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6 mai 2014

Carbone contre nourriture : les paysans du Pérou, gagnants ou perdants de la compensation carbone ?

Montreuil, le 5 mai 2014 - Les Amis de la Terre France publient un nouveau rapport Carbone contre nourriture qui pointe à nouveau les risques sociaux et environnementaux associés à la compensation carbone [1].

Ce rapport fait suite à une mission de terrain réalisée par les Amis de la Terre en novembre 2013 et se concentre sur les projets de « compensation carbone forestière équitable » de la société française Pur Projet dans la région de San Martin au Pérou.

Les Amis de la Terre ont enquêté sur les activités de Pur Projet, une entreprise française, créée en 2008, par Tristan Lecomte, une figure de «l’entrepreneuriat responsable ». Cette entreprise s’est spécialisée dans les projets forestiers et propose à d’autres entreprises, comme Vinci ou GDF Suez, de compenser leurs émissions de carbone en finançant des projets de conservation ou de reforestation dans les pays du Sud. Elle s’appuie pour cela sur le controversé mécanisme de réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts (REDD).

Alors que les négociations internationales reposent largement sur le principe des « responsabilités communes mais différenciées », reconnaissant que les pays industrialisés, sont historiquement responsables des changements climatiques et qu’ils doivent être les premiers à se mobiliser, ce type de mécanisme conduit à une inversion des responsabilités comme l’explique Sylvain Angerand, coordinateur des campagnes pour les Amis de la Terre : « Pour permettre à des entreprises comme Vinci ou GDF-Suez de continuer à polluer, Pur Projet demande aux personnes les plus pauvres de modifier leur façon de vivre en interdisant, par exemple, de défricher une parcelle pour se nourrir ».
La multiplication des grands projets miniers dans les régions andines, comme le projet d’extraction de cuivre et d’or de Conga dans la région de Cajamarca [1], entraîne la migration de nombreuses personnes qui fuient des régions devenues inhabitables suite aux pollutions de l’eau, à la baisse de productivité des terres, aux violations des droits humains ou à la vente forcée de terres aux entreprises minières et n’hésitent pas à s’établir parfois dans des endroits reculés au cœur de la forêt, à la recherche de meilleures conditions de vie et de terres cultivables pour se nourrir.
Dans ce contexte, qui est véritablement responsable de la déforestation ? Le paysan migrant qui défriche une parcelle pour se nourrir ou l’entreprise qui l’a forcé à quitter ses terres pour ouvrir une mine ?

Lors de leur mission, les Amis de la Terre ont constaté que loin de s’attaquer aux causes profondes de la déforestation, Pur Projet en exacerbe les conséquences en plaçant les communautés dans une situation d’insécurité foncière. Les communautés d’Anaso Pueblo, de Canaan et de la Morada n’ont pas été pleinement informées avant la création des concessions de conservation du Biocorridor de Martin Sagrado, dont Pur Projet a obtenu le transfert exclusif des droits sur le carbone. Ces communautés, bien qu’établies depuis plusieurs dizaines d’années dans ces forêts ne disposent d’aucun titre foncier et sont donc expulsables à tout moment par la police nationale et les forces armées, comme le prévoit explicitement le contrat de concession [2].

Les Amis de la Terre demandent à Pur Projet de reconnaître que la compensation carbone ne repose sur aucune base scientifique solide et conduit à un transfert de responsabilité inacceptable des plus riches vers les plus pauvres. Les projets de lutte contre la déforestation doivent s’appuyer sur des mesures d’appui permettant aux communautés d’améliorer leurs conditions de vie et non sur des mesures répressives.

La lutte contre la déforestation constitue certes un enjeu majeur pour stabiliser le climat, mais elle ne doit pas être prétexte à créer de nouveaux « droits à polluer » (ou « crédits carbone ») qui permettraient à des entreprises ou des pays de « compenser » leurs émissions de carbone par la plantation ou la conservation de forêts dans les pays du Sud.

Alors que la France se prépare à accueillir la conférence internationale sur le climat de Paris en 2015, les Amis de la Terre appellent les responsables politiques à rejeter les mécanismes de marché du carbone, qui ont largement prouvé leur inefficacité, et à faire appliquer des objectifs chiffrés et ambitieux pour conduire les secteurs d’activité les plus concernés à réduire drastiquement à la source leurs émissions de gaz à effet de serre.