Charbon : les banques françaises divisées un an après la COP21
A l’approche de la COP22, le bilan des engagements pris par les banques françaises en 2015 en matière de financement au secteur du charbon s’annonce plus que mitigé.
D’un côté, Natixis vient de confirmer dans une première politique sectorielle l’arrêt de tous ses financements de projets à de nouvelles centrales à charbon, partout dans le monde. Mais de l’autre, Crédit Agricole et Société Générale sont impliqués dans plusieurs projets de centrales à charbon, notamment en Indonésie, signe des failles béantes de leurs engagements climat adoptés avant la COP21. Pour les Amis de la Terre et BankTrack, si Crédit Agricole et Société Générale doivent immédiatement se retirer de ces projets incompatibles avec l’Accord de Paris, elles doivent aussi, comme BNP Paribas, se saisir des prochains évènements climat pour en finir définitivement avec tout financement de projets charbon.
En 2015, toutes les grandes banques françaises se sont engagées à réduire leurs soutiens au secteur du charbon en signe de leur volonté de contribuer à la lutte contre les changements climatiques. Les Amis de la Terre et BankTrack ont salué ces premiers pas vers l’arrêt des financements aux énergies sales mais ils avertissaient déjà des limites des mesures adoptées.
L’une d’entre elles concernent les financements de projets. Minimes par rapport aux financements généraux et services aux entreprises dont il sera question dans un futur article, ces types de soutiens financiers s’avèrent toutefois de bons indicateurs des liens entre les banques françaises et ce secteur, le plus climaticide. Les financements de projets sont en effet les plus simples sur lesquels se prononcer, et toute nouvelle centrale à charbon étant clairement incompatible avec un objectif de réchauffement de 2°C maximum, il est logique d’attendre des banques françaises qu’elles commencent par automatiquement exclure toute nouvelle centrale à charbon de leurs financements directs – quels que soit leurs engagements dans le domaine des énergies renouvelables et autres annonces positives de ce type.
Or, on en est loin : si les trois premiers financeurs français du charbon, BNP Paribas, Crédit Agricole et Société Générale, se sont engagés à ne plus financer aucun projet de mine de charbon partout dans le monde, seuls les projets de centrales à charbon dans les pays riches 1 sont désormais automatiquement exclus de leurs soutiens. Les pays riches ne comprenant qu’entre 4,1% et 6,5% des projets de centrales à charbon prévus depuis 2010, c’est donc bien l’immense majorité des projets de nouvelles centrales qui peuvent toujours recevoir le soutien des banques françaises, à condition de respecter toutefois certains critères supplémentaires, notamment technologiques.
La frénésie du Crédit Agricole pour le charbon en Indonésie
En matière de financement de projets, les trois banques françaises ont pris des engagements similaires. Pourtant, et bien que l’absence de transparence de leur part empêche toute certitude, il semblerait que toutes n’en font pas la même application.
Premier exemple, c’est en janvier 2016 que les Amis de la Terre et BankTrack apprenaient que Crédit Agricole et Société Générale avaient rejoint, suite au retrait de BNP Paribas, un groupe de banques pour financer le projet d’extension de la centrale à charbon de Tanjung Jati B en Indonésie 2.
Et ce n’était qu’un début, comme l’illustre le deuxième exemple : nous venons en effet d’apprendre que le Crédit Agricole a été mandaté, avec 4 autres banques, en janvier 2016, pour financer un autre projet d’extension de centrale à charbon en Indonésie : Cirebon 2 3. Comme pour TJB2, rien n’est encore signé et Crédit Agricole peut encore se désolidariser des autres banques et se retirer de ces deux projets 4. Mais son implication dans ces projets incompatibles avec un objectif de réchauffement de 2°C maximum pose un sérieux discrédit à son engagement à tout faire pour que les objectifs de l’Accord de Paris soient atteints voire dépassés, comme le prétend sa signature de l’Appel de Paris 5.
En continuant de financer les projets là où il se développe – comme en Asie du Sud-Est – et en n’excluant de ses financements de projets que les pays riches – où ils deviennent rares – le Crédit Agricole est très loin du rôle actif qu’il prétend jouer dans la lutte contre le changement climatique. Et son implication dans Tanjung Jati B 2 et Cirebon 2 détromperont ceux tentés de croire que les nouvelles politiques des banques françaises suffiraient, malgré leurs limites, à dissuader leurs équipes de s’engager dans de nouveaux projets charbon.
Lettre envoyée au Crédit Agricole, 14 septembre 2016
Punta Catalina : un projet de centrale à charbon parmi les plus sales au monde financé par Société Générale
De son côté, Société Générale finance un projet de centrale à charbon de technologie sous critique en République Dominicaine, le projet de Punta Catalina 6.
Estimé à 2 milliards de dollars, le projet qui comprend notamment la construction de deux unités charbon de 385 MW, est source de vives polémiques. Au-delà des allégations fortes de corruption et de trafic d’influence qui entachent le projet porté par le Président dominicain réélu en 2016 et l’entreprise brésilienne Odebrecht déjà accusée au Brésil pour achat de contrats (affaire Petrobras entre autres), le projet est contesté par sa population en raison de ses impacts sanitaires et environnementaux.
Non seulement le projet émettra bien plus que les deux centrales alimentées au fioul lourd qu’elle remplacera, et augmentera de 20% les émissions par habitant du pays, mais il dégradera le mix énergétique du pays en faisant passer la part de charbon de 14% à 40% de l’électricité produite. Avec ce projet, la République dominicaine ne pourra pas respecter les engagements climat pris par son Président Danilo Medina à la COP21 de réduire les émissions du pays de 25% d’ici 2030.
Société Générale pourra se défendre d’un tel financement en disant que si le premier versement a eu lieu le 31 décembre 2015, la signature de la transaction a eu lieu en mai 2015, donc bien avant ses nouveaux engagements en matière de financements au charbon de novembre 2015, et même avant la révision de sa politique sectorielle sur les centrales à charbon de juillet 2015.
Certes, mais en finançant une centrale de technologie sous-critique avec une efficacité énergétique de 36,53%, Société Générale viole en réalité ses trois politiques sectorielles précédentes, dont la première adoptée en mai 2011 ! Toutes indiquent en effet que seuls les projets avec une efficacité énergétique supérieure à 38% peuvent être financés dans les pays autres que ceux à revenus élevés, ceux avec une efficacité énergétique moindre étant considérés à juste titre comme trop polluants.
En soutenant le projet de Punta Catalina, Société Générale viole donc ses propres politiques sectorielles et la banque doit au plus vite se raviser et se retirer du projet au risque de saper des années d’information et d’avancées concernant les financements au charbon. Il a en effet fallu des années pour pousser les acteurs financiers – des agences de crédit aux exportations aux banques multilatérales de développement en passant par un grand nombre de grandes banques internationales – à exclure progressivement de leurs financements les projets de centrales à charbon ; et on ne peut se permettre de soutenir de nouveau la construction des projets les plus sales alors que l’action climatique doit être accélérée pour tenir les objectifs de la COP21.
Punta Catalina : dossier complet sur Société Générale et le projet
Natixis confirme l’arrêt de ses financements à tous les projets de centrales à charbon
Indispensable à la survie de millions de personnes, l’intransigeance devant l’urgence climatique et l’arrêt de tout financement de nouveaux projets de centrales à charbon est pourtant possible.
C’est un des points majeurs de la politique relative à l’industrie du charbon de Natixis. Publiée en juillet 2016, 9 mois après s’être engagée à réduire ses soutiens au charbon, cette première et unique politique sectorielle publique de la banque arrive 4 ans après celles des autres banques françaises mais les dépasse de beaucoup.
Alors que les autres banques se contentent d’imposer de nouveaux critères au financement de nouveaux projets de centrales à charbon – critères qui reflètent les évolutions du marché – Natixis a compris que seul un arrêt des soutiens à tous les projets de centrales à charbon partout dans le monde permettrait de respecter l’Accord de Paris et de jouer un rôle moteur dans la transition énergétique mondiale. On note d’ailleurs que, contrairement à ses pairs, Natixis reconnaît que le charbon est une énergie en déclin et ne cherche pas à s’abriter derrière des chiffres et arguments dépassés pour défendre un quelconque soutien à des projets injustifiables. Car dans le cas de TJB2 et Cirebon 2, on ne peut s’empêcher de penser que Crédit Agricole n’est en rien motivé par le bien-être de la population indonésienne, mais fait cyniquement primer ses relations avec ses clients japonais sur l’urgence climatique : après le projet de centrale à charbon de Plomin C dans lequel était impliqué Crédit Agricole l’année dernière en Croatie et qui était porté par Marubeni, c’est en effet de nouveau deux entreprises japonaises, Sumitomo et Marubeni, qui se trouvent derrière TJB2 et Cirebon 2.
Analyse de la politique sectorielle de Natixis
En finir avec les projets charbon avant la COP22
Un signal a bien été lancé en 2015 quand les banques françaises adoptaient des mesures de réduction de leurs soutiens au charbon. Mais loin de marquer la fin du charbon, il a uniquement montré que le charbon pouvait être détrôné de sa place de choix dans le mix énergétique mondial et que les objectifs de Paris pouvaient être atteints, à condition de maintenir les efforts dans l’action climatique.
Contrairement à l’année dernière, les banques françaises auront du mal à convaincre de leur engagement dans la lutte contre les changements climatiques sans palier au plus vite certaines failles des mesures qu’elles ont adoptées en 2015, et notamment celle relative au financement de projet de nouvelles centrales à charbon dans les pays du Sud. Car comme l’année dernière, c’est sur leurs soutiens au charbon qu’elles seront jugées, et que le bilan de leur action contre le réchauffement de la planète sera dressé.
Si les Amis de la Terre et BankTrack appellent Crédit Agricole et Société Générale à se retirer immédiatement des projets de TJB2, Cirebon 2, et Punta Catalina, c’est toutes les banques françaises, y compris BNP Paribas, qui doivent annoncer lors de la Climate Week qui se tiendra à New York du 19 au 25 septembre 2016 la fin de tout financement de projet aux centrales à charbon partout dans le monde, sans exception.
Crédit Agricole et BNP Paribas se sont engagés à ne plus financer de projets de centrales à charbon dans les pays à hauts revenus selon la nomenclature de la Banque mondiale quand Société Générale s’est engagée à ne plus en financer dans les pays à hauts revenus de l’OCDE. Selon la base de données Global Coal Plant Tracker, respectivement 6,5% et 4,1% des centrales à charbon annoncées, en demande de permis ou permises depuis le 1er janvier 2010 se trouvent dans des pays dits à hauts revenus selon la nomenclature de la Banque mondiale et des pays à hauts revenus de l’OCDE.
Pour en savoir plus sur les risques climatiques, environnementaux, sanitaires et économiques du projet, lire la note Indonésie : le test climatique du Crédit Agricole et de Société Générale publiée en mai 2016 par Les Amis de la Terre et Greenpeace : https://www.amisdelaterre.org/Indonesie-le-test-climatique-du-Credit-Agricole-et-de-la-Societe-Generale.html
Voir la lettre envoyée par les Amis de la Terre France, Indonésie, Japon ; BankTrack, et Greenpeace Indonésie, Asie du Sud-Est, International, au Crédit Agricole et demandant le retrait de la banque du projet de Cirebon 2, et Tanjung Jati B 2 en Indonésie : https://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/creditagricole_cirebon_14092016.pdf
Voir les précisions sur la violation par Société générale de sa propre politique : https://www.amisdelaterre.org/IMG/pdf/societegenerale_puntacatalina_efficaciteenergetique.pdf