Hypocrisie climatique : les acteurs financiers engagés pour la neutralité carbone jettent de l’huile sur le feu
Après s'être engagées à atteindre la neutralité carbone en rejoignant la Glasgow Financial Alliance for Net Zero (GFANZ), les institutions financières, incluant les grandes banques françaises, ont continué à injecter des centaines de milliards de dollars dans les entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles.
C’est la conclusion d’un nouveau rapport publié aujourd’hui par 13 ONG, dont Reclaim Finance et Les Amis de la Terre France 1 alors que le Forum économique mondial se tient à Davos. Les ONG alertent sur ce manque de respect des impératifs scientifiques et appellent la nébuleuse GFANZ à en finir avec le greenwashing en exigeant des membres individuels l’arrêt rapide de leurs soutiens à l’expansion des énergies fossiles.
Le rapport analyse les soutiens apportés aux plus grands développeurs de projets d’énergies fossiles par les banques, détenteurs et gestionnaires d’actifs membres de GFANZ 2. Il constate que :
- Depuis leur adhésion à GFANZ, 56 des plus grandes banques membres de la Net-Zero Banking Alliance (NZBA) ont fourni US$ 270 milliards à 102 grands développeurs d’énergies fossiles, notamment via 134 prêts et 215 émissions d’actions et d’obligations ;
- 58 des plus grands membres de l’initiative Net Zero Asset Managers (NZAM) détenaient au moins US$ 847 milliards d’actions et d’obligations dans 201 grands développeurs d’énergies fossiles à la fin du mois de septembre 2022 ;
- Seule une poignée d’institutions financières ont adopté des politiques qui restreignent de manière conséquente leurs soutiens aux nouveaux projets d’énergies fossiles et aux entreprises qui les développent 3.
Au total, 229 des plus grands développeurs d’énergies fossiles au monde ont reçu des soutiens financiers de la part des 161 membres de GFANZ couverts dans ce rapport 4. Ces entreprises développent des nouvelles centrales, mines et infrastructures liées au charbon ou des nouveaux champs, pipelines et terminaux pétroliers et gaziers. Tous ces nouveaux projets sont incompatibles avec l’objectif de limiter le réchauffement à 1,5°C, comme le confirme l’édition 2022 du World Energy Outlook de l’Agence internationale de l’énergie, publiée en octobre. Ces nouveaux projets, déployés grâce aux financements et investissements des membres de GFANZ, émettront des gaz à effet de serre pendant des décennies, malgré l’adoption d’objectifs de décarbonation par certains acteurs financiers 5.
Lucie Pinson, fondatrice et directrice de Reclaim Finance, déclare : “La science est très claire : nous devons au plus vite cesser le développement de nouveaux projets de charbon, de pétrole et de gaz si nous voulons tenir nos objectifs climatiques et éviter un scénario catastrophe. Pourtant, c’est business as usual pour la majorité des banques et des investisseurs qui continuent de soutenir sans aucune restriction les entreprises en pleine expansion dans les énergies fossiles, et ce, malgré leurs engagements très médiatisés en faveur de la neutralité carbone. Leur greenwashing est d’autant plus dommageable qu’il jette le doute sur la sincérité de tous les engagements net zero et sape les efforts de ceux qui agissent vraiment pour le climat.”
Bien que la fin des services financiers à l’expansion fossile soit une condition évidente au respect des objectifs visés par GFANZ, aucune de ses alliances membres n’aborde réellement cette question dans ses directives.
La campagne de l’ONU Race to Zero – dont toutes les institutions financières sont devenues signataires en rejoignant les alliances GFANZ – fixe des critères pour atteindre la neutralité carbone pour les institutions financières et autres acteurs non étatiques . Depuis juin 2022, ces critères incluent la fin du financement de nouveaux projets de combustibles fossiles. Si GFANZ a cessé d’exiger que ses membres rejoignent la Race to Zero, les alliances sectorielles en restent des partenaires et s’engagent donc à respecter ses critères. Le rapport de novembre 2022 du Groupe d’experts de haut niveau de l’ONU a à son tour souligné que la crédibilité des engagements net zero requiert la fin des services financiers à l’expansion des énergies fossiles 6.
Lorette Philippot, chargée de campagne finance et énergies fossiles aux Amis de la Terre France ajoute : « La place financière de Paris est bien loin de montrer l’exemple au sein de l’alliance internationale. Depuis qu’elles affichent haut et fort leur engagement pour la neutralité carbone, les grandes banques françaises ont financé à grand renfort de milliards les entreprises qui prévoient de nouvelles bombes climatiques. BNP Paribas en fait partie ! Mise en demeure fin octobre 2022 par trois ONG de renoncer à ses soutiens massifs à l’expansion pétrolière et gazière, elle devra en répondre devant la justice si elle ne change pas urgemment de cap. 7«
Depuis qu’elles sont membres fondateurs de l’alliance NZBA, les deux grandes banques françaises BNP Paribas et Société Générale ont été respectivement impliquées dans 30 et 33 transactions apportant US$ 7.1 milliards et US$ 6.6 milliards à une dizaine d’entreprises développant de nouveaux projets d’énergies fossiles, dont TotalEnergies qui est le premier développeur européen de projets de production de pétrole et de gaz. Le Crédit Agricole, qui a rejoint la NZBA en juin 2021, compte 46 transactions apportant un total de US$ 6,3 milliards à une vingtaine de développeurs. Quant à sa filiale de gestion d’actifs, Amundi, membre de l’alliance NZAM, il détenait US$ 17 milliards dans 136 entreprises développant des projets d’énergies fossiles au mois de septembre 2022 8.
Lisez le rapport complet « Throwing Fuel on the Fire : GFANZ financing of fossil fuel expansion« . Ce rapport est co-publié par Reclaim Finance, Les Amis de la Terre France, Asian Peoples’ Movement On Debt and Development, BankTrack, Centre for Environmental Rights, Collectif BreakFree Suisse, Rainforest Action Network, Recommon, Sierra Club, Stand Earth, Sunrise Project, Urgewald et 350.org. GFANZ a été lancée en avril 2021 et s’est “engagée à accélérer et à généraliser la décarbonation de l’économie mondiale et à atteindre des émissions nettes nulles d’ici 2050. » Les sept alliances sectorielles de GFANZ représentent des détenteurs et des gestionnaires d’actifs, des banques et des assureurs, ainsi que des consultants financiers et des fournisseurs de données et d’autres services financiers. Ces alliances comptent plus de 550 membres de 50 pays, dont un grand nombre des institutions financières les plus puissantes au monde. Les membres de GFANZ inclus dans le rapport ont été sélectionnés en fonction de la taille de leurs actifs. Notre recherche financière a été réalisée par l’institut de recherche Profundo en s’appuyant principalement sur les données de Bloomberg, Refinitiv et IJGlobal. Nos données couvrent la période allant de la date à laquelle chaque institution a rejoint GFANZ jusqu’en septembre 2022.
Données financières arrêtées fin septembre 2022. Les institutions financières explicitement mentionnées dans le rapport ont été contactées par Reclaim Finance et ont eu la possibilité de consulter les données financières avant la publication du rapport. Une méthodologie détaillée est incluse dans l’annexe 11 du rapport.
Sur les 161 membres de GFANZ couverts dans ce rapport et évalués dans le Coal Policy Tool de Reclaim Finance, seuls 61 ont une politique qui exclut un soutien significatif aux entreprises développant certains types de nouveaux projets de charbon. Selon le Oil and Gas Policy Tracker de Reclaim Finance, seule la banque française La Banque Postale a une politique solide qui met fin au soutien aux entreprises pétrolières et gazières développant de nouveaux projets de production.
Nous avons recherché des financements pour 368 grands développeurs de charbon répertoriés dans la Global Coal Exit List (GCEL), plus les 91 plus grandes entreprises impliquées dans l’exploration et le développement de nouveaux champs, et les 77 plus grandes entreprises développant des oléoducs et gazoducs et des terminaux GNL, tels que répertoriés dans la Global Oil and Gas Exit List (GOGEL). Sur ces 493 entreprises, 229 ont reçu des financements des membres de GFANZ dans le cadre de notre recherche. Nous évaluons les financements et les politiques de la Net Zero Banking Alliance, de la Net Zero Asset Managers Initiative, de la Net-Zero Asset Owner Alliance et de la Net-Zero Insurance Alliance.
Le rapport souligne la limite fondamentale de l’approche climatique aujourd’hui retenue par la majorité des acteurs financiers et qui consiste à adopter uniquement des cibles de décarbonation de moyen terme sans pour autant se doter de mesures permettant d’aligner immédiatement leurs activités avec une trajectoire 1,5°C. L’adoption d’objectifs de décarbonation vise principalement la gestion du risque financier au sein d’un portefeuille, alors qu’une approche en double matérialité, visant une prévention des impacts négatifs causés par les services financiers nécessiterait de ne plus fournir de services financiers soutenant des activités intrinsèquement incompatibles avec les objectifs de durabilité.
Lire le rapport Integrity Matters: Net Zero Commitments By Businesses, Financial Institutions, Cities And Regions, High-Level Expert Group on the Net-Zero Emissions Commitments of Non-State Entities, Novembre 2022.
Le 26 octobre 2022, BNP Paribas a été mise en demeure par les Amis de la Terre France, Oxfam France et Notre Affaire à Tous de respecter la loi sur le devoir de vigilance, en mettant en premier lieu fin à ses soutiens au développement des énergies fossiles. La banque dispose ensuite de trois mois pour se mettre en conformité, délai à partir duquel, en l’absence de réponse satisfaisante, les ONG pourront se tourner vers le juge. Voir le site affaire-bnp.fr.