Reporting climatique : demander timidement plus de transparence n’est pas une réponse à l’urgence climatique
Alors que le très controversé projet de loi Climat et Résilience vient d’être présenté en Conseil des Ministres, l’administration finalise le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie climat de 2019.
Ce décret vise à rénover le cadre français de « reporting » extra-financier et demande aux investisseurs français de compléter les informations publiées sur leur stratégie « ESG ». Reclaim Finance et Les Amis de la Terre France soulignent que le projet de décret doit être révisé si le gouvernement souhaite réellement faire la transparence sur les soutiens aux activités néfastes pour l’environnement et le climat. Par ailleurs, les associations rappellent que ces nouvelles règles sont loin de répondre à l’urgence climatique et que le gouvernement doit désormais contraindre et sanctionner.
Du 4 au 21 février, la Direction Générale du Trésor (DGT) et le Commissariat Générale au Développement Durable (CGDD) consultent sur le décret d’application de l’article 29 de la loi énergie climat de 2019.
Ce décret remplacera celui issu de l’article 173 la loi de transition énergétique pour la croissance verte (LTECV) de 2015 et fait écho au nouveau règlement « disclosure » européen (« Sustainable Finance Disclosure Regulation » ou SFRD 1). Ce projet de décret fait suite à un bilan de l’article 173 publié en juin 2019 2 et au travail de la Convention Citoyenne pour le Climat 3.
« 5 ans après l’article 173 et en dépit du fait que la moitié des acteurs ne suivent pas celui-ci, le gouvernement préfère toujours parier sur la bonne volonté des acteurs financiers.»
Paul Schreiber poursuit son analyse : “Le nouveau projet de décret est trop flou, tient trop peu compte des objectifs de l’Accord de Paris et de l’importance des soutiens financiers aux énergies fossiles pour permettre de suivre les engagements climatiques et environnementaux des investisseurs. Contrairement aux recommandations de la Convention Citoyenne pour le Climat, aucune sanction n’est prévue contre ceux qui refusent d’appliquer ces nouvelles règles ! ”
En application de l’article 29, et comme pour l’article 173 précédent, les acteurs qui ne respectent pas les différentes cibles fixées en matière climatique peuvent simplement expliquer pourquoi celles-ci ne sont pas atteintes (« comply or explain »).
Au-delà du reporting extra financier, et si le Ministre de l’Economie et des Finances appel désormais les acteurs financiers à adopter des stratégies de sortie des hydrocarbures non conventionnels, aucune trajectoire commune et précise de sortie des énergies fossiles n’a été fixée, aucun mécanisme de suivi des activités financières dans ces énergies n’a été mis en place et le non-respect des engagements pris en 2019 sur la sortie du charbon n’a pas été sanctionné 4.
« L’urgence est là : la production de ces énergies doit diminuer de 6% par an d’ici 2030 pour limiter le réchauffement à 1.5°C, et leur consommation cause déjà plus de 8 millions de décès chaque année. Autant de réalités qui n’ont pas empêché les quatre plus grandes banques françaises de financer le charbon, le pétrole et le gaz à hauteur de $198 milliards depuis la COP21 5.»
Lorette Philippot, chargée de campagne aux Amis de la Terre France, souligne ensuite : «Au lieu d’attendre le « réveil climatique » de la finance en se contentant de demander un peu plus de transparence, le gouvernement doit exiger des stratégies de sortie des énergies fossiles alignées sur les objectifs de l’Accord de Paris et sanctionner ceux qui refusent de prendre leurs responsabilités. »
La contribution de Reclaim Finance et des Amis de la Terre France à la consultation
Les régulateurs européens ont récemment publié leurs recommandations sur la SFRD.
Ce bilan indique notamment que « parmi les 48 acteurs les plus importants couverts par le bilan détaillé, 24 (50 %) publient sur l’ensemble des informations obligatoires requises par le décret d’application, 21 (44 %) le font mais de manière insuffisante au regard des dispositions obligatoires du décret, tandis que 3 (6 %) ne publient pas et n’expliquent pas pourquoi ils ne le font pas ce qui est pourtant requis par le décret. »
La Convention Citoyenne pour le Climat a travaillé sur le reporting extra financier dans le cadre de son workstream Produire/Travailler. Elle propose :
- L’application des obligations de transparence à tous les acteurs financiers ;
- La prise en compte de toutes les émissions induites par l’activité des acteurs ;
- Une sanction calculée en % du chiffre d’affaire lorsqu’ils ne respectent pas la réglementation.
Les acteurs financiers de la Place de Paris se sont engagés à adopter des politiques de sortie du charbon sous un an en juillet 2019. Plus d’un an après, plusieurs acteurs n’ont toujours pas adopté ces politiques et de nombreux autres ont adopté des politiques insuffisantes pour réellement préparer une sortie du secteur. Le bilan réalisé par l’ACPR et l’AMF souligne aussi l’hétérogénéité des politiques mises en place et que de nombreuses politiques ne sont pas au niveau des bonnes pratiques.
Les quatre grandes banques françaises – BNP Paribas, Crédit Agricole, Société Générale et Banque Populaire Caisse d’Epargne – ont financé à hauteur de $198 milliards les charbon, pétrole et gaz entre 2016 et 2019. Plus inquiétant encore, elles ont augmenté de 43% ces financements au cours de cette période.
Depuis l’adoption de l’Accord de Paris, les acteurs financiers privés français ont massivement soutenu le développement de 12 méga-clusters d’énergies fossiles : ils ont financé à hauteur de $126 milliards les entreprises qui en sont responsables entre 2016 et 2020, et y détenaient $22 milliards d’investissements en août 2020.
Les acteurs financiers privés français n’ont pas même renoncé à soutenir le développement des secteurs aux impacts parmi les plus dramatiques pour l’environnement. Un récent rapport des Amis de la Terre France et de Reclaim Finance a mis en évidence que les grandes banques françaises ont accordé $24 milliards de financements aux pétrole et gaz de schiste entre 2016 et 2019, et que les investisseurs français détenaient en mars 2020 $19 milliards d’investissements dans les entreprises du secteur.
C’est aussi le cas pour les principales entreprises responsables de la déforestation liée au soja, auxquelles les grandes banques françaises ont accordé $9,5 milliards de financements entre 2016 et 2019, et dans lesquelles les investisseurs français détenaient en juin 2020 $317 millions d’investissements.