personnes affectées par EACOP et Tilenga
Multinationales
Communiqué de presse27 juin 2023

Justice : les communautés affectées par Tilenga et EACOP demandent réparation à Total

26 membres des communautés affectées par le méga-projet pétrolier de Total en Ouganda, le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura et cinq associations françaises et ougandaises lancent une nouvelle action en justice contre la multinationale française.

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Presse

Total au tribunal : les communautés ougandaises attaquent le géant pétrolier français

Il s’agit cette fois-ci d’une action en réparation car les violations des droits humains causées par ses projets Tilenga et EACOP, que la première action en justice lancée en 2019 visait à empêcher, se sont désormais réalisées faute de décision judiciaire rapide sur le cœur de l’affaire 1. En manquant à son devoir de vigilance, Total a causé de graves préjudices aux demandeurs, notamment concernant leurs droits à la terre et à l’alimentation. Ils sollicitent donc la condamnation de l’entreprise à les indemniser.

La bataille judiciaire contre Total reprend en France, à l’initiative de 26 personnes directement affectées par ses projets pétroliers Tilenga et EACOP en Ouganda. Avec les associations AFIEGO, les Amis de la Terre France, NAPE/Amis de la Terre Ouganda, Survie et TASHA Research Institute, ainsi que le défenseur des droits humains Maxwell Atuhura 2, elles viennent d’assigner Total en justice sur le fondement de la loi sur le devoir de vigilance.

Ce recours, déposé au tribunal judiciaire de Paris, vise à engager la responsabilité civile de Total et à demander réparation pour les violations des droits humains causées depuis 6 ans en Ouganda. Il démontre clairement le lien de causalité entre les défaillances dans l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance de Total d’une part, et les préjudices subis d’autre part.

Ainsi, Total n’a pas identifié les risques relatifs aux atteintes graves liées à son méga-projet pétrolier ; elle n’a pas davantage agi quand elle a été alertée de leur existence, et elle n’a pas non plus mis en œuvre de mesures correctives une fois les violations des droits humains survenues. À titre d’exemple, aucune mesure relative aux déplacements de population, à la limitation d’accès à leurs moyens de subsistance ou encore aux menaces aux défenseurs des droits humains n’apparaît dans les plans de vigilance de Total de 2018 à 2023. Pourtant, ces risques pouvaient être facilement identifiés en amont puisque l’entreprise a choisi d’implanter ces projets impliquant des expropriations massives dans deux pays autoritaires.

L’ampleur des violations commises dans le cadre des projets Tilenga et EACOP est largement documentée et a été dénoncée par divers acteurs (société civile, Parlement européen, Rapporteurs spéciaux des Nations unies) 3 :

  • les personnes affectées par les projets Tilenga et EACOP ont été privées de la libre utilisation de leurs terres avant même de recevoir une compensation, et ce pendant plus de trois ou quatre ans, en violation de leur droit de propriété ;
  • cela a entraîné la privation de leurs moyens de subsistance, et donc des situations de graves pénuries alimentaires, voire de famine dans certaines familles, en violation de leur droit à une alimentation suffisante ;
  • à partir de 2022, les terres de certains villages ont été fortement impactées par des inondations répétées causées par la construction de l’usine de traitement du pétrole (CPF) du projet Tilenga ;
  • seule une minorité de personnes ont pu bénéficier d’une compensation en nature (maison et terre de remplacement), et pour les autres, la compensation financière était largement insuffisante ;
  • la cession des terres à Total s’est faite dans de très nombreux cas suite à des pressions et intimidations, le consentement des personnes affectées était donc vicié ;
  • plusieurs demandeurs ont subi menaces, harcèlement et arrestations simplement car ils avaient osé critiquer les projets pétroliers en Ouganda et en Tanzanie et défendre les droits des communautés affectées.

Dickens Kamugisha, directeur général d’AFIEGO, explique : « AFIEGO documente presque chaque semaine des injustices commises à l’encontre des personnes affectées par les projets Tilenga et EACOP. Ces injustices vont de l’indemnisation insuffisante et tardive, à la construction de logements de remplacement trop petits et inadaptés pour les familles affectées, entre autres. Des personnes âgées et même des jeunes se plaignent d’être obligés de vivre à quelques mètres de l’EACOP. Les injustices sont trop nombreuses ! Nous espérons que le tribunal civil de Paris condamnera Total et rendra justice aux communautés ».

Pour Juliette Renaud, responsable de campagne aux Amis de la Terre France : « Les projets Tilenga et EACOP sont devenus emblématiques, dans le monde entier, des ravages du pétrole sur les droits humains et l’environnement. Les communautés affectées doivent obtenir justice pour les violations commises par Total ! Cette nouvelle bataille est celle de celles et ceux dont la vie et les droits ont été piétinés par Total. Nous saluons leur courage de s’opposer à cette puissante multinationale malgré les menaces qu’ils subissent, et demandons à la justice française de réparer ces préjudices pour ainsi mettre fin à l’impunité de Total ».

Frank Muramuzi, directeur exécutif de NAPE/Amis de la Terre Ouganda, s’indigne : « Il est inacceptable que les compagnies pétrolières étrangères continuent de réaliser des superprofits alors que les communautés affectées par leurs projets en Ouganda sont harcelées, déplacées, mal indemnisées et vivent dans une pauvreté abjecte sur leurs propres terres ».

Selon Pauline Tétillon, co-présidente de Survie : « Contrairement à ce que prétend Total, son méga-projet pétrolier est loin de contribuer au développement des communautés ougandaises : c’est un projet néocolonial qui n’a fait que menacer l’avenir de dizaines de milliers de personnes dans un pays autoritaire où toute contestation est étouffée voire réprimée. La loi sur le devoir de vigilance, bien qu’elle contraigne les communautés à un combat de David contre Goliath en leur faisant porter la charge de la preuve, leur offre la possibilité de demander justice en France et de faire enfin condamner Total pour ses violations à répétition des droits humains ».

Maxwell Atuhura, directeur de TASHA, conclut : « Nous travaillons avec les personnes affectées et les défenseurs des droits humains et de l’environnement, qui sont intimidés et harcelés dans leur région d’origine, y compris moi-même, en raison des projets pétroliers de Total en Ouganda. Maintenant, nous disons « ça suffit ! », nous devons défendre absolument la liberté d’expression et d’opinion, nos voix comptent pour un avenir meilleur ».

Retrouvez via ce lien le dossier de presse complet avec plus de détails sur l’assignation et des citations de personnes affectées parties à l’action.

Notes
1

En octobre 2019, les Amis de la Terre France, Survie, AFIEGO, CRED, NAPE/Amis de la Terre Ouganda et NAVODA avaient assigné Total en justice en utilisant la procédure de référé, qui doit normalement permettre un processus judiciaire plus rapide au vu notamment de l’urgence d’une situation. Après une première bataille procédurale de deux ans sur le tribunal compétent, remportée par les associations, le tribunal judiciaire de Paris a déclaré le recours inadmissible en février 2023 au nom d’un motif procédural controversé. Cette action en justice n’a donc fait l’objet d’aucune décision sur le cœur du dossier, à savoir si Total respecte ou non son devoir de vigilance.

2

Associations françaises et ougandaises parties au recours : AFIEGO, les Amis de la Terre France,  NAPE/Amis de la Terre Ouganda, Survie et TASHA Research Institute

3

Voir notamment: