Aujourd’hui, une grande partie des terres agricoles est cédée aux plus offrants. Le système français est de moins en moins apte à réguler la concentration des terres aux mains des plus gros acteurs, qui, entre montages financiers opaques, spéculation et engloutissement des petits agriculteurs, transforment le visage de l'agriculture.
Contexte
L’accaparement des terres par des multinationales, s’ajoutant à leur concentration dans les mains d’un nombre toujours plus réduit d’agriculteur·ices, entraîne l’agrandissement des fermes et leur raréfaction. En 2020, les exploitations agricoles en France étaient quatre fois moins nombreuses et quatre fois plus grandes qu’en 19701. Ces parcelles, à la taille et aux prix croissants, sont de plus en plus souvent vendues à quelques géants des industries agroalimentaire et cosmétique2. Si l’industrialisation de l’agriculture française n’a pas attendu l’accaparement des terres par des multinationales pour se développer (la part d’agriculteur·ices en France a été divisée par plus de 4 entre 1982 et 20193), ces deux phénomènes se renforcent et s’accélèrent d’une manière inédite depuis une dizaine d’années.
Après le processus de mécanisation du travail agricole suite à la Seconde Guerre Mondiale, nous observons aujourd’hui l’émergence d’un nouveau modèle où les dirigeants des fermes sont des cadres de grands groupes industriels qui gèrent leurs exploitations à distance, depuis le siège social d’une multinationale. Aujourd’hui, plus de la moitié de la surface agricole française est gérée par des sociétés derrière lesquelles il est presque impossible d’identifier les personnes physiques vraiment en charge de ces terres4. Cette opacité façonne un système agricole ultra-industriel, où les agriculteur·ices sont peu à peu dépossédé·es des terres.
Ce phénomène est d‘autant plus préoccupant que d’ici 2030, la moitié des agriculteurs français seront partis à la retraite5. D’une part, nombre d’entre eux n’ont pas de repreneur ; et d’autre part, les quelques jeunes agriculteur·ices souhaitant s’installer en sont empêchés par la compétition perdue d’avance avec les plus gros agriculteurs – et de plus en plus les multinationales, qui contribuent à faire grimper les prix des terres. Ce sont ainsi des milliers d’hectares que s’approprient, dans la plus grande opacité, de grands groupes industriels ou des personnes issues de l’agribusiness, à travers des montages sociétaires sophistiqués qui échappent aux radars des règles classiques de régulation du foncier.
Problèmes
Demandes
Limiter la taille des surface détenues par une seule et même personne morale ou physique
La régulation passera par une loi anti-trust, limitant les surfaces détenues par une même personne morale ou physique. Une loi foncière a été votée en décembre 2021, mais elle comporte tellement d'exceptions qu'elle ne peut être considérée comme autre chose qu'un signe électoral trompeur envers le monde rural à la veille des élections présidentielles. Les citoyen·nes et le monde agricole attendent toujours la grande réforme foncière promue par Emmanuel Macron, apportant des solutions pour éviter l’accaparement des terres et sortir les terres agricoles des logiques marchandes. Cette loi permettra de protéger l’emploi agricole, de mieux partager la terre et de transformer les pratiques agricoles pour qu’elles soient davantage respectueuses de l’environnement.
Proportionner les aides de la PAC (Politique Agricole Commune) au nombre d’emplois et non au nombre d’hectares
Pour une agriculture juste, équitable et écologique, la PAC doit proportionner ses aides en fonction du volume de la main d’œuvre d’une ferme et non de sa surface. Les ruptures d’égalité en faveur des industries agroalimentaires propriétaires de grandes exploitations pourront alors être évitées, l’emploi agricole soutenu et la course à l’agrandissement stoppée. Par ailleurs, les aides de la PAC doivent être bien plus conditionnées à des critères sociaux et environnementaux.
Revoir les outils de régulation du foncier pour plus de transparence et de volontarisme
Aujourd’hui, les SAFER (régulation de la propriété des terres) et le contrôle des structures (régulation des locations de terres) n’arrivent plus à jouer leur rôle. La gouvernance du foncier agricole doit donc être revue en profondeur autour de plusieurs principes : transparence des décisions prises vis-à-vis du grand public, transparence de la propriété foncière et mise en place d’observatoires du foncier, financements publics des structures de régulation (notamment SAFER), inclusion des paysan·nes et citoyen·nes dans la gouvernance, priorisation des critères d'emploi et de pratiques agro-écologiques pour décider de l'attribution des terres par la SAFER.
Le recul démographique du monde agricole n’est pas une fatalité, Mediapart, 29/01/2022
L’agro-industrie avale la terre, Le Monde Diplomatique, février 2022
Les agriculteurs : de moins en moins nombreux et de plus en plus d’hommes, Insee, 23/10/2020
Artificialisés, accaparés, appauvris : les sols sont assaillis de tous côtés, Reporterre, 03/01/2019
MSA (mutualité sociale agricole), 2019