Erri de Luca – Avec nos sabots !
Pour relancer la croissance, le pouvoir, de mèche avec de grosses entreprises, impose partout ses projets calamiteux : on éventre les campagnes et les montagnes, on saccage les zones humides, on extermine la diversité sauvage et domestique.
Des résistances se lèvent, NDDL, Sivens et celle de NO TAV que raconte Daniel Ibanez (voir ci-dessous). La nouveauté réside dans la prise de conscience trans-locale : nous nous heurtons tous aux mêmes abus de pouvoir, à la même surdité. La pub nous gave, l’idéologie de la croissance nous gave, les traités de commerce nous gavent, comme des oies de basse-cour. Tout nous pousse à orienter nos désirs vers la marchandise.
Comment résister ?
En tissant des liens porteurs de changement par-dessus toutes les frontières. La lutte de chacun devient la lutte de tous et les Amis de la Terre sont sollicités comme catalyseurs. Avec quels moyens ?
• localement la présence physique, mains nues et pieds dans les sabots
• les études : environnement, économie, droit…
• sans oublier de sublimer notre engagement dans la dimension qualitative afin de mieux le partager. C’est le conseil que Dante donne aux envieux : orientons nos désirs vers les biens spirituels qui s’accroissent dans le partage : le courage, la compréhension et tous les plaisirs inventés par les arts…
Le mot « sabot » n’est pas venu ici par hasard : c’est la première protection des paysans les plus pauvres mais un coup de sabot bien placé peut aussi être redoutable. Les Allemands confrontés à la Résistance ont vite appris le mot « sabotage ! » C’est justement ce mot qui a motivé la comparution d’Erri De Luca devant le tribunal de Turin. Le procès est en cours…
Erri De Luca, grand écrivain italien, voix rocailleuse, sensibilité généreuse et forte pensée paradoxale, a repris ce mot venu du français pour déclarer légitime la lutte contre un projet destructeur de la vallée. Il a dit « la TAV va sabotata », la LGV mérite d’être sabotée et la Société LTV a vu dans ce mot un préjudice qui méritait la prison. Eh oui ! Par ce verbe, Erri met la base – zoccolo en italien signifie à la fois sabot et socle – en prise avec son pouvoir de renverser l’échaffaudage d’Hubris. Un simple mot serait donc capable d’arrêter les engins éventreurs de montagne ? les infiltrations de la mafia ? les abus de pouvoir des administrations ? les violences de la police ? le culte même de la croissance ? Cela paraît inconcevable et pourtant, si la Société Lyon-Turin Ferroviaire porte plainte contre ce mot, c’est qu’elle y voit une menace pour tout l’édifice laborieusement mis en place !
Se préparer à tuer pour une fleur qu’un jeune botaniste veut protéger (Rémi Fraisse), à emprisonner pour un mot (Erri), c’est la réaction disproportionnée d’une société gravement déséquilibrée, en proie à la folie du pouvoir sans limite, terrorisée et désarmée face au contre-pouvoir de nos symboles.
Elle regarde sans comprendre « le poids d’un papillon »*, d’une fleur ou d’un dessin contrebalancer et finalement renverser une armée de blindés… Le désarroi des drogués d’Hubris montre ce qu’ils craignent : ils craignent la fulgurance de nos métaphores qui rabaissent le plus arrogant des pouvoirs et transfigurent la réalité la plus humble. Ils craignent le lien organique qui s’établit entre nous, la contagion de la prise de conscience, la synergie de nos résistances.
Le procès est reporté au 18 mars. Erri est passible de prison mais il nous montre le chemin : partout où on nous impose des projets et des travaux destructeurs de nos valeurs, défendons le droit à une parole libre et contraire*, prenons nos sabots… RÉSISTONS !
> FRANÇOISE CHANIAL