Une enquête révèle l’ampleur et les conséquences de l’accaparement des terres en France
La journaliste Lucile Leclair publie aujourd’hui au Seuil, une enquête exclusive sur l’accaparement de milliers d’hectares de terres par des multinationales de l’agroalimentaire et de la cosmétique.
Cela se passe en France, dans la plus grande opacité, depuis une dizaine d’années, au détriment des paysans et de l’environnement et c’est en train de changer le visage de l’agriculture et de nos campagnes. Analyse et réaction à ces révélations à l’occasion du lancement d’une campagne de plaidoyer par les Amis de la Terre France.
Alors que l’on pourrait croire que l’accaparement des terres concerne seulement les pays du Sud, ou est seulement le fait d’investisseurs étrangers, une enquête de Lucile Leclair 1 révèle aujourd’hui que cela concerne aussi en France, des fleurons industriels européens (comme Chanel, Pierre Fabre, Fleury Michon, Altho, Aqualande, Auchan, Euricom).
« Ces industriels font de l’exploitation agricole un maillon comme un autre de leur propre chaîne de production pour sécuriser leur approvisionnement, s’adapter rapidement à une demande fluctuante, faire baisser les prix, et surtout pour ne plus s’embêter avec des agriculteurs autonomes qui négocieraient les prix et les produits. »
L’accaparement des terres par ces géants industriels favorise des pratiques qui poussent toujours plus loin la dérive productiviste de l’agriculture ! Ferme sans fenêtres de 10 000 cochons pour 8 salariés, où les décisions sont prises à 300 kilomètres de distance, , drones au-dessous des bassins de truites, octroi de prime aux ouvriers agricoles pour épandre des pesticides, contrats précaires avec des prestataires n’en sont que quelques exemples.
Une grande partie de ces transactions foncières déloyales échappent aux SAFER 2,dont la mission d’intérêt public est de réguler l’achat de foncier, quand elles n’en sont pas complices. Pour échapper à son contrôle, les multinationales créent des montages financiers spécifiques : elles n’achètent le plus souvent qu’une partie des parts sociales d’une entreprise agricole ( jusqu’à 99%) et multiplient les filiales au sein d’une même firme pour cacher les exploitations qu’elles possèdent déjà. Les baisses de dotations publiques poussent également les SAFER à accepter ces transactions. Les financements publics des SAFER étant passés de 80% de leur budget en 1960 à 2% en 2007, et elles se financent désormais à 90% grâce aux commissions touchées lors de la vente d’une terre, qui sont d’autant plus intéressantes que les montants sont importants. Du côté des paysans, face à cette concurrence déloyale qui oblige les plus endettés à vendre leurs terres et à devenir salariés, c’est souvent l’omerta, dans un mélange confus de honte, de cécité et de précarité économique.
C’est un dévoiement de l’agriculture telle qu’elle se pratique depuis des décennies auquel nous assistons, où celles et ceux qui cultivent la terre n’ont plus aucune autonomie de décision, où les fermes sont tellement grandes qu’elles sont gérées par drones et machines, où des dirigeants de multinationales à col blanc choisissent ce qui va être cultivé et comment, où on peut trouver un prestataire agricole précaire en quelques clics. Ce détricotage des acquis sociaux se fait sur fond de plan social agricole : 16 000 emplois par an disparaissent en raison de la concentration et mécanisation des terres.
Face à ce constat et à l’inaction des pouvoirs publics malgré le consensus des acteurs agricoles sur la nécessité de réguler le foncier, les Amis de la Terre France lancent une nouvelle campagne : « La terre aux paysan·nes, l’agro-industrie hors champ ! », et militent pour que la terre, ressource naturelle commune, échappe aux lois du marché et soit partagée entre celles et ceux qui souhaitent la cultiver. Pour la transition agroécologique, il est indispensable que des paysans puissent s’installer pour développer des projets nourriciers !
Sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural.