CETA : 455 organisations de la société civile s’unissent
Nous, organisations de la société civile d’Europe et du Canada, tenons à exprimer ici notre profonde inquiétude par rapport à l’Accord économique et commercial global (CETA) entre l’Union européenne et le Canada.
Tout au long des négociations, nous avons dénoncé à maintes reprises les graves problèmes que pose le texte de l’accord. Nous avons fait des propositions concrètes qui cherchaient à démocratiser nos politiques commerciales et à les rendre plus transparentes, tout en les recentrant sur la protection de l’environnement et la défense des droits humains fondamentaux. Mais comme en fait foi le texte du CETA, nos inquiétudes sont restées lettre morte. C’est pourquoi nous nous opposons résolument à sa ratification.
Un nombre croissant de citoyennes et citoyens des deux côtés de l’Atlantique partagent nos objections. Un chiffre record de 3 millions et demi de personnes à travers l’Europe ont signé une pétition contre le CETA et son jumeau, le TAFTA (Accord de Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement entre l’Union européenne et les États-Unis).1
Jusqu’à aujourd’hui, plus de 2 100 gouvernements locaux et régionaux se sont déclarés zones hors-TAFTA / hors-CETA
La constitutionnalité du CETA est contestée tant en Allemagne qu’au Canada2, tandis que la Cour de justice de l’Union européenne se penchera vraisemblablement sur la légalité des privilèges controversés que l’accord octroie aux investisseurs étrangers.
Des deux côtés de l’Atlantique, provenant entre autres des milieux syndicaux, agricoles, environnementaux, de défense des consommateurs, de la santé publique, des droits sur Internet, un large éventail d’organisations sociales ainsi que des petites et moyennes entreprises (PME) s’opposent à l’accord.
En octobre 2016, inquiets des impacts négatifs du CETA et en particulier, des dangers d’un “Système judiciaire sur l’investissement”, quatre gouvernements sous-fédéraux de Belgique ont été bien près d’interdire au gouvernement fédéral belge de signer l’accord.
Malgré la controverse, le gouvernement canadien et les institutions de l’Union européenne cherchent à précipiter la ratification du CETA. Au Canada, la législation visant l’entrée en vigueur de l’accord a déjà été déposée au Parlement, sans soumettre l’entente finale à des consultations publiques. Le Parlement européen aussi semble vouloir couper court à ses processus internes de consultation afin de limiter le débat concernant la ratification d’un texte de plus de 1600 pages. Et malgré ce bris de procédure, des pans entiers de l’accord entreraient en vigueur de façon provisoire, bien avant que les parlements des 28 États membres de l’UE puissent faire entendre leurs voix.
Afin d’obtenir un appui pour la ratification du CETA et dissiper les inquiétudes, plusieurs déclarations ont été annexées au texte de l’accord au cours des derniers mois. Toutefois, le texte n’a pas changé d’un iota depuis que sa version finale a été rendue publique au début de 2016. Comme l’ont démontré plusieurs experts, malgré les déclarations d’accompagnement et l’ « Instrument commun d’interprétation » entre l’UE et le Canada, des problèmes fondamentaux du texte du CETA subsistent.3
Nos principales préoccupations
Le CETA donnerait à des milliers d’entreprises le pouvoir de poursuivre des gouvernements et contester les mesures légitimes et non discriminatoires qu’ils adoptent pour protéger les droits des peuples et la planète. Rien dans l’entente ou dans les déclarations d’accompagnement n’empêcherait les entreprises d’utiliser les droits qu’accorde le CETA aux investisseurs et qui leur permettent d’intimider les décideurs et de les influencer en leur faveur quand ils réglementent en fonction de l’intérêt public, par exemple en matière de lutte au changement climatique.
Le CETA laisse même la porte grande ouverte à des compensations aux entreprises pour des profits futurs non réalisés lorsqu’un changement de politique affecte leur investissement. Loin de réformer “radicalement” le mécanisme de résolution des différends entre les investisseurs et l’État, le CETA non seulement en élargit la portée mais l’institutionnalise.
Le Système judiciaire sur l’Investissement (SJI) accorde aux investisseurs des droits hautement exécutoires mais n’exige, en contrepartie, aucune obligation. Cet instrument ne permet pas aux citoyennes et citoyens, aux communautés ou aux syndicats de porter plainte lorsqu’une entreprise viole l’environnement, les droits du travail, la santé et la sécurité, ou d’autres normes. Ce système risque d’être incompatible avec le droit de l’UE puisqu’il crée un système juridique parallèle qui permet aux investisseurs de contourner les cours de justice existantes. Le SJI est discriminatoire du fait qu’il octroie des droits aux investisseurs étrangers dont ne peuvent jouir les citoyens en général ni les investisseurs nationaux.
Contrairement aux droits des entreprises, le CETA inclut des dispositions sur les droits du travail et sur le développement durable qui ne peuvent être appliquées de façon contraignante et efficace au moyen de sanctions. Elles demeurent des affirmations vides, sans effet sur les dangers que les autres chapitres de l’accord posent aux droits des travailleurs, à la protection de l’environnement et aux mesures visant à atténuer le changement climatique.
Le CETA limite de façon drastique la capacité des gouvernements de créer, développer et réglementer les services publics, et de les ramener dans le domaine public en cas d’échec des libéralisations et privatisations. Le CETA est le premier accord de l’UE où la libéralisation des services est la règle et où les réglementations publiques sont l’exception.
L’accord menace l’accès des populations à des services de qualité dans des domaines comme ceux de l’eau, du transport, de la santé et des programmes sociaux, et mine les efforts pour développer des services publics qui répondent à des objectifs d’intérêt général.
CETA, TAFTA : la grande offensive contre les services publics
Une étude indépendante des impacts économiques du CETA prédit que des emplois seraient perdus tant au Canada qu’en Europe, que la croissance économique serait plus lente qu’en l’absence d’accord, et que les gains en revenus seraient non seulement faibles mais qu’ils iraient largement aux détenteurs de capitaux, aux dépens des travailleuses et travailleurs. En conséquence, on prévoit que les inégalités sous le régime de le CETA seront plus grandes que sans lui.4
Le CETA rendrait le Canada et l’UE plus vulnérables aux crises financières en libéralisant encore davantage les marchés financiers et en limitant drastiquement la portée des réformes qui touchent aux principales causes de l’instabilité financière et qui assurent une meilleure protection des consommateurs et de l’économie en général. 5
Au Canada, le CETA aurait pour effet d’augmenter le coût des médicaments de marque d’au moins 850 millions $ par année (583 millions d’euros). De plus, l’accord aurait un impact négatif sur plusieurs droits fondamentaux, dont le droit à la vie privée et à la protection des données, et restreindrait la capacité de l’UE et du Canada de moduler les droits démesurés de propriété intellectuelle (DPI) quand ils limitent l’accès au savoir et à l’innovation. Certains DPI ressemblent de près au texte de l’Accord commercial anti-contrefaçon (ACTA en anglais) qui a été rejeté par le Parlement européen en 2012.6
Les règles du CETA sur la coopération règlementaire et la réglementation domestique poseront des obstacles additionnels aux législateurs et consolideront l’influence des lobbyistes d’entreprises sur l’élaboration des politiques publiques, minant potentiellement la mise en œuvre des politiques d’intérêt général dont nos sociétés ont besoin.7
Des deux côtés de l’Atlantique, le CETA soumettrait les agriculteurs à la pression de la concurrence avec un impact négatif sur leurs moyens de subsistance, sans gain substantiel pour les consommatrices et consommateurs ; augmenterait le contrôle des transnationales sur les semences ; ferait obstacle aux politiques d’achat local des aliments ; menacerait les hauts standards de production et de transformation alimentaires ; et
minerait les efforts pour développer une agriculture durable et respectueuse de l’environnement.
Sous le régime du CETA, les mesures de précaution pour protéger les consommateurs, la santé publique et l’environnement8 pourraient être contestées, sous prétexte qu’elles sont trop contraignantes, ne sont pas vérifiées scientifiquement ou qu’elles constituent des barrières déguisées au commerce. Rien, dans le texte du CETA ni dans les déclarations qui l’accompagnent, ne protège de façon efficace le rôle du principe de précaution au sein des politiques règlementaires européennes, tandis que dans certaines sections plusieurs principes sont même en conflit.9
Le CETA est l’aboutissement d’un processus de négociation qui a été mené de façon secrète par le précédent gouvernement canadien et la précédente Commission européenne. Le texte final du CETA, et les déclarations qui l’accompagnent, ont pratiquement ignoré l’ensemble des amendements raisonnables et très spécifiques proposés par la société civile afin de corriger les déficiences de l’accord [[Pour des exemples d’amendements spécifiques proposés par les organisations syndicales et environnementales.10. Les tentatives les plus récentes de réouverture des négociations, entreprises par le gouvernement de la région wallonne en Belgique, ont été bloquées. Aujourd’hui, nous sommes placés devant un accord de 1600 pages “à prendre ou à laisser”, seul un oui ou un non est possible.
Nous exhortons
Le Parlement européen, le Parlement canadien, ainsi que les parlements nationaux, provinciaux et régionaux, qui ont leur mot à dire lors de la ratification, à défendre les droits et intérêts des populations qu’ils représentent face aux menaces que pose le CETA, et de voter contre la ratification de l’accord.
Nous demandons
Aux nombreux gouvernements municipaux, régionaux et provinciaux qui ont soulevé des préoccupations sur le CETA de faire entendre leurs voix au cours du processus de ratification.
Nous exigeons
Que les gouvernements, à tous les niveaux, entreprennent des consultations démocratiques approfondies, avec la participation de la société civile, sur les fondements d’une politique novatrice d’échanges commerciaux basée sur la justice sociale et le respect de l’environnement.
Dans son état actuel, le CETA n’est pas un accord de commerce progressiste. Ce serait une erreur d’adopter ce traité, et les inquiétantes dispositions qu’il comporte, en s’en servant comme modèle pour négocier des accords futurs. Le CETA est une version rétrograde et encore plus intrusive de l’ancien programme de libre-échange conçu par et pour les plus grandes
transnationales du monde. Nous avons besoin d’un changement de paradigme vers une politique commerciale transparente et inclusive fondée sur les besoins des peuples et de la planète. Ratifier le CETA nous éloignera d’un tel changement, aujourd’hui grandement nécessaire.
https://corporateeurope.org/en/international-trade/2016/11/great-ceta-swindl
L’AECG sans oeillères: Comment couper les coûts du commerce et davantage encore causera du chômage, des inégalités et des pertes économiques >http://www.ase.tufts.edu/gdae/Pubs/wp/16-03CETA_FRE.pdf
Voir, par exemple: le chapitre “The financial services chapter: Inflating bank profits at the expense of citizens”, dans Making sense of CETA
Voir, par exemple: ACTA-CETA similarities ; et voir aussi les chapitres “Patents, copyright and innovation” et “Canada specific concerns” dans Making sense of CETA
Voir, par exemple, CIEL letter to Minister-President Magnette ainsi que les chapitres “Limiting how and what government regulates” et “More cooperation for less regulation” dans Making sense of CETA