Lobbying au sommet de l’État
Ces dernières années, plusieurs réformes d’intérêt général pour lutter contre l’évasion fiscale ou le changement climatique par exemple, ont été censurées ou vidées de leurs substance suite à des décisions au sommet de l’État. Les Amis de la Terre ont donc enquêté pour faire toute la lumière sur les influences exercées par les lobbies.
Comprendre
Pour faire face au défi climatique, pour empêcher l’évasion fiscale ou protéger les droits humains, des solutions existent. Élus et organisations de la société civile ont su, ces dernières années, concevoir et porter des propositions législatives concrètes.Inévitablement, ces propositions heurtent certains intérêts établis. Elles ont fait et font encore l’objet d’une opposition acharnée de la part des lobbies économiques. Depuis quelques années, un nouvel obstacle se dresse sur la route de ces réformes : la mise en avant des droits de propriété et de la liberté d’entreprendre, qu’il serait presque impossible de limiter, même dans un objectif de protection de l’intérêt général. Plusieurs réformes d’intérêt général ont ainsi été censurées ou vidées de leurs substance suite à des décisions du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel. Ces deux institutions sont devenues des lieux de plus en plus importants de lobbying.
Problèmes
Cette promotion des « droits et libertés » fondamentaux des acteurs économiques se répand à travers un lobbying qui n’est pas appréhendé comme tel, parce qu’il s’exerce à travers le langage du droit, et auprès d’institutions dont le rôle est mal connu du grand public. C’est ainsi que plusieurs mesures de transparence et de justice fiscale ont été retoquées par le Conseil constitutionnel, ou qu’en 2017 la loi Hulot sur la fin des hydrocarbures en France s’est vue considérablement réduite dans sa portée suite à un avis du Conseil d’État.
Conseil d’État et Conseil constitutionnel, deux institutions très proches l’une de l’autre, sont devenus ces dernières années des lieux importants de lobbying pour les milieux économiques, qui s’en sont saisi avec succès pour faire annuler ou amoindrir des réformes qui leur déplaisaient.
En l’absence de procédures transparentes et contradictoires, ce lobbying s’exerce généralement de manière opaque, loin de l’opinion publique et même de la société civile et des parlementaires. Il se nourrit également des allers-retours entre haute fonction publique, cabinets d’avocats d’affaires et entreprises privées qui semblent être devenus la norme au sommet de l’État.
Demandes
Plus de transparence
L’examen des textes législatifs par le Conseil d’État et le Conseil constitutionnel doit être rendu plus transparent, de même que les influences extérieures qui s’exercent sur ces institutions dans le cadre de cet examen, à travers notamment : La publication en amont de la liste des projets de loi et propositions parlementaires de loi sur lesquels le Conseil d’État prépare un avis, ainsi que du calendrier prévisionnel de préparation et publication des avis. La publication, au fur et à mesure de leur réception, du texte et des auteurs des contributions extérieures ou « portes étroites » reçues par le Conseil constitutionnel et le Conseil d’État. La publication systématique des avis du Conseil d’État.
Prendre en compte des avis différents
Au vu de leur importance, les délibérations du Conseil constitutionnel et le Conseil d’État doivent respecter les principes d’un examen contradictoire, où toutes les parties en présence ont la possibilité de connaître les éléments présentés par les autres parties, à travers notamment : L’adoption par le Conseil constitutionnel d’un règlement intérieur encadrant le processus de contrôle de constitutionnalité des lois et assurant le caractère contradictoire de ce processus. La garantie d’un accès transparent à toute personne souhaitant apporter une contribution extérieure au Conseil d’État, en formation consultative.
Un encadrement plus strict du lobbying
Le nouveau dispositif de transparence du lobbying créé par la loi Sapin 2 et géré par la Haute autorité pour la transparence de la vie publique doit être renforcé, à travers notamment : L’ajout des membres et des agents du Conseil constitutionnel et du Conseil d’État à la liste des responsables publics visés par le répertoire des représentants d’intérêts. L’extension des obligations déclaratives des représentants d’intérêts avec des délais de publication plus courts, des informations plus détaillées, et la suppression des critères limitatifs actuellement en vigueur. Le renforcement des prérogatives et moyens de contrôle et de sanction de la Haute autorité pour la transparence de la vie publique en ce qui concerne les déclarations au registre.
Prévenir les conflits d'intérêts
La proximité trop grande entre hauts fonctionnaires et décideurs publics d’un côté, cabinets d’avocats et secteur privé de l’autre, nuit à l’intégrité des décisions. Prévenir les conflits d’intérêts implique notamment : Un encadrement plus strict, plus indépendant et plus transparent, par exemple sous l’égide de la Haute autorité de la transparence de la vie publique, des départs temporaires ou définitifs de hauts fonctionnaires vers le secteur privé. Des règles claires de récusation et de déport pour les hauts fonctionnaires en situation de conflit d’intérêt. L’encadrement et la transparence des activités de conseil juridique des conseillers d’État, y compris au profit d’entités publiques.
Limiter les “droits et libertés économiques”
Le législateur a dores et déjà la possibilité d’apporter des limitations aux droits et libertés économiques – tels que la liberté d’entreprendre et les droits de propriété – au nom d’exigences constitutionnelles ou d’intérêt général. Pour que ces mesures ne risquent pas d’être censurées par le Conseil constitutionnel, il faudrait, dans le cadre de la réforme constitutionnelle : Réaffirmer, dans la Constitution, la primauté des droits humains, de la protection de l’environnement et de l’urgence climatique dans la fabrique de la loi.