Droits humains: l’alliance incestueuse de l’UE et des lobbies contre un traité international contraignant pour les multinationales
Le 15 octobre 2018 – Plus de 100 organisations et mouvements sociaux du monde entier se retrouvent à Genève aujourd’hui pour soutenir l'adoption d'un traité onusien permettant de tenir les multinationales légalement responsables pour les violations des droits humains qu’elles commettent.
Une enquête des Amis de la Terre France, du CETIM, de l’Observatoire des multinationales et du Transnational Institute (TNI) révèle comment l’Union européenne s’oppose au processus depuis ses débuts, en portant les mêmes arguments que les lobbies du secteur privé, et en défendant obstinément des normes volontaires inefficaces. Le rapport Impunité made in Europe contient également une série d’études de cas contredisant par des faits concrets les discours selon lesquels les entreprises européennes seraient plus « vertes » et « responsables ».
Ces études de cas montrent qu’il y a un besoin urgent d’adopter un traité contraignant afin de combler les lacunes juridiques aux niveaux national et international, et de s’attaquer aux structures juridiques complexes des multinationales, pour que les sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre soient enfin tenues légalement responsables pour leurs opérations dans le monde entier.
Cette semaine se tient à l’ONU à Genève la quatrième session du groupe de travail intergouvernemental chargé d’élaborer un traité contraignant visant à réguler les activités des multinationales en matière de droits humains. Les États seront amenés à négocier sur la base de l’avant-projet (« zero Draft ») publié cet été.
Depuis quatre ans, l’Union européenne a multiplié les manœuvres obstructives pour miner le processus de l’intérieur. Elle demande notamment que les multinationales soient associées aux négociations, suivant la tendance croissante à l’ONU et à Bruxelles de légitimer la participation du secteur privé et l’inviter à « co-écrire » les régulations qui lui sont applicables.
Selon Juliette Renaud, des Amis de la Terre France, « Dans ces négociations à l’ONU, l’Union européenne dit exactement la même chose, avec les mêmes arguments et parfois les mêmes mots, que les lobbies des multinationales comme la Chambre de commerce internationale ou l’Organisation internationale des employeurs. L’expérience française de l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance, retardée et affaiblie par l’opposition féroce du secteur privé, nous prouve que les lobbies des multinationales feront tout ce qui est possible pour affaiblir l’ambition du futur traité et faire échouer les négociations. Il faut prendre des mesures pour protéger le processus onusien de cette influence néfaste des lobbies ! ».
Raffaele Morgantini, du CETIM, souligne que « le lobbying du secteur privé a toujours joué un rôle central contre les tentatives d’élaboration de normes juridiques contraignantes sur les multinationales, vues comme des dangers pour leurs intérêts commerciaux et pour la maximisation des profits. Ainsi, ce phénomène, est désormais partie intégrante du système des Nations Unies. La stratégie employée par les multinationales et leurs lobbies peut être séparée en deux volets principaux : la délégitimation du processus pour le traité et le recours à des moyens de pression, chantage et/ou des menaces vis-à-vis des États. Nous devons nous opposer à cette tendance destructive et reprendre en main le système des Nations Unies : il y va de l’avenir de la démocratie et de la justice sociale. »
Mónica Vargas, du Transnational Institute (TNI), commente : « Un traité contraignant solide pour réguler les multinationales en matière de droits humains changera les règles du jeu dans l’arène du droit international des droits humains. Les négociations sur le texte du Traité qui commencent cette semaine à Genève ouvrent la voie à une feuille de route inédite – marquant la fin de l’autorégulation volontaire inefficiente et de la capture de l’espace politique par les lobbies. Les études de cas de ce rapport, qui impliquent des multinationales européennes, montrent l’impunité qui prévaut aujourd’hui, avec pour conséquence un déni de justice pour les communautés affectées. Il est temps d’agir de façon décisive pour mettre fin à la « capture du régulateur » par les lobbies du secteur privé. C’est notre appel aux États membres de l’UE et à tous les États membres des Nations Unies. »
C’est le premier rapport d’envergure initié par le nouveau réseau ENCO (European Network of Corporate Observatories). « Cette publication n’aurait pas été possible sans les activités d’investigation et les contributions de nombreuses organisations de la société civile et médias d’Europe et de pays du Sud », explique Olivier Petitjean, de l’Observatoire des multinationales. « Ce type de collaboration est essentiel pour voir à travers les beaux discours des multinationales et apporter la perspective des communautés affectées, des travailleurs et des citoyens au débat, ce que les représentants officiels de l’UE ne font clairement pas ».
Contacts presse :
- Juliette Renaud, Amis de la Terre France : juliette.renaud@amisdelaterre.org (français, anglais, espagnol)
- Raffaele Morgantini, CETIM : contact@cetim.ch (français, anglais, espagnol, italien, portugais)
- Mónica Vargas, TNI: m.vargas@tni.org (français, anglais, espagnol)
- Olivier Petitjean, Observatoire des multinationales: opetitjean@multinationales.org (français, anglais)
Note :
(1) Le rapport « Impunité Made in Europe – Les liaisons dangereuses de l’UE et des lobbies contre le traité ONU sur les multinationales » est disponible en ligne:
Cette publication est basée sur les contributions de nombreuses organisations et experts de l’Europe entière et de pays du Sud, réunis à l’initiative du réseau ENCO (European Network of Corporate Observatories), collaboration d’organisations de la société civile et de médias dédiée à l’investigation et à la veille sur les multinationales.
Les versions intégrales des études de cas sont disponibles en anglais :
– KiK et l’incendie de Karachi : un test pour la responsabilité des donneurs d’ordre internationaux – par Goliathwatch (Allemagne)
– Syngenta : des produits agrochimiques toxiques en Inde – par MultiWatch (Suisse)
– Shell dans la Patagonie argentine – par Observatorio Petrolero Sur (Argentine)
– Salini et le complexe hydroélectrique Gibe en Éthiopie – par Re:Common (Italie)
– Le corridor éolien de l’isthme de Tehuantepec (Oaxaca, Mexique) – par Observatorio de Multinacionales en América Latina (Espagne)
– AATIF et Agrivision Africa : les lacunes du « développement » mené par le secteur privé – par ASTM (Luxembourg) & FIAN (Allemagne)
– La Société Générale et les exportations américaines de gaz – par Amis de la Terre France
– G4S dans les Territoires occupés palestiniens – par Novact (Espagne)
– BHP et l’effondrement du barrage minier de Samarco au Brésil – par War on Want & London Mining Network (Grande-Bretagne)
– Groupe Bruxelles Lambert : une responsabilité des actionnaires ? – par Observatoire des multinationales (France) & Gresea (Belgique) – à lire en français ici.
– Pollutions et violences autour d’une mine de Glencore au Pérou – par MultiWatch (Suisse)
– Indra Sistemas : des armes pour la guerre et pour militariser les frontières – par Centre Delàs (Espagne)
– Volkswagen et le scandale du Dieselgate – par Goliathwatch (Allemagne)
– ACS et le projet de stockage de gaz Castor – par ODG (Espagne)
– Engie et le barrage de Jirau – par Observatoire des multinationales (France)
– Crédit Suisse et le scandale des emprunts secrets du Mozambique – par MultiWatch (Suisse)