Une enquête qui se fait attendre

Les Amis de la Terre et leurs partenaires appellent à l’ouverture d’une enquête indépendante sur la série d'atrocités présumée révélée par Politico, qui auraient été perpétrée contre des civil·es près du site de Total, par des forces de sécurité publiques agissant au service de l'entreprise. Nous demandons que cette enquête soit menée par un mécanisme intergouvernemental international ou régional de défense des droits humains – tel que le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l'homme. Elle doit permettre d’identifier les responsabilités, et de garantir la justice et la vérité pour les victimes, ainsi que la sécurité des survivant·es, des familles et des témoins.

02

À quand un réveil de Société Générale et Crédit Agricole ?

Nous appelons Société Générale, Crédit Agricole, ainsi que tous les financeurs du projet Mozambique LNG à refuser de soutenir la relance du projet et le dégel de leurs prêts. Au contraire, au regard de l’ampleur des impacts documentés, ces banques doivent acter leur retrait du projet.

03

Vers une position exemplaire ?

Nous appelons toutes les banques françaises à refuser de financer les autres projets gaziers prévus au Mozambique, notamment les projets Coral North FLNG et Rovuma LNG portées par les majors Eni et ExxonMobil.

04

Non à des futurs fossiles

Nous appelons les banques françaises à mettre fin à tous leurs services financiers aux nouveaux projets d’énergies fossiles – y compris aux terminaux de GNL – ainsi qu’à toutes les entreprises qui les portent.

Notes
2

The Mozambique LNG project will produce between 3.3 and 4.5 billion tonnes of CO2 equivalent over its lifecycle, more than the combined annual greenhouse gas emissions of all 27 EU countries. Friends of the Earth EWNI and the New Economics Foundation, October 2021. Tip of the iceberg : the future of fossil fuel extraction.

https://policy.friendsoftheearth.uk/print/pdf/node/237

4

Palma Massacre, Alex Perry, June 2023

  • 01 Juin 2017

    Le projet Coral South FLNG est financé par l’État français et les grandes banques françaises

    Premier projet à voir le jour pour extraire et exporter les gigantesques réserves gazières au large du Mozambique, Coral South FLNG d’Eni et ExxonMobil obtient son financement en 2017. Malgré les alertes des Amis de la Terre France, il obtient une garantie de l’agence de crédit à l’export française Bpifrance, ainsi que des prêts de BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et Banque Populaire Caisse d’Épargne.

  • 27 Mai 2019

    « La France amorce une bombe au large du Mozambique »

    Les Amis de la Terre France publient un décryptage faisant état des risques soulevés par les différents projets gaziers au large de la côte mozambicaine, alors que ces projets sont en passe d’obtenir leur décision finale d’investissement.

    La France amorce une bombe climatique au large du Mozambique

  • 25 Juin 2020

    « De l’eldorado gazier au chaos »

    Les Amis de la Terre France, les Amis de la Terre Mozambique et les Amis de la Terre International publient un nouveau rapport. Faisant la lumière sur la bombe climatique que représente le projet gazier de Total au Mozambique, le rapport dévoile aussi l’ampleur de la crise humanitaire à laquelle le projet est associé et comment l’État français est complice de ce désastre aux multiples facettes.

    Mozambique : de l’eldorado gazier au chaos

  • 08 Juil 2020

    Société Générale et Crédit Agricole choisissent de soutenir Mozambique LNG

    Alors que le chaos ne s’est pas atténué dans la région nord du pays, les deux grandes banques françaises décident d’aider Total à financer son méga-projet, peu importe les risques que l’industrie gazière fait peser sur le climat, les communautés et la sécurité de la région.

    Mozambique : Société Générale et Crédit Agricole soutiennent le projet gazier très controversé de Total

  • 24 Mar 2021

    Attaque de Palma

    À seulement quelques kilomètres du site du projet gazier de Total, une attaque djihadiste fait rage, faisant près de 1400 victimes, quelques heures après l’annonce par Total de la reprise des travaux sur son site.

    Mozambique : les investissements gaziers français au coeur de l’escalade des violences

  • 26 Avr 2021

    Suspension du projet pour force majeure

    Suite à l’attaque de Palma, et alors que l’industrie gazière alimente les tensions sociales et l’insécurité au Mozambique, Total annonce la mise en suspens des on projet, mais sans toutefois mentionner comment la multinationale compte rétribuer les communautés déjà déplacées et privées de leurs terres.

    Total abandonne ses responsabilités avec son annonce de « Force majeure » sur le gaz du Mozambique

  • 27 Sep 2022

    L’État français inscrit dans la loi la fin de ses financements aux projets d’énergies fossiles à l’étranger

    Grâce à la pression des ONG et notamment des Amis de la Terre France, la France cesse d’accorder des financements – via des garanties à l’export – aux projets de pétrole et gaz, et ce pour l’ensemble de la chaîne de production, y compris les projets de GNL. Après avoir financé le projet Coral South FLNG au large du Mozambique en 2017, elle ne pourra ainsi pas renouveler ce type de soutien.

    Victoire ! La France ne soutiendra plus de projets d’énergies fossiles à l’étranger

  • 18 Sep 2023

    Société Générale s’engage à arrêter de financer directement les nouveaux projets de pétrole et gaz

    La direction de la banque annonce la fin de ses financements directs aux nouveaux champs de pétrole et gaz, ainsi que les infrastructures associées. Trois ans après son financement à Mozambique LNG, la banque reconnaît ainsi l’incompatibilité de tels projets avec la lutte contre les changements climatiques.

  • 10 Oct 2023

    Total visée par une plainte pénale

    Des survivants et des familles de victimes de l’attaque terroriste de Palma de mars 2021 déposent une plainte pénale contre Total pour homicide involontaire et non assistance à personne en danger. Total est accusée d’avoir refusé d’aider les secours en fournissant du carburant aux hélicoptères qui évacuaient les civil·es, et d’avoir failli à ses obligations de protection des travailleurs de son site gazier.

    Palma, Mozambique

    Plainte pénale contre Total pour homicide involontaire au Mozambique : une preuve de plus que le projet gazier ne doit pas être relancé

  • 16 Nov 2023

    124 ONG appellent les institutions financières à se retirer de Mozambique LNG

    Une coalition d’organisations issues du Mozambique et du monde entier publient un appel urgent aux 28 financeurs du projet, pour qu’ils s’en retirent fermement et définitivement, au vu de la situation sécuritaire sur place et de la spirale de violences qui entoure le projet.

    124 ONG appellent les institutions financières à se retirer du projet Mozambique LNG de TotalEnergies

  • 25 Mar 2024

    Crédit Agricole annonce qu’elle refusera de financer le projet Rovuma LNG au Mozambique

    Après la publication de sa nouvelle politique pétrole et gaz en décembre 2023, Crédit Agricole clarifie sa position vis-à-vis du projet gazier Rovuma LNG d’Eni et ExxonMobil, qui prévoit d’utiliser le même complexe industriel que le projet Mozambique LNG de Total. Crédit Agricole refuse ainsi de participer au financement de ce projet pour lequel il est conseiller financier.

  • 26 Sep 2024

    La société civile exige l’ouverture d’une enquête indépendante sur le massacre présumé de civil·es

    Suite à la publication dans Politico de révélations concernant un massacre de civils qui aurait été commis à l’été 2021 – quelques semaines après l’attaque de Palma – par des troupes mozambicaines chargées de protéger le site de Total, une coalition d’ONG demande l’ouverture d’une enquête indépendante internationale sur les événements et la responsabilité de Total dans ces atrocités.

    Des ONG demandent l’ouverture d’une enquête officielle suite aux informations sur une série d’atrocités commises par les forces de sécurité mozambicaines sur les lieux du projet Mozambique LNG de TotalEnergies

  • 22 Jan 2025

    126 organisations de la société civile publient une lettre envoyée aux institutions financières impliquées dans le projet Mozambique LNG

    Dans cette lettre, elles appellent ces banques publiques et privées à se retirer du projet gazier de Total, et à soutenir l’appel à une enquête internationale indépendante sur le massacre présumé de civil·es qui aurait eu lieu au cours de l’été 2021. Les Amis de la Terre France dénoncent la faiblesse des réponses de Société Générale et Crédit Agricole, qui restent dans un silence complice face aux agissements de Total au Mozambique.

    Mozambique LNG : les institutions financières ne se prononcent pas sur les graves allégations de violations de droits humains

  • 14 Mar 2025

    L’administration Trump approuve un prêt de $4,7 milliards à Mozambique LNG

    Le conseil d’administration de l’Export-Import Bank of the United States (US EXIM), nommé par l’administration Trump, approuve un prêt de $4,7 milliards, après des mois de lobbying agressif de la part de Total auprès du gouvernement américain. Un signal extrêmement inquiétant, posant l’extrême droite comme alliée de confiance de Total, dans un contexte d’emballement climatique et d’allégations d’atrocités commises à l’encontre des populations civiles sur place.

    L’administration Trump approuve un prêt controversé de $4,7 milliards au projet de Total Mozambique LNG, associé à de graves impacts climatiques et violations des droits humains

  • 14 Mar 2025

    Une information judiciaire est ouverte par le parquet français contre Total pour homicide involontaire et non-assistance à personnes en danger

    Cela fait suite à une plainte pénale déposée en octobre 2023 contre Total par des survivant·es et des familles de victimes de l’attaque dévastatrice menée par des insurgés contre Palma, ville voisine de Mozambique LNG, en mars 2021.

    Mozambique LNG : Total visée par une information judiciaire pour homicide involontaire

Aidez-nous à rester indépendant