Climat-Énergie
16 août 2012

De tchernobyl à Fukushima – Les germes amers de la désinformation

Après Tchernobyl, la désinformation officielle couverte par l’OMS a nié les ravages sanitaires de la contamination. L’institution espère répéter le même scénario à Fukushima

En matière de contamination post-accident, il est clair que l’expérience ne vaut rien. Le 18 avril 1989, j’étais à Novozybkov, en Russie, à 180 km de Tchernobyl, à proximité des frontières du Bélarus et de l’Ukraine. La radioactivité ambiante était de 3 à 7 μSv1/h, soit en moyenne 44 mSv/an. J’ai reproduit dans un rapport – dont une version révisée fut présentée à la presse en 1996 avec Les Amis de la Terre, le CEDI et Bulle Bleue – des données fournies par le responsable médical du district. “Sida des radiations”, état d’abrutissement des enfants, tableau lamentable des thyroïdes… tout y était déjà. Mais ces troubles avaient officiellement été mis sur le compte de la radiophobie, pathologie créée ad hoc et citée dans les congrès médicaux à partir de fin 1988 pour se dispenser de chercher des liens réels avec la contamination. Mon rapport n’eut aucun écho. Il a fallu attendre 2006 pour que l’association Les Enfants de Tchernobyl redécouvre Novozybkov. L’incapacité des écologistes a donc conforté la stratégie de dénégation des services de radioprotection nationaux et des agences atomiques.

Etudes scientifiques interdites

Publiés en 1996, les travaux de Youri Bandazhevsky sur l’accumulation sélective du césium 137 dans les organes essentiels (cerveau, coeur, rate, thyroïde, pancréas, foie, muscles des yeux) ont exaspéré la communauté radioprotectrice officielle – dont la bible reste le modèle dérivé Hiroshima-Nagasaki, fondé sur l’hypothèse injustifiée d’une répartition homogène du césium dans l’organisme. Bandazhevsky a aussi démontré que la dose sous laquelle aucune atteinte somatique déterministe n’est observée est, en fait, ridiculement basse (20 Bq/kg chez l’enfant). A Novozybkov, vingt cinq ans après Tchernobyl et malgré de nombreuses opérations de décon tami nation des sols, le dépôt moyen est passé de 2,5 à 0,2 MBq/m2 3 : les enfants y sont donc toujours aussi malades.

La seule pathologie imputable aux radiations reconnue par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est le cancer de la thyroïde. Dans les régions touchées, l’incidence de ce cancer a augmenté après quelques années de latence, puis a marqué un pic et engagé une régression, sans retomber au niveau d’avant 1986. Seul le choc initial de l’iode est incriminé, jamais le césium 137. L’affaire est donc officiellement bouclée – tout comme on avait bouclé Bandazhevsky pour faire cesser le scandale de la réalité radiologique qu’il avait décrite. L’OMS avait d’ailleurs pris les devants en missionnant trois experts au printemps 1989 (MM. Pellerin, Waight et Beninson) pour plaider la non-évacuation des zones contaminées, dont Novozybkov. Il m’a été rapporté qu’ils avaient visité la ville quelques semaines avant moi, eux-mêmes précédés par des agents du Commissariat français à l’énergie atomique et de son Institut de protection et de sûreté nucléaire.

L’OMS sert la soupe nucléaire

A défaut de capacité d’évaluation en matière radiologique – elle ne dispose que d’un bureau et d’un salarié, tous deux à Genève –, l’OMS couvre la secte atomique, qui jouit de passe-droits exorbitants. La gestion des “crises radiologiques” a été confiée à l’Agence internationale de l’énergie atomique, en vertu du traité WHA 12-40 de 1959 voté par l’assemblée générale de l’ONU (surtout en qui concerne la communication), puis de la Convention internationale de 1986 sur l’assistance radiologique. Le seul rôle de l’OMS consiste donc de fait à avaliser les rapports officiels des agences nucléaires et des services de radioprotection. Tout se passe comme si l’on avait confié au syndicat des industries chimiques la gestion de la catastrophe de Bhopal – information scientifique de l’OMS comprise. La directive européenne 96/29/Euratom de 1996 va dans le même sens, en considérant qu’un enfant portant une dose de moins de 10 000 Bq (soit entre 200 et 800 Bq/kg selon l’âge) n’est pas contaminé.

La machine à mentir semble remise en route après Fukushima, où les ravages de la prétendue radiophobie ont été évoqués dans un communiqué de l’OMS moins d’une semaine après le 11 mars 2011. Ainsi, aucune recherche particulière ne serait justifiée : seule l’épidémie de radiophobie sera en cause. Les maladies somatiques inconnues chez l’enfant avant Tchernobyl (cataracte, troubles cardio-vasculaires aigus, perte d’immunité, vieillissement précoce, apathie…), si elles se manifestent à Fukushima, ne sauront être imputées à la radioactivité, dont la doctrine officielle restreint l’impact aux cancers et aux atteintes génétiques.

Dès lors, la réaction japonaise ayant conduit à la non-évacuation des zones contaminées est à comparer avec celles des autorités américaines lors de la crise de Three Mile Island, ou soviétiques après l’explosion de Tchernobyl. Dans les trois cas, l’évacuation est apparue comme une mesure de dernière extrémité, car elle coûte fort cher et suppose des mesures autoritaires, voire coercitives – dans un contexte d’information incomplète et fluctuante, influencée par une image gentillette de l’énergie atomique et des radiations (dites tellement utiles en médecine… les atomes pour
la paix, la santé et le progrès !) –, et aussi par crainte de ne pouvoir a posteriori la justifier face aux pontifes atomiques.

> YVES LENOIR

http://enfants-tchernobyl-belarus.org

Illustration : David Cochard

Microsievert = 1 millionième de sievert.En France, la limite supposée admissible d’exposition de la population hors radioactivité naturelle et médecine est de 1 millisievert (mSv) par an. Voir aussi p. 21.

Mégabecquerel = 1 million de becquerels, soit 1 million de désintégrations radioactives par seconde. La dangerosité dépend aussi du type de radioélément et du mode d’irradiation.
Pour aller plus loin, voir les stages de la CRIIRAD
sur la radioactivité!: www.criirad.org.