Fusion monstre Monsanto/Syngenta : Monsanto propose 45 milliards de dollars !
Une fois associées, les deux entreprises constitueraient une multinationale de l’agrobusiness, unique et monstrueuse, un colosse qui contrôlerait un tiers du marché des pesticides qui s’élevait à 57 milliards l’an dernier ainsi que 45 % du marché mondial des semences !
Photo de sakhorn/Shutterstock (MotherJones)
Monsanto a été un des géants de la chimie, mais depuis quelques temps, la multinationale préférait se présenter comme une « entreprise de l’agriculture durable ». Finies les années 70 et leurs tragiques errements, comme le PCB et l’Agent orange. Si l’on en croit le site internet de la multinationale, le nouveau Monsanto « utilise la sélection végétale et les biotechnologies pour créer de nouvelles semences qui donnent des plantes plus fortes, plus robustes et qui nécessitent moins de ressources ».
Mais le discours pourrait bien changer si Monsanto réussit à acheter son rival suisse, le géant des pesticides Syngenta. Le vendredi 8 mai, la direction de Syngenta rejetait l’offre publique d’acquisition. Mais l’affaire n’est certainement pas close. Jeudi après-midi, le prix des actions de Syngenta se maintenait à un niveau supérieur de 20 % à celui qu’elles avaient avant l’offre de Monsanto, une indication claire que les investisseurs estiment un accord tout à fait possible. Comme Helen Thomas du Wall Street Journal le formule, le rejet initial par la direction de Syngenta, de l’offre de Monsanto peut n’être qu’une façon de dire « L’opération est judicieuse, mais Syngenta peut espérer en tirer un meilleur parti ».
Monsanto indiquait de son côté que la multinationale était toujours intéressée pour conclure un marché, affirmant que l’offre est « une prime très attractive » pour les actionnaires de Syngenta. L’offre de Monsanto, la firme basée à Saint-Louis, fait preuve d’opportunisme. En effet, le prix des actions du rival suisse stagne et à chuté de 2,9 % ces douze derniers mois. Les revenus de la firme suisse ont aussi souffert de la bonne forme du dollar (car 60 % des ventes de Syngenta en Europe et Amériques du sud et centrale se font en monnaies locales). Syngenta a aussi moins bien encaissé que Monsanto la baisse subite du prix des récoltes qui a poussé les agriculteurs à économiser sur les semences et les épandages.
La logique du marché proposé par Monsanto est simple : Syngenta est parfaitement complémentaire de Monsanto. Monsanto est le plus grand producteur de semences de la planète (modifiées génétiquement et autres), et sa branche chimie est relativement petite (essentiellement centrée autour de son herbicide, le Roundup) et ne représente qu’un tiers des 15,8 milliards de dollars des ventes totales.
Pendant ce temps, Syngenta est le premier producteur de pesticides dans le monde, avec un petit secteur des semences GM qui ne compte que pour un cinquième des 15,1 milliards de dollars des ventes totales.
Une fois associées, les deux entreprises constitueraient une multinationale de l’agrobusiness, unique et monstrueuse, un colosse qui contrôlerait un tiers du marché des pesticides qui s’élevait à 57 milliards l’an dernier – d’après les estimations de la branche et des données financières des entreprises – ainsi que 45 % du marché mondial des semences (marché moins important), selon BMO Capital Markets.
D’après le site économique Seeking Alpha, pour que les autorités états-uniennes en matière de concurrence acceptent le marché, Syngenta devrait probablement vendre son important secteur des semences de maïs et soja, ainsi que ses participations relativement modestes dans le glyphosate , afin d’éviter qu’elles ne se superposent avec les parts de marché actuelles de Monsanto. Les parts de marchés contrôlées en seraient réduites.
En essayant d’avaler Syngenta, Monsanto change de tactique. En effet, cela contredit des années de beaux discours, nous expliquant que le but ultime des biotechnologies est que les agriculteurs puissent se passer des produits agrochimiques. Les deux principaux produits issus des biotechnologies qui rapportent de l’argent à la multinationale sont
- les plantes modifiées génétiquement dans le but de devenir elles-mêmes insecticides – grâce à l’insecticide du Bacillus thurigensis – appelées aussi plantes Bt. Cet insecticide est toxique pour certains insectes, mais pas pour les humains ;
- et les plantes modifiées génétiquement pour tolérer le glyphosate, cet herbicide que Monsanto vend sous le nom commercial de Roundup.
La multinationale commercialise ces deux types de plantes en les présentant comme étant des solutions à la dépendance des agriculteurs vis-à-vis des produits agro-chimiques toxiques. Le site internet de Monsanto nous explique que les plantes Bt « permettent aux agriculteurs de protéger leurs récoltes, tout en éliminant ou en diminuant de façon importante les volumes de pesticides épandus » et que les plantes tolérantes au Roundup (Roundup Ready) ont « permis aux agriculteurs de … diminuer leur consommation totale d’herbicides ».
Ces deux affirmations ont perdu de leur superbe lorsque les produits de Monsanto ont dominé les champs états-uniens. En effet, tout comme les insectes, les plantes ont évolué pour s’adapter à ces produits. La seule réponse qu’aient trouvé les agriculteurs, a été de noyer les champs sous plus de pesticides, à la fois en augmentant les doses de Roundup de Monsanto, mais aussi en utilisant d’autres pesticides plus toxiques, au fur et à mesure que le Roundup perdait de son efficacité. La façon dont Monsanto saute sur Syngenta et sa vaste gamme de pesticides, montre bien que la multinationale est dans la même logique.
Un des gagnants immédiats sera le formidable service de « relations publiques » de Monsanto. Aguerri par des années de défense contre les attaques visant la multinationale et ses OGM et récemment attaqué par l’Organisation mondiale de la santé (OMS) qui concluait que le « glyphosate est probablement cancérigène pour les humains », ce service va avoir plein d’occasions de faire jouer ses muscles, si Syngenta les rejoint.
En effet, aux Etats-Unis, Syngenta est le principal producteur d’atrazine, produit que l’on soupçonne de plus en plus d’être un perturbateur endocrinien, qui provoque notamment des malformations de l’appareil génital des grenouilles et s’infiltre dans l’eau potable des gens. Syngenta est aussi un des principaux fournisseurs de néonicotinoïdes – ces insecticides vedettes (ventes totales annuelles : 2,6 milliards de dollars) que l’on associe fortement avec les problèmes de santé des abeilles et autres pollinisateurs, des oiseaux et animaux aquatiques. L’atrazine et les néonicotinoïdes sont actuellement interdits en Europe, mais, bien que cela soit fortement critiqué, largement utilisés aux Etats-Unis.
Alors qu’aucune des deux multinationales n’abordent le sujet, certains pensent que, si le marché était conclu, Monsanto pourrait essayer de déplacer son domicile fiscal au siège de Syngenta, à Bâle en Suisse, ce que l’on appelle une inversion, une opération qui pourrait attirer l’attention des autorités règlementaires. Le taux d’imposition de Monsanto est de 29 %, alors que celui de Syngenta n’est que de 15 %. Mais c’est loin d’être fait. Le gouvernement Obama a réagi récemment de façon agressive envers ce type d’avantages fiscaux. D’autre part un sénateur états-unien rappelait au PDG de Monsanto que « L’expansion de l’entreprise est due en grande partie à des programmes et des aides payés par les contribuables des Etats-Unis. Les dirigeants de Monsanto doivent reconnaître que l’engagement continu de leur entreprise pour les Etats-Unis serait une bonne chose, non seulement pour le pays, mais en fin de compte aussi pour l’entreprise ».
La démarche de Monsanto se produit à un moment où l’industrie des semences doit affronter de nombreux problèmes. La principale activité de l’entreprise est de vendre des semences dont l’ADN a été modifié pour conférer aux maïs, soja et autres plantes qui en résultent, un caractère insecticide vis-à-vis de certains insectes ou une tolérance à certains herbicides. Le développement de nouvelles versions de ces plantes peut durer presque une décennie et les coûts atteindre des dizaines de millions de dollars. De plus la croissance du marché s’est ralentie : l’an dernier les ventes n’ont augmenté que de 4,7 %, comparé à 8,7 % en 2013 ou une moyenne de 21,3 % durant les cinq années précédentes d’après les recherches de Philips McDougald Ltd.
Les compagnies semencières ont plusieurs problèmes à affronter. De nombreux pays limitent l’utilisation des OGM de peur que ces OGM ne causent des problèmes écologiques ou sanitaires, inquiétudes que Monsanto et les autres entreprises rejettent. Aux Etats-Unis où des OGM comme le maïs, le soja et le colza sont omniprésents, certains citoyens luttent pour que les aliments OGM soient étiquetés, et choisissent d’acheter des produits sans biotechnologie. Aux Etats-Unis, les ventes au détail de produits alimentaires sans OGM ont augmenté de 15 % l’an dernier, pour atteindre 9,6 milliards de dollars.
Pour certains observateurs, le besoin continu de solutions chimiques et la lenteur des processus d’autorisation pour les semences GM, rendent la perspective de se renforcer dans les pesticides, plus qu’attractive. Alors que certains greniers du monde sont saturés en OGM et que d’autres comme la Chine ou l’Europe ne sont pas prêts à les accepter rapidement, les pesticides permettent à Monsanto de continuer son expansion. Il est important pour la multinationale de se diversifier, étant donné que le taux de croissance des OGM se ralentit.
D’autres observateurs par contre, se posent des questions derrière la logique d’une telle démarche. Monsanto a investi énormément pour développer le marché des semences GM, tout en insistant sur la moindre dépendance aux produits agrochimiques. Pour ces observateurs, « la stratégie a bien marché jusqu’à maintenant, alors pourquoi changer ? En faisant l’acquisition de Syngenta, Monsanto revient en force dans le business de la chimie. Est-ce que c’est ce que veulent les investisseurs ? ».
Les investisseurs peut-être pas, mais les agriculteurs qui ne savent plus quoi faire face à l’invasion d’insectes et de « mauvaises » herbes devenues tolérantes à un, deux ou trois pesticides ? Affaire à suivre donc
Article rédigé et adapté par Christian Berdot, référent de la campagne Agriculture des Amis de la Terre, à partir de deux articles :
« Monsanto Bets $45 Billion on a Pesticide-Soaked Future » de Tom Philpott, publié en ligne le mercredi 13 mai, sur le site MotherJones : http://www.motherjones.com/tom-philpott/2015/05/monsanto-syngenta-merger-45-billion-pesticides
et « Monsanto Makes Bid to Go Big in Pesticides » article de Jakob Bunge à Chicago et Andrew Morse à Zurich, publié le vendredi 8 mai sur le site du Wall Street Journal : http://www.wsj.com/articles/syngenta-rejects-unsolicited-monsanto-acquisition-proposal-1431069142
Article en format PDF :
monsanto_syngenta.pdf