Sables bitumineux : bilan des récents engagements des banques et assureurs français
Après les mesures adoptées par BNP Paribas en octobre dernier, les banques Crédit Agricole, Société Générale, Natixis et l’assureur AXA ont profité du One Planet Summit pour annoncer à leur tour de premiers engagements sur les sables bitumineux. Les Amis de la Terre France en dressent le bilan.
Engagements sur l’exploration et la production
- Les quatre acteurs ont annoncé la fin de leurs soutiens directs aux projets de production de pétrole issu des sables bitumineux.
- C’est sur la question de leurs soutiens aux entreprises du secteur que l’écart se creuse entre les différentes annonces : AXA et Natixis semblent suivre la voie tracée par BNP Paribas, alors que Crédit Agricole et Société Générale ne bougent pas sur cette question.
- BNP Paribas avait adopté un seuil d’exclusion de 30% d’exposition aux sables bitumineux, celle-ci étant adossée aux réserves pour les sociétés impliquées dans l’exploration et la production, et au chiffre d’affaires pour les autres entreprises.
- AXA désinvestit des principaux producteurs de l’industrie des sables bitumineux, en excluant les entreprises dont les réserves de sables bitumineux représentent plus de 30% de leurs réserves totales. Cela couvre 13 entreprises productrices de sables bitumineux auxquelles était exposé le groupe AXA. De plus, AXA n’assurera plus aucune activité liée à la production ou au transport de sables bitumineux.
- Natixis s’engage à exclure les entreprises dont l’activité est principalement adossée à des réserves de sables bitumineux ou dont les revenus reposent principalement sur le pétrole issu des sables bitumineux. Les critères d’exclusion que décidera d’adopter la banque seront déterminants pour juger de la qualité de sa politique.
Engagements sur le transport, le stockage et l’export
- Sur le transport du pétrole issu des sables bitumineux, ce sont encore une fois AXA et Natixis qui suivent BNP Paribas, laissant Crédit Agricole et Société Générale à la traîne.
- À l’instar de ses engagements sur la production, AXA désinvestit des trois principaux opérateurs de pipelines et n’assurera plus ni ces entreprises ni aucune activité liée aux sables bitumineux. Son désinvestissement des sables bitumineux s’élève au total à 700 millions d’euros.
- Natixis s’est engagée à mettre fin à ses soutiens aux projets de pipelines et terminaux de sables bitumineux, ainsi qu’aux entreprises dont les revenus reposent principalement sur le transport, le stockage ou l’exportation de pétrole issu des sables bitumineux. Là encore, la question du seuil d’exclusion sera cruciale pour déterminer l’impact de cette mesure.
- Crédit Agricole a acté l’exclusion de son portefeuille de tous les projets de sables bitumineux, y compris les projets d’infrastructures de transport, mais continue à financer les entreprises qui portent ces projets.
- Société Générale est la seule banque à ne pas avoir bougé sur le financement des pipelines ni sur les autres activités liées aux sables bitumineux hors production.
Soutiens aux pipelines de sables bitumineux
En ne prenant aucun engagement strict sur les soutiens aux entreprises, Société Générale et Crédit Agricole passent à côté des principaux canaux de financement du développement de l’industrie des sables bitumineux. En effet, c’est via des capitaux d’entreprises que la plupart des projets de production et de pipelines de sables bitumineux sont financés.
Des engagements de la part des deux banques françaises sont d’autant plus importants qu’elles font toutes deux parties des principaux financeurs des entreprises qui possèdent des réserves de sables bitumineux ou qui transportent via pipeline du pétrole issu des sables bitumineux en dehors de l’Alberta : Société Générale leur a accordé près de 747 millions US$ et Crédit Agricole 418 millions US$ entre 2014 et 2017 [1].
Il en est de même concernant les trois projets de pipelines de pétrole issu des sables bitumineux – le Keystone XL de TransCanada, le Line 3 d’Enbridge et le TransMountain de Kinder Morgan. Leur construction entrainerait la croissance de la production de sables bitumineux en Alberta, alors que l’urgence climatique requiert de laisser cette énergie fossile dans le sol. En outre, les entreprises derrière ces projets se rendent coupables de violations des droits des communautés autochtones, comme en témoigne le triste précédent du Dakota Access Pipeline.
Or à ce jour, si AXA a explicitement exclu ces trois entreprises de tous ses soutiens et que BNP Paribas ne devrait plus non plus leur accorder de nouveau financement en application des nouvelles mesures annoncées en octobre 2017, Société Générale et Crédit Agricole peuvent toujours les financer.
Leur risque d’exposition est bien réel et déjà prouvé. Au 18 octobre 2017, Crédit Agricole finance TransCanada à hauteur de 425 millions US$, Kinder Morgan à hauteur de 445 millions US$ et Enbridge à hauteur de 519 millions US$. Une semaine seulement après ses annonces, Crédit Agricole a d’ailleurs renouvelé, aux côtés de 18 autres banques, deux lignes de crédits à TransCanada, pour un montant total de 1,5 milliard de $US [2]. Société Générale finance Kinder Morgan à hauteur de 519 millions US$ et Enbridge à hauteur de 370 millions US$. Les deux banques doivent impérativement se doter de politiques d’exclusion similaires à celles adoptées par AXA et BNP Paribas.
Le bénéfice du doute est accordé à Natixis : la banque a financé Kinder Morgan à hauteur de 235 millions US$ [3], mais les critères d’exclusion qu’elle devrait annoncer dans les prochaines semaines pourraient exclure définitivement Kinder Morgan et les deux autres entreprises de tous ses soutiens.