Mozambique LNG : les institutions financières ne se prononcent pas sur les graves allégations de violations de droits humains
Aucun des financeurs – auxquels figurent Société Générale et Crédit Agricole – du très controversé projet Mozambique LNG n'a accepté d'appeler à une enquête internationale indépendante sur le massacre présumé de civils, qui aurait été commis près des locaux de TotalEnergies à la mi-2021 par les forces de sécurité publique mozambicaines.
Aujourd’hui, une coalition de 126 organisations société civile mozambicaines et internationales 1 publie une lettre, envoyée en décembre dernier aux 31 institutions financières 2 impliquées dans le projet Mozambique LNG. La lettre contient de nouvelles informations sur les risques associés au projet, ainsi que les principales demandes de ces ONG.
La coalition demande aux institutions financières de soutenir l’appel 3 à une enquête internationale indépendante sur le massacre présumé de civils, qui aurait été commis près des locaux de TotalEnergies à Afungi entre juillet et septembre 2021, par des forces de sécurité publique affirmant être en charge de la protection du site gazier. La coalition souligne la nécessité que l’enquête soit menée par un mécanisme intergouvernemental international ou régional de défense des droits humains – tel que le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme (OHCHR) ou la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples. La coalition exhorte en outre les financeurs du projet à mettre fin à leur soutien à Mozambique LNG et à suspendre ce soutien si la force majeure – une étape juridique nécessaire à la reprise du projet – est levée, jusqu’à ce que tous les faits et responsabilités aient fait l’objet d’une enquête et que les résultats de cette enquête soient rendus publics.
Au 17 janvier, seules 14 institutions financières sur 31 avaient répondu – Crédit Agricole, Société Générale, ABSA, Atradius DSB, FirstRand, JBIC, JOGMEC, Mizuho, MUFG, SMBC, Standard Bank, Standard Chartered, Sumitomo Mitsui Trust et UKEF. Dans leurs réponses, la plupart des institutions ont accusé réception, et certaines, comme FirstRand, Standard Chartered et UKEF, ont dit prendre note des préoccupations soulevées dans la lettre. Mais aucune n’a indiqué être en faveur d’une enquête internationale indépendante. Aucune des 31 institutions financières ne s’est exprimée publiquement sur le massacre présumé de civils et les autres violations de droits humains rapportées en lien avec le projet Mozambique LNG.
Des opérations se déroulant dans un contexte de manifestations, de répression et de conflit
Depuis la mi-octobre 2024, le Mozambique connaît « au quotidien un niveau sans précédent de manifestations publiques » dans tout le pays, déclenchées suite aux allégations de fraude électorale et à l’assassinat brutal de deux figures de l’opposition 4. La réponse des autorités mozambicaines est « entachée par de graves violations de droits humains, notamment des meurtres, des actes de torture et des disparitions forcées » 5. Au 15 janvier 2025, le nombre total de morts s’élevait à 303, 619 personnes blessées par balle et 4228 personnes détenues depuis le 21 octobre. Les organisations de la société civile ont fait appel aux Nations Unies pour qu’elles interviennent.
En plus des manifestations, l’insurrection en cours dans la région de Cabo Delgado où se situe le projet de TotalEnergies reste active, et la sécurité y est restée précaire tout au long de l’année 2024 6. Les moteurs de l’insurrection et ceux des manifestations post-électorales sont les mêmes, et sont notamment sociaux-économiques. Comme l’indiquent de multiples analyses d’experts, la clé pour mettre fin à l’insurrection locale est de s’attaquer à ces facteurs.
Anabela Lemos, de Justiça Ambiental! / Les Amis de la Terre Mozambique, met en garde : « Ce projet comporte de nombreux risques, en particulier de violations des droits humains. L’exploitation du gaz est de toute évidence un catalyseur qui fournit des fonds et des ressources à un gouvernement responsable de violences envers les citoyens. Ni le gouvernement mozambicain ni TotalEnergies ne peuvent se voir confier la responsabilité de mener des enquêtes crédibles et objectives sur des violations de droits avec lesquelles ils pourraient être liés. Les financeurs du projet Mozambique LNG doivent – par souci de moralité et de justice – réexaminer leur soutien à ce projet ainsi que leurs engagements en matière de droits humains. (Anabela Lemos est directrice de Justiça Ambiental! et lauréate 2024 du prix Right Livelihoods).
Suite à la publication en septembre 2024 d’un article par Politico faisant état d’un massacre présumé de civils, le ministère mozambicain de la Défense a réfuté ces allégations. Une analyse interne réalisée par Mozambique LNG a indiqué n’avoir identifié aucune information corroborant les allégations de l’article. Fin décembre, le bureau du procureur général du Mozambique aurait ouvert une enquête sur ces allégations et aurait entendu le directeur de Mozambique LNG, Maxime Rabilloud.
Des parlementaires néerlandais ont exprimé leur préoccupation quant à ces allégations et souligné la nécessité d’une enquête indépendante sur le massacre présumé. Une motion soumise à ce sujet en décembre par le Parlement des Pays-Bas est actuellement en attente d’une réponse formelle du ministre néerlandais des Finances.
Kate DeAngelis, de Friends of the Earth US, réagit : « Les gouvernements, par l’intermédiaire de leurs agences de crédit à l’exportation et de financement du développement, fournissent des soutiens financiers clés à l’exploitation gazière dans le nord du Mozambique. Sous la première administration Trump, la US Export-Import Bank a approuvé près de 5 milliards de dollars de soutien au projet Mozambique LNG. Le président Biden n’a pour sa part pas cédé à la pression du PDG de TotalEnergies Patrick Pouyanné, et n’a pas débloqué les fonds nécessaires à la relance de Mozambique LNG au cours de son mandat. Il est probable que la deuxième administration Trump fasse passer en force ce financement, malgré les atrocités commises. Dans ce contexte, les autres États impliqués dans le projet, dont les Pays-Bas et le Royaume-Uni, ont une responsabilité encore plus grande de s’opposer à l’alliance de Trump avec l’industrie des énergies fossiles.«
Des violations en matière de processus d’expropriation et de compensation persistent
La lettre adressée aux institutions financières fait état de violations de droits humains non résolues dans le cadre de l’expropriation de centaines de familles. Plus de 1300 plaintes ont été reçues par l’ONG mozambicaine Justiça Ambiental!. Aucune des institutions financières n’a commenté ces éléments.
Lors d’une récente réunion qui s’est tenue pour tenter de résoudre certains des problèmes liés à ce processus, un certain nombre de membres de communauté affectées se sont prononcés contre une proposition qui les priverait de toute possibilité de gagner leur vie, y compris de cultiver de la nourriture. Par la suite, dix d’entre eux ont été convoqués par la police. Justiça Ambiental!, qui apporte son soutien aux communautés impactées par des méga-projets au Mozambique, a constaté que cette tactique est utilisée envers d’autres communautés dans le pays pour faire taire les voix critiques. Anabela Lemos déclare : « L’intimidation a un impact considérable sur le sentiment de sécurité des individus lorsqu’ils participent à des réunions et à des négociations relatives à leurs droits, et est particulièrement menaçante dans le contexte du conflit en cours dans la région. »
Les financeurs de Mozambique LNG exhortés à garantie la justice pour les personnes victimes du projet et du massacre présumé
TotalEnergies a demandé aux financeurs de Mozambique LNG de lui renouveler leur soutien en vue de la reprise du projet. La coalition qui leur a adressé la lettre considère que les soutiens financiers ne peuvent et ne doivent pas être renouvelés sans une réévaluation approfondie du projet, y compris concernant les récentes allégations de liens avec de graves violations des droits humains.
Les institutions financières publiques et privées adoptent une stratégie de silence complice. Depuis qu’elles ont décidé de soutenir Mozambique LNG à la mi-2020, des risques identifiés de longue date se sont concrétisés en impacts réels, des tragédies humaines se sont répétées et ont été documentées, et Total a continué à se montrer indigne de confiance.
Lorette Philippot conclut : « Ces banques, et en particulier Société Générale et Crédit Agricole en France, doivent se rendre compte que ce silence ne les protégera pas : elles portent la responsabilité d’exiger que la lumière soit faite sur ces violences insupportables, pour garantir la justice et la vérité pour les victimes et la sécurité des survivants, de leurs familles et des témoins. »
Communiqué de presse de
Justiça Ambiental! / Les Amis de la Terre Mozambique
Les Amis de la Terre France
Reclaim Finance
BankTrack
Friends of the Earth US
Friends of the Earth Europe
Friends of the Earth Japon
Milieudefensie / Friends of the Earth Pays-Bas
ReCommon
Urgewald
La lettre a été initialement envoyée en décembre 2024 par les organisations suivantes : Justiça Ambiental! / Les Amis de la Terre Mozambique ; Les Amis de la Terre France ; Reclaim Finance ; BankTrack ; Urgewald ; Friends of the Earth Japon ; ReCommon ; Milieudefensie / Friends of the Earth Pays-Bas ; Friends of the Earth Europe ; Friends of the Earth US ; Solutions for our climate. Voir la liste complète des signataires actuels à la fin de la lettre.
31 institutions financières ont participé au financement du projet de 14,9 milliards de dollars en juillet 2020. La lettre a été envoyée aux institutions financières suivantes :
Institutions financières publiques : Export Import Bank of the United States (US EXIM); Japan Bank for International Cooperation (JBIC); UK Export Finance (UKEF); Export-Import Bank of Thailand (Thai Exim); Servizi Assicurativi del Commercio Estero (SACE); Nippon Export and Investment Insurance (NEXI); Export Credit Insurance Corporation of South Africa (ECIC); Atradius Dutch State Business (ADSB); Cassa Depositi e Prestiti; African Development Bank (AfDB); African Export Import Bank; Development Bank of Southern Africa; Industrial Development Corporation of South Africa; Korea Development Bank; Export Import Bank of Korea (KEXIM); US International Development Finance Corp (DFC).
Institutions financières privées : Société Générale; Crédit Agricole; Mizuho Bank; JP Morgan; Standard Chartered Bank; MUFG Bank; Sumitomo Mitsui Banking Corporation; Sumitomo Mitsui Trust Bank; SBI Shinsei Bank; Nippon Life Insurance; ABSA Bank; Nedbank; Rand Merchant Bank; Standard Bank; ICBC.
Texte de l’appel :
Nous lançons un appel urgent pour qu’une enquête internationale indépendante soit immédiatement ouverte sur la série d’atrocités révélée par Politico et qui auraient été commises près du site d’Afungi de Mozambique LNG par des forces de sécurité publiques agissant au service de l’entreprise. Nous demandons que cette enquête indépendante soit menée par un mécanisme intergouvernemental international ou régional de défense des droits humains – tel que le Haut Commissariat des Nations unies aux droits de l’homme (HCDH) et la Commission africaine des droits de l’homme et des peuples – dans le but de garantir la justice et la vérité pour les victimes, ainsi que la sécurité des survivants, des familles et des témoins. Le travail d’un organisme de défense des droits humains reconnu officiellement au niveau international et régional, doté de l’expertise et du mandat requis, est essentiel à la protection des victimes et des témoins.
Plus d’informations sur les manifestations électorales : Club of Mozambique, 13 janvier 2025. CIP Mozambique Elections: Appeal to UN for intervention of stop killing of protestors; The Daily Maverick. 24 Octobre 2024. Assassinations, fraud and intimidation mark Mozambique’s 2024 elections; Institute for Security Studies. 22 Octobre 2024. Latest elections widen Mozambique’s democratic deficit; et Centro de Integridade Pública (CIP). 19 Octobre 2024. Nota de repúdio do Centro de Integridade Pública (CIP) ao bárbaro assassinato do advogado Elvino Dias na cidade de Maputo.
Pour plus d’informations sur la réponse du gouvernement mozambicain aux manifestations post-électorales : African Arguments. 7 novembre 2024. Mozambique: A revolution born in the search for electoral justice; Human Rights Watch. 19 Octobre 2024. Mozambique: Post-Election Protests Violently Repressed; et Club of Mozambique. 13 Janvier 2025. CIP Mozambique Elections: Appeal to UN for intervention of stop killing of protestors.
Pour plus d’informations sur les violences politiques et l’insurrection au Mozambique : Cabo Ligado conflict observatory, published by the Armed Conflict Location and Event Data (ACLED); and Displacement tracking matrix on Mozambique by the UN International Organization for Migration.