Surproduction
27 novembre 2024

Quand la fast-fashion surfe sur la crise du textile

L’essor de la fast-fashion, lourd de conséquences sur l’environnement, est aussi associé à des impacts dramatiques sur l’économie française et la vitalité de son tissu commerçant. À l’heure du Black Friday, les Amis de la Terre publient un décryptage édifiant, chiffres à l’appui.

La mode française : autopsie d’un paradoxe

Analyser le secteur textile, c’est aussi s’intéresser à ses incohérences. Si l’on arrêtait aujourd’hui de produire de nouveaux produits textiles, l’humanité entière aurait déjà suffisamment de vêtements pour se vêtir jusqu’en 21001. On pourrait donc penser que l’industrie de la mode se porte bien. En effet, en 2022, 3,3 milliards de produits textile ont été vendus en France2, équivalant à 45 nouveaux vêtements par habitant·e, alors même que l’objectif de l’Accord de Paris nécessiterait de faire tomber ce chiffre à 5 vêtements par habitant·e et par an.

Pourtant, le secteur textile français ne s’est jamais aussi mal porté qu’aujourd’hui. Le nombre d’emplois dans le secteur est en chute libre et les boutiques ferment les unes après les autres. En cause : l’essor de la fast-fashion.

Le linge sale de la fast-fashion (mode jetable)

En quarante ans, la consommation de vêtements en France a plus que doublé, avec une accélération notable ces dix dernières années3. Dans ce même temps, la part dédiée à l’habillement dans le budget des ménages s’est réduite à peau de chagrin, jusqu’à ne représenter plus que 3% en 2023 dans le budget des ménages français4.

En clair, on consomme beaucoup plus de vêtements, qui nous coûtent beaucoup moins cher et de moins bonne qualité qu’auparavant. En effet, la durée d’usage d’un vêtement a en moyenne été divisée par deux depuis le début des années 20005.

Cette dynamique, étroitement liée au développement exponentiel de la fast-fashion, recouvre une recette qui ne loupe pas :

  • Une délocalisation de la production dans les pays d’Asie du Sud-Est, permettant une baisse drastique des coûts de main d’œuvre (la marque chinoise Shein paie ses employé·es en moyenne 0,04 € par vêtement produit, pour des journées de travail pouvant durer jusqu’à 18 heures6) ;
  • Des stratégies marketing ultra agressives et une rotation quasi permanente des collections ;
  • Une utilisation croissante de fibres synthétiques dérivées d’énergies fossiles, permettant une baisse du coût des matières premières.

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Décryptage

Quand la mode surchauffe : Shein, ou la course destructrice vers toujours plus de vêtements

L’emploi en France : le grand laissé-pour-compte

L’essor de la fast-fashion ne s’est pas fait sans dommages collatéraux. Depuis 1990, ce sont près de 300 000 emplois qui ont été détruits dans l’industrie textile française7. Il s’agit des trois quarts des emplois du secteur8 !

À l’instar de la production, la vente est également fortement impactée avec 15 000 emplois perdus depuis 20199. Si la crise du Covid-19 et la hausse des prix de l’énergie portent leur part de responsabilité dans ces destructions d’emplois, c’est la concurrence déloyale des géants de la fast-fashion (Primark, Zara, H&M, Shein, Temu…) qui a, à grands coups de moins-disance sociale et environnementale, sonné la fin de nombreuses enseignes françaises contraintes de fermer leurs magasins et laisser leurs employé·es sur le carreau.

Les géants de la fast-fashion tirent leur épingle du jeu

Si le secteur de la mode en France est en souffrance et affiche des résultats largement négatifs, on ne peut pas en dire autant pour les géants de la fast-fashion (Primark, Zara, H&M, Shein, Temu…). Le secteur est de plus en plus concentré, avec 80% des produits vendus en France en 2022 issus de 1% des marques10. Si cette dynamique se fait ressentir dans la répartition des ventes, elle concerne aussi la répartition du chiffre d’affaires.

Sans surprise, ce sont les acteurs de la vente en ligne qui bénéficient largement de ce phénomène, puisqu’en 2023 ils représentaient 21% des parts de marché de l’habillement, contre seulement 10% en 2015.

Alors que Shein se rend coupable d’une multiplication par deux de ses émissions de gaz à effet de serre entre 2022 et 202311, la marque chinoise et les quelques autres géants de la fast-fashion engrangent des profits records.

Depuis 2016, le chiffre d’affaires de Primark a bondi de +119%.

Pour un cadre législatif efficace et réellement ambitieux

Si l’on veut éviter que le secteur textile français disparaisse totalement, il est primordial d’adopter une législation véritablement contraignante pour réguler les acteurs de la fast-fashion, qui génèrent des profits sur le dos des droits humains et des écosystèmes.

Pierre Condamine

La fast-fashion menace non seulement l’environnement, mais aussi l’avenir des commerces de proximité et de l’industrie textile française dans son ensemble. Il est temps que les élu·es prennent la mesure de l’urgence. Pour cela, la prometteuse “loi anti fast-fashion” votée en mars dernier par les député·es doit être mise à l’agenda du Sénat au plus vite !

Pierre Condamine
Chargé de campagne surproduction aux Amis de la Terre