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Agriculture
31 juillet 2017

Dicamba et OGM : chaos agronomique, chaos écologique et chaos social !

Un vieil herbicide utilisé par des millions d'agriculteurs depuis plus de 40 ans est devenu le fléau des campagnes états-uniennes et menace de détruire, à la vitesse de la lumière, de longues amitiés entre familles et l'ordre social de la Ceinture du Maïs, région certes aux prises avec des difficultés, mais habituellement paisible.

Le Dicamba est non seulement devenu en quelques mois le problème numéro un de l’année, mais il pourrait aussi modifier les modes de gestion à long terme des exploitations et même la structure des propriétés.

Champ de de soja envahi d’amarantes tolérantes au Roundup

En fait, alors que l’agriculture états-unienne doit faire face à un nombre toujours plus élevés d’adventices tolérantes au glyphosate, les géants des biotechnologies et des semences ne remettent pas en question l’impasse technologique que sont leurs OGM, mais cherchent au contraire à la prolonger.

Comme note Tom Philpott de “Mother Jones” : “Dow et Monsanto, prévoient de se donner mutuellement les licences des traits de tolérance au 2,4-D et au Roundup pour que chaque firme produise ses OGM multi-traits. De la même façon, Monsanto travaille avec BASF pour mettre au point des OGM tolérants au glyphosate ET au dicamba.”

Et c’est là qu’entre en scène le dicamba. Pour ceux qui ne connaissent pas l’agriculture, le dicamba a été utilisé pendant des années comme herbicide contre les dycotilédones en début de saison, afin de nettoyer les champs, puis n’était plus utilisé de la saison, car il pourrait endommager les cultures.

Quand Monsanto mit au point des semences de soja qui tolèrent le dicamba et le Roundup (soja et coton Roundup Ready Xtend), l’entreprise donna de toute évidence une autre mission au dicamba, celle de tuer aussi les adventices lorsqu’elles poussent dans les champs au milieu des pieds de soja ou de coton, en particulier l’amarante de Palmer qui étouffent les cultures partout où elle pousse.

Par contre sur le terrain, les choses ne se passèrent pas tout à fait comme Monsanto et BASF l’avaient prévu. L’Agence de protection de l’environnement n’a autorisé qu’en mars 2016, la nouvelle formulation moins volatile de l’herbicide (XTendimax) avec des conditions d’utilisation très strictes, laissant un vide imprévu pour l’utilisation par les agriculteurs de vieilles formulations du dicamba qui pouvaient dériver sur de longues distances et tuer les autres cultures sur leur passage. Cela n’empêcha pas la vente des semences qui furent plantées en 2016 par des milliers d’agriculteurs qui essayaient ainsi de sauver leurs champs de l’amarante de Palmer devenue tolérante au Roundup. De nombreux agriculteurs victimes du dicamba reprochent maintenant à Monsanto d’avoir vendu ses semences tout en sachant que les épandages de dicamba auraient forcément lieu.

Qu’à cela ne tienne, en se basant sur le succès des ventes de 2016, Monsanto pense vendre en 2017 le kit semences/herbicides Roundup Ready XTend pour presque 6 millions d’hectares de soja et 1,2 million d’ha de coton et a investi un milliard de dollars dans une usine à Luling (LA) pour satisfaire la demande.

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Les feuilles recroquevillées sont le premier symptôme que les pieds de soja ont pu être exposés au dicamba. Les pertes de rendements dépendent de la dose et de la phase de développement de la plante.

C’est à cause des dégâts provoqués par le dicamba qu’en octobre dernier, deux agriculteurs de la région du Missouri Bootheel commencèrent à se disputer et que la querelle dégénéra. Lorsque le fusil fut posé, Mike Wallace gisait mort et Allan Curtis allait passer en procès pour meurtre. Mike Wallace exploitait 1250 ha de maïs, coton et soja. Il avait été cité dans un article du Wall Street Journal début août 2016, dans lequel il manifestait son inquiétude de voir que jusqu’à 40 % de ses champs de soja avaient été endommagés par des dérives de dicamba, et il avait porté plainte.

Cet événement tragique ne laissait présager rien de bon avec le Dicamba et les OGM associés.

Alors que des compagnies de l’agro-chimie comme Monsanto ou BASF vendaient des formulations du dicamba vantées comme restant sur les cultures et ne dérivant pas sur les autres champs, les agriculteurs de la Ceinture du Maïs achetaient le kit semences/herbicide, en espérant que le dicamba et ses semences faites sur mesure résoudraient leurs problèmes de contrôle des adventices, leur feraient gagner du temps et soulageraient leurs problèmes financiers.

Ca c’était le boniment des vendeurs. Certes de nombreux agriculteurs ont été satisfaits de la capacité du dicamba à éradiquer l’amarante de Palmer, l’érigeron du Canada, l’amarante rugueuse et d’autres adventices qui étaient devenues tolérantes aux herbicides – notamment au Roundup de Monsanto – et qui, ces dernières années, infestaient les champs et supplantaient les autres plantes. Mais c’était sans compter sur la capacité indésirable du dicamba de tuer aussi les adventices et les cultures appartenant à d’autres agriculteurs, ce qui a particulièrement dégradé les relations entre voisins.

Les services de l’agriculture des différents Etats ont été submergés d’appels et de plaintes. Certains ont pris comme mesure d’interdire totalement le dicamba sur leur territoire jusqu’à nouvel ordre. D’autres ont pris toute une série de mesures moins strictes pour restreindre son utilisation. Des chercheurs universitaires sur les adventices ont essayé d’apporter des réponses aux agriculteurs qui avaient subi des dommages dus au dicamba et n’ont pas pu faire grand chose cette année vu la multitude d’appels.

Conscients du nombre croissant de plaintes pour les dégâts causés par le dicamba, Monsanto et BASF ont réagi à leur façon.

BASF affirme être conscient des problèmes dans les champs et a envoyé plus de 400 représentants sur le terrain pour répondre aux questions et inquiétudes et dit dépenser de l’argent pour mettre les bons outils dans les mains des agriculteurs. D’un point de vue d’une bonne utilisation, il ressort de cette expérience qu’un des éléments clés est d’utiliser le bon embout d’après Scott Kay, directeur commercial de BASF : “Nous avons investi beaucoup d’argent dans ces embouts et les avons distribués à nos clients. A ce jour, plus de 600 000 embouts ont été achetés et donnés à nos clients”.

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Pêcher endommagé par le dicamba, herbicide très volatile. Ce composé chimique est transporté par le vent et endommage les plantes qui ne sont pas modifiées génétiquement pour le tolérer. Monsanto vend maintenant les semences et le poison qui va avec.
(Commentaire et photo EchoWatch)

Robb Fraley, le directeur de la technologie chez Monsanto annonce : “Nous cherchons des agents de retardement de dérive, des embouts et des procédures de nettoyage pour les producteurs. Nous allons travailler avec les Etats pour être surs que des produits non homologués ne sont pas utilisés et ce sera un point essentiel. Ensuite, nous allons voir ce que nous pouvons faire pour que les agriculteurs tiennent plus compte des conditions de températures et d’inversion. Beaucoup de choses à faire, mais je suis absolument persuadé que cela va bien nous aider et que ce sera important pour les agriculteurs.”

Les fabricants du dicamba ont donc repoussé toute responsabilité sur les agriculteurs, les accusant d’épandre quand il y avait trop de vent, lorsqu’il y avait des inversions de températures, d’utiliser les mauvais embouts sur leurs pulvérisateurs ou de ne pas suffisamment bien nettoyer les résidus de dicamba dans leurs pulvérisateurs.

Pas une fois, ils n’ont reconnu la moindre responsabilité. Pourtant, alors que les experts des compagnies affirment que les bons embouts vont aider à mieux cibler les épandages, Aaron Hager de l’Université de l’Ilinois voit d’autres problèmes à l’avenir. Comme il dit “Le dicamba est le dicamba. On peut changer les sels, les adjuvants, mais le dicamba reste le dicamba et vous ne changerez rien au fait que les variétés de soja non manipulées génétiquement sont extrêmement sensibles au dicamba”.

Et c’est bien là, la question fondamentale : Est-ce que la co-existence est possible ou non, entre les variétés manipulées génétiquement pour être tolérantes au dicamba et les variétés qui ne le tolèrent pas ? Les avis divergent.

Les dommages causés par le dicamba ne sont pas couverts par les assurances, mais peuvent être couverts par une action engageant la responsabilité, si cela est accepté par l’organisme assureur de l’agriculteur dont le dicamba a dérivé sur le champ endommagé. Des dizaines de milliers d’agriculteurs ne pourront pas encaisser les revenus provenant de plusieurs millions d’hectares de soja non-tolérant au dicamba qui ont été dévastés par cet herbicide, et ils ne pourront pas couvrir les coûts de production de cette année. Il n’est absolument pas certain que leurs créanciers accepteront cela comme excuse pour ne pas payer le prêt d’exploitation cette année.

Entre temps les avocats entrent en scène en force. Mais au lieu de poursuivre leurs voisins, les agriculteurs commencent à se retourner contre les vendeurs de dicamba.

Le 14 juin un recours collectif a été déposé contre Monsanto et BASF dans l’Arkansas. L’un des avocats, Philip Duncan, déclarait : “Nous avons déposé un recours collectif en faveur des agriculteurs dont les biens ont subi des dégâts causés par les herbicides à base de dicamba, fournis par Monsanto et BASF. Les accusés ont mis au point et contrôlé les systèmes de culture au dicamba, commercialisant des semences manipulées génétiquement sans un herbicide correspondant qui soit sûr et homologué. Des cultures, des fruits et des arbres qui ne sont pas tolérants au dicamba ont été abîmés, ce qui fait que les récoltes des agriculteurs ont subi des dégâts importants en Arkansas et dans d’autres états lors de l’année 2016, notamment en Alabama, en Illinois, au Kentucky, au Minnesota, dans le Mississippi, la Caroline du Nord, le Tennessee et le Texas. Ce qui est en jeu c’est l’existence même des agriculteurs et nous voulons protéger leurs intérêts”.

Pour un autre avocat, Paul Byrd : “La crise du dicamba a été créée et imposée par l’industrie agricole. Aujourd’hui, les cultures sont menacées, le tissu social est menacé. Il y a déjà eu des tragédies provoquées par cette crise”.

Dans le Missouri, l’avocat Bev Randle résume le problème : “Monsanto a fait passer l’appât du gain avant la sécurité de tous et transformé les agriculteurs du Sud-est du Missouri et du nord-est de l’Arkansas en cobayes involontaires pour tester les défauts de leur système de semences.”

Des propos qui rappellent ceux de Scott Powell, l’avocat des agriculteurs dans le procès gagné contre Syngenta : “Syngenta s’est précipité pour commercialiser ce produit en ne pensant qu’à ses propres intérêts. Il n’a aucunement été tenu compte des agriculteurs. Pour Syngenta, il n’y avait aucun risque. Tout s’est fait sur le dos des agriculteurs.”

Les Amis de la Terre suivrons de près ces recours collectifs qui se forment et s’ajoutent à ceux qui sont déjà en cours contre Syngenta…

Les OGM, depuis leur première commercialisation, ont provoqué dans de nombreux pays un chaos écologique, agronomique et social, mais l’heure de l’addition a peut-être enfin sonné !

Traduction et adaptation : Christian Berdot des Amis de la Terre

Cet article se base sur différents extraits de presse dont les articles suivants :

“Monsanto Targeted in AR Farmers Lawsuit over Dicamba” (arkansasmatters)

“STU ELLIS: Dicamba debate spreading” (heraldreview)

“Dicamba Debate: Is It Drift or Volatility?”