Promesses non respectées : le charbon toujours financé par les banques françaises
Les grandes banques internationales ont accordé USD 1 500 milliards à l'industrie du charbon depuis 2019, et les derniers engagements pris par ses plus gros financeurs en faveur de l’atteinte de la neutralité carbone à l’horizon 2050 pourraient ne rien y changer.
C’est la principale conclusion d’une recherche menée par Reclaim Finance, les Amis de la Terre France, Urgewald et 25 autres ONG partenaires. Reclaim Finance entame une série de contrôle de l’application des politiques adoptées par les acteurs financiers. Deux ans après l’adoption de sa politique, l’analyse des transactions du Crédit Agricole montre que la « banque verte » a continué de financer des entreprises qui prévoient toujours le développement de nouveaux projets de mines et centrales à charbon dans le monde, en violation de sa politique.
28 ONG publient les résultats d’une recherche visant à identifier les financements et investissements accordés aux 1 031 entreprises de l’industrie du charbon listées sur la « Global Coal Exit List » (GCEL) 1. Elles ont détecté 1 200 milliards de dollars d’investissements à la date de novembre 2021 et 1 500 milliards de dollars de financements versés, sous la forme de prêts et d’émissions d’actions et d’obligations 2, à l’industrie du charbon entre janvier 2019 et novembre 2021.
Plus de 80 % des financements et des investissements proviennent d’institutions financières de 6 pays uniquement : les États-Unis, la Chine, le Japon, l’Inde, le Canada et le Royaume-Uni. À eux seuls, une douzaine de banques et deux douzaines d’investisseurs sont responsables de près de la moitié des prêts et investissements à l’industrie du charbon 3.
« Ne plus soutenir les entreprises qui développent encore activement de nouveaux projets charbon devrait être une évidence, mais on retrouve de nombreux membres des alliances pour la neutralité carbone parmi les plus gros financeurs et investisseurs du secteur. Ces institutions financières ne doivent échapper à aucune pression : les ONG, les régulateurs financiers, les citoyens et les investisseurs doivent réunir toutes leurs forces pour les pousser à rompre leur addiction au charbon » déclare Katrin Ganswindt, responsable de la recherche financière à Urgewald.
Au-delà des montants astronomiques, la recherche fait ressortir plusieurs manquements, anomalies ou violations manifestes des mesures annoncées par les acteurs financiers dans leurs politiques sectorielles adoptées volontairement pour encadrer leurs services à ce secteur. Reclaim Finance a passé au crible les transactions de la branche de financement du groupe Crédit Agricole, CACIB, dont l’ancienneté de la politique – datant de mars 2020 – permet d’avoir assez de recul pour évaluer dans quelle mesure la “banque verte” respecte réellement ses propres engagements 4.
« Les promesses n’engagent que ceux qui les croient” et Crédit Agricole nous donne une triste illustration de cet adage avec plusieurs transactions à des entreprises comme Glencore ou Marubeni qui non seulement n’ont pas de plan de sortie répondant aux objectifs que s’est fixé le groupe financier, mais développent encore en 2022 de nouveaux projets dans le charbon. La place financière de Paris a voulu démontrer sa capacité à s’auto-réguler mais c’est un échec. Cet épisode démontre le besoin de régulation et nous appelons les candidats à la Présidentielle à s’engager à enfin encadrer la finance 5 » déclare Yann Louvel, analyste des politiques adoptées par les acteurs financiers à Reclaim Finance.
Crédit Agricole voit sa note baisser dans l’outil international de référence de notation des politiques adoptées par les acteurs financiers, le Coal Policy Tool. Reclaim Finance annonce qu’il effectuera un même contrôle de l’application des politiques charbon des grands acteurs financiers français, puis internationaux dans les prochains mois.
» Il y a plus de trois ans, Bruno Le Maire annonçait qu’il contraindrait les banques à sortir du charbon si elles ne le faisaient pas réellement 6. L’impact concret de ses belles paroles se fait malheureusement toujours attendre : les grandes banques françaises ont l’année dernière encore financé pour 12 milliards de dollars l’industrie du charbon 7. »
Elle poursuit : « Alors que les capitaux continuent dangereusement d’affluer vers ce secteur climaticide, et que la preuve est faite qu’au moins une banque manque déjà à ses engagements, le ministre ne lève pas le petit doigt. Il est grand temps de passer de la menace aux actes : l’Etat doit contrôler et sanctionner les acteurs financiers qui ne renonceraient pas à soutenir la folle expansion des énergies fossiles. »
L’analyse des transactions effectuées par Crédit Agricole en violation des principes inscrits dans ses politiques sectorielles est disponible et communiquée en complément de ce communiqué de presse.
Interrogée sur ces transactions, la “banque verte” a indiqué à Reclaim Finance qu’elle les considérait en ligne avec sa politique et qu’elle était “en dialogue constant avec ces clients pour expliquer les attentes de Crédit Agricole et discuter régulièrement de leur stratégie climatique”. Elle indique que la phase transitoire pour les développeurs de charbon se terminait au 31 décembre 2021. Celle-ci comprenait une première analyse des entreprises du secteur en 2020 puis la demande explicite aux entreprises d’adopter un plan de sortie du secteur incluant l’arrêt du développement “à partir de 2021” comme condition “pour la poursuite des services financiers”. Ce “à partir de 2021” devait donc se comprendre selon Crédit Agricole… “à partir de 2022”.
La recherche financière a été effectuée par Profundo, une agence de recherche non lucrative basée aux Pays-Bas. Profundo a tracé les transactions au bénéfice des 1030 entreprises listées sur la Global Coal Exit List. La GCEL, créée et mise à jour annuellement par l’ONG allemande Urgewald, liste 503 entreprises qui prévoient toujours de développer de nouvelles centrales, mines ou infrastructures liées au charbon. Alors que chacun de ces projets est incompatible avec le budget carbone restant pour limiter le réchauffement à 1,5°C, les projets prévus par ces entreprises augmenteraient la production de charbon thermique de 27 % et la capacité de production d’électricité à partir de charbon de 23 %. Par ailleurs, seules 49 des 1 030 entreprises listées ont annoncé une date de sortie du charbon. Lire le communiqué de presse en anglais d’octobre 2021 présentant la GCEL et visiter coalexit.org.
Ces financements se divisent en prêts (363 milliards de dollars versé par 376 banques) et émissions d’actions et d’obligations (1200 milliards de dollars par 484 banques).
Une douzaine de banques représentent à elles seules 48 % des prêts à l’industrie et deux douzaines d’investisseurs représentent 46 % des investissements institutionnels au secteur.
Retrouvez les engagements de Crédit Agricole (stragégie climat de juin 2019, politiques sectorielles de mars 2020) et les transactions effectuées par la banque en violation des principes inscrits dans ses politiques sectorielles sur le site de Reclaim Finance. Yann Louvel est disponible pour répondre aux questions.
Voir les propositions de Reclaim Finance.
BNP Paribas, Société Générale, Crédit Agricole et le groupe BPCE ont accordé entre janvier et octobre 2021 12,5 milliards de dollars aux entreprises de la GCEL, dont 3,2 milliards de dollars aux entreprises qui développent de nouveaux projets dans le secteur du charbon.