La raffinerie de Total La Mède devant le tribunal pour son projet climaticide
Plus de deux ans et demi après le dépôt d’un recours de plusieurs ONG devant le tribunal administratif de Marseille, une audience portant sur l’autorisation préfectorale accordée à la raffinerie de Total à La Mède s'est tenue le 11 mars 2021. Explications sur ce projet de raffinerie plus que contestable.
Lancement de l’affaire devant les tribunaux
Six associations dont les Amis de la Terre ont déposé un recours en juillet 2018 afin de faire annuler l’autorisation environnementale de cette raffinerie 1. L’étude d’impact de Total, sur la base de laquelle l’État a autorisé le projet, ne mentionnait ni un plan d’approvisionnement détaillé, ni les effets désastreux de l’huile de palme sur l’environnement.
Une nouvelle analyse en défaveur de Total
Une nouvelle analyse 2 de l’impact de la raffinerie sur la déforestation en Indonésie et sur les émissions directes de gaz à effet de serre associées démontre qu’elle pourrait émettre au minimum 1,5 million de tonnes d’émissions de CO2, soit trois trimestres cumulés d’émissions de gaz à effet de serre de la ville de Marseille.
La décision du tribunal sera rendue début avril 2021.
Quand Total bénéficie d’une autorisation auprès du Préfet
En 2015, Total avait annoncé son intention de transformer la raffinerie située dans les Bouches-du-Rhône, avec l’objectif d’en faire en 2017 « l’une des plus grandes bioraffineries d’Europe ».
L’autorisation de poursuite d’exploitation donnée par le Préfet des Bouches-du-Rhône à Total permet à cette dernière d’importer jusqu’à 650 000 tonnes d’huile de palme par an pour produire des agrocarburants à destination de véhicules routiers et très probablement d’avions. Elle apparaît aujourd’hui en complet décalage avec les risques environnementaux reconnus par le Parlement, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat.
La production d’huile de palme a des conséquences très graves sur les forêts tropicales, et donc sur le climat et la biodiversité dans les pays producteurs, notamment en Indonésie et Malaisie 3.
Que retient-on de l’audience de mars 2021 ?
Selon le Rapporteur public, cette autorisation préfectorale doit être en partie annulée et modifiée compte tenu de plusieurs illégalités, notamment en raison de l’absence d’évaluation des impacts climatiques du projet par Total, ce qui a nui à une information complète du public. Le Rapporteur considère également que les prescriptions du préfet pour limiter ces impacts sont très insuffisantes, les importations étant non limitées dans le temps et en volume.
A l’audience, la Préfecture a défendu une approche “pragmatique”, soulignant l’impossibilité pour ses services de contrôler et apprécier les impacts climatiques de la raffinerie de La Mède
Les associations s’appuient sur un rapport d’investigation, « Total carbure à la déforestation à La Mède » qui, grâce à une enquête de terrain effectuée en Indonésie, rassemble des éléments prouvant que, contrairement à ce que prétend Total, l’huile de palme utilisée pour la bioraffinerie de la Mède est très loin d’être garantie 100 % « durable » 4.
Elles demandent donc au tribunal de reconnaître que Total aurait dû analyser précisément ces impacts dans les pays producteurs et que l’Etat n’aurait pas dû autoriser un tel projet. La multinationale, qui réalise 200 milliards de dollars de chiffre d’affaires (2019) et 11,8 milliards de résultat net ajusté 5, ne peut pas faire l’économie de cette évaluation et ses certificats de durabilité ne sauraient l’en dispenser.
Les recours déposés par les associations ont également mis en avant les manquements de l’Etat dans ce dossier et les risques de conflit d’intérêt. Contrairement à la loi, l’évaluation environnementale n’a pas été conduite de manière indépendante puisque c’est le préfet de département et de région qui, d’un côté, a autorisé le projet et qui a aussi, de l’autre, rendu l’avis sur l’étude d’impact de ce même projet. La France ne respecte pas le droit de l’Union européenne sur ce sujet, depuis de nombreuses années maintenant.
Pour les associations, la justice administrative doit faire primer l’intérêt général sur celui des industriels, comme l’ont fait récemment le tribunal administratif de Paris et le Conseil d’Etat qui ont pris en compte la menace que l’urgence climatique fait planer sur les populations dans les dossiers de Grande-Synthe et Affaire du siècle.
Que se passera-t-il à la suite de l’audience ?
Si l’avis du Rapporteur public est suivi par le tribunal administratif de Marseille, cela constituera une avancée majeure pour la prise en compte des impacts sur l’environnement. Concrètement cela signifie que Total et la Préfecture devront revoir complètement leur copie en réalisant une nouvelle étude d’impact et enquête publique qui pourraient donner lieu à un nouvel arrêté préfectoral.
Les associations requérantes ont toutefois plaidé pour que, compte tenu de l’urgence et de l’importance des enjeux environnementaux, le tribunal conclue à une annulation totale de l’arrêté d’exploitation, sans laisser la possibilité à Total d’une session de rattrapage. Le temps n’est plus à la régularisation a posteriori. Il appartient à Total de gérer l’avenir de ce site industriel en assurant une reconversion juste du personnel, et de cesser de présenter de façon mensongère les agrocarburants comme “une solution positive pour le climat”.
Source : « Analyse de l’impact de la raffinerie Total La Mède sur la déforestation en Indonésie et sur les émissions directes de GES associées » produite devant le tribunal.
Selon des chiffres publiés par le Ministère indonésien de l’Environnement et des Forêts, environ 24 millions d’hectares de forêts tropicales indonésiennes ont été détruits entre 1990 et 2015. Rien qu’en Indonésie, c’est l’équivalent de 146 terrains de football de forêts tropicales qui ont été perdus chaque heure entre 2012 et 2015, soit un terrain de football toutes les 25 secondes .
En 2019 et 2020, le Conseil constitutionnel et le Conseil d’Etat ont confirmé l’exclusion de l’huile de palme des avantages fiscaux compte tenu du fait « que la culture de l’huile de palme présente un risque élevé, supérieur à celui présenté par la culture d’autres plantes oléagineuses, d’induire indirectement une hausse des émissions de gaz à effet de serre ».
Article Greenpeace « Total carbure à la déforestation à la Mède«