Climat : le gouvernement s’engouffre dans la fausse solution des engrais « bas carbone »
Le 1er juin, lors de l’assemblée générale de l’Unifa (l’Union des Industries de la Fertilisation), le directeur adjoint du cabinet de la Ministre de la Transition Énergétique, Pierre Jérémie, a annoncé l’ouverture de travaux interministériels pour encourager la production et la vente d’engrais “bas carbone”.
Le gouvernement entend 1 par la même occasion faire marche arrière sur la création d’une taxe sur les engrais azotés, prévue d’ici 2024 par la Loi Climat de 2021. Les Amis de la Terre alertent le gouvernement sur le fait que le recours aux engrais de synthèse “bas carbone” est une fausse solution, désastreuse pour le climat et la santé, et demandent le maintien de l’objectif de mise en oeuvre de cette taxe essentielle pour enclencher la transition agroécologique.
Face aux difficultés d’approvisionnement liées à la guerre en Ukraine, et alors que l’impact climatique des engrais est sous le feu des critiques, les agro-industriels ont annoncé s’être lancés dans la production d’engrais soi-disant “bas carbone”2. Le gouvernement s’engouffre aujourd’hui dans cette brèche dangereuse. Il a annoncé hier explorer diverses “pistes” pour réduire l’empreinte carbone des engrais, en répliquant notamment le principe de la taxe incitative à l’incorporation de biocarburants (TIRIB), dont le taux serait inversement proportionnel à la part d’engrais “verts” dans le total des engrais vendus.
“les engrais décarbonés ne sont qu’un vaste mirage censé permettre à cette industrie polluante de perpétuer ses activités, et qui nous éloigne encore un peu plus d’une véritable transition agroécologique. Le gouvernement tombe les deux pieds dans ce piège. De quoi ravir les industriels des énergies fossiles et des engrais !”
L’une des principales pistes avancée par les industriels pour fabriquer des engrais “décarbonés” serait d’utiliser de l’hydrogène vert (issu des énergies renouvelables) dans leur fabrication en remplacement du gaz fossile 3. Or, aujourd’hui, l’hydrogène provient encore à 98% d’énergies fossiles et il faudrait 20 ans au moins pour produire 100% de l’ammoniac (qui est à la base de la production d’engrais et est dérivé de l’hydrogène) utilisé actuellement de manière renouvelable 4. L’hydrogène vert étant encore rare et difficile à produire, il coûte 2 à 4 fois plus cher que l’hydrogène produit à partir d’énergies fossiles 5. Les engrais “verts” ne sont donc pas plus rentables à court terme que les engrais chimiques dont le prix ne cesse d’augmenter (+300% en 1 an en 2022). De plus, il implique des risques explosifs, et l’épandage d’engrais de synthèse, si décarbonée que soit leur production, continuerait à être fortement émetteur de protoxyde d’azote, un gaz près de 300 fois plus réchauffant que le CO2. Par conséquent, loin d’être la solution miracle promue par l’industrie, les engrais décarbonés continueront à polluer nos sols et notre atmosphère et à financer les énergies fossiles, alors même qu’il est nécessaire d’en sortir au plus vite pour atteindre nos objectifs de lutte contre le réchauffement climatique, et de réduire les autres pollutions qui s’y attachent.
Le gouvernement doit prendre ses responsabilités et engager la France dans la sortie des énergies fossiles, et cela passe par une diminution drastique de notre dépendance aux engrais de synthèse. Les solutions, nous les connaissons : restructuration de la TGAP, soutien d’ampleur à l’agriculture biologique qui traverse aujourd’hui une grave crise ; déploiement des cultures de légumineuses pour retrouver le cycle naturel de l’azote ; sortie de l’élevage intensif à l’origine de fortes pollutions de l’air et de l’eau au protoxyde d’azote et aux nitrates. Plutôt que de favoriser encore et toujours une industrie polluante dans l’impasse, il est grand temps que nos dirigeants mettent en cohérence leurs paroles et leurs actes et prennent des mesures à la hauteur de l’urgence.