Russie : sous la pression citoyenne, Total fait des annonces… bien timides
Le 23 mars 2022 - Hier soir, acculé par la pression citoyenne, Total a fait de nouvelles annonces sur ses activités en Russie. Mais ces annonces ne sont limitées qu’à leur approvisionnement en pétrole, alors que l’essentiel des intérêts de Total en Russie se concentre dans le gaz.
La multinationale ne remet pas en cause ses importantes participations dans les projets pétroliers et gaziers russes 1, où il est notamment associé au géant gazier Novatek aux côtés de Gennady Timchenko, un oligarque russe très proche de Poutine et directement visé par les sanctions européennes 2.
La semaine dernière, les Amis de la Terre France et Greenpeace France avaient mis en demeure Total de se retirer de Russie, les activités dans lesquelles la multinationale est impliquée étant susceptibles de financer l’invasion en Ukraine et d’alimenter les violations des droits humains et libertés fondamentales en cours 3. Puis ce lundi, les Amis de la Terre France, Alternatiba Paris et Action Non-Violente COP21 ont mené une action directe au siège de Total 4. Ces actions s’ajoutent à d’autres pressions de la société civile, ainsi que d’actionnaires de Total 5, ce qui a forcé la multinationale pétrolière à réagir hier soir.
Total a ainsi annoncé “mettre fin à l’achat de pétrole et produits pétroliers en provenance de Russie”. Il s’agit en fait simplement d’un non-renouvellement des contrats en cours, qui se terminaient au plus tard fin 2022. Total n’annonce par contre aucun changement concernant son implication, via sa filiale Total E&P Russie, dans le projet pétrolier Kharyaga développé avec l’entreprise russe Zarubezhneft dont le président du conseil d’administration, Evgeniy Murov, est placé sur la liste des sanctions américaines depuis 2014. Cet exemple illustre le fossé entre les annonces de Total et de ses concurrentes, qui ont annoncé leur retrait de Russie dès les premiers jours de l’invasion en Ukraine : Equinor a pour sa part annoncé son retrait de ce champ pétrolier dont elle détenait 30 %, quand Total y est encore impliqué pour 20 % 6.
Selon Juliette Renaud, responsable de campagne sur la Régulation des multinationales aux Amis de la Terre France : “Les annonces de Total n’auront que peu d’effet puisqu’il ne remet pas en cause ses activités dans le secteur gazier, alors que c’est là que se concentre l’essentiel de ses intérêts en Russie. Cela représente 30 % de sa production gazière mondiale, et 40 % de ses réserves gazières 7. ”
L’équation est simple : en maintenant ses intérêts dans le secteur pétro-gazier russe, Total ne peut ignorer qu’il risque de contribuer à financer l’effort de guerre du Kremlin, et donc aux violations des droits humains qui en découlent.
Il est important de rappeler que les obligations légales de la multinationale sont indépendantes des décisions politiques prises par les gouvernements sur les sanctions : selon la loi française sur le devoir de vigilance à laquelle Total est soumis, il est de son devoir de prévenir les violations des droits humains que peuvent causer ses propres activités, mais aussi celles d’entités avec lesquelles est entretenue une relation commerciale établie, comme c’est le cas de Novatek.
Total est en effet actionnaire à 19,40 % de Novatek et détient des parts importantes dans différents projets gaziers menés par cette entreprise. Contrairement à ce qui est indiqué dans son communiqué d’hier, il y “exerce une influence notable au travers notamment de sa représentation au Conseil d’administration de Novatek et de sa participation dans Yamal LNG et dans le projet Arctic LNG 2” 8. Il est également actionnaire majoritaire du champ gazier de Termokarstovoye, toujours aux côtés de Novatek. Enfin, Total a annoncé ne pas apporter de nouveau capital à Arctic LNG 2, mais sans remettre en cause le projet ou annoncer son abandon.
La position de Total et de son PDG Patrick Pouyanné est intenable : ils prennent acte de l’aggravation du conflit en Ukraine et reconnaissent leur devoir d’agir en faisant de nouvelles annonces, mais se contentent de mesures lacunaires et inefficaces.
Lorette Philippot poursuit : “Le gouvernement français doit cesser de se réfugier lâchement derrière ces maigres engagements pour mieux protéger les intérêts de Total en Russie. Emmanuel Macron doit a minima faire respecter les sanctions européennes, sans accorder de traitement de faveur à la major pétro-gazière. Cela signifie que soit fermement interdit à tous les acteurs financiers européens de verser le moindre nouveau soutien à Total aussi longtemps que celui-ci restera en Russie 9.”
Au regard de la faiblesse des mesures annoncées par Total, les Amis de la Terre France restent mobilisés et déterminés à maintenir la pression contre le géant du pétrole et du gaz.
TotalEnergies, “Russie : TotalEnergies explicite ses principes d’action”, 22 mars 2022.
A noter que Gennady Timchenko a démissionné du Conseil d’administration de Novatek, mais il en reste le deuxième actionnaire le plus important, avec 23,49% des actions. Voir Interfax, Gennady Timchenko resigns from Novatek board of directors prior to AGM, 21 mars 2022 et Les Echos, L’oligarque Timtchenko, allié de TotalEnergies en Russie, prend du recul | Les Echos, 21 mars 2022
Les Amis de la Terre France, “Total mis en demeure de quitter la Russie”, 15 mars 2022. Lire le texte de la mise en demeure envoyée par les Amis de la Terre France et Greenpeace France le 14 mars 2022.
Les Amis de la Terre France, Action : Total ciblé pour ses liens toxiques avec le régime de Poutine, 21 mars 2022. Total a réagi en condamnant des “violences sur les personnes” alors que cette action était bien sûr non violente, comme toutes celles que nous réalisons.
Selon les données figurant dans le rapport annuel 2020 de Total, publié en amont de l’Assemblée générale des actionnaires du 28 mai 2021. Voir également AITEC, Quels sont les intérêts de TotalEnergies en Russie ?, mars 2022, et notre mise en demeure détaillant les participations dans les différents projets gaziers et pétroliers.
TotalEnergies, Rapport annuel 2020, pp. 46 et 345. Deux des cinq membres du Conseil d’administration de Novatek sont des directeurs de filiales de TotalEnergies. Ils font tous deux partie du comité stratégique de Novatek (Arnaud Le Foll, Directeur Mer du Nord et Russie de Total, et Dominique Marion, Directeur Général de Total Austral).
Les sanctions annoncées par l’Union européenne le 15 mars prévoient une interdiction de tout nouveau service financier aux entreprises opérant dans le secteur énergétique russe et devrait donc concerner Total. Le gouvernement français pourrait cependant décider de lui accorder une dérogation spéciale, un geste de complicité lourd de conséquence face à la violence de l’agression du Kremlin en Ukraine. Texte des sanctions européennes du 15 mars 2022. Voir l’article 3 bis concernant l’interdiction des services financiers et les possibles dérogations