Glyphosate cancérigène ou pas ? Prochain épisode en octobre aux Etats-Unis sous la pression de Monsanto & Co
A la mi-octobre, l'Agence états-unienne de Protection de l'Environnement (EPA) prévoit de tenir pendant quatre jours, des réunions publiques avec un groupe consultatif de scientifiques, pour savoir si le glyphosate peut provoquer ou non des cancers
Il est important aussi de rappeler que le glyphosate est soupçonné de provoquer beaucoup d’autres problèmes sanitaires et écologiques. Voir à ce sujet les fiches d’information qui accompagnent notre article “L’herbicide le plus vendu dans le monde présent dans le corps humain” . Monsanto et les autres industriels qui profitent des produits à base de glyphosate, comme le Roundup, acceptent mal l’idée que l’herbicide le plus utilisé dans le monde et l’inquiétude croissante qu’il provoque, se retrouvent sous les projecteurs de l’opinion publique.
Et tout cela, alors que Bayer annonce l’acquisition de Monsanto…
Bayer devrait suivre cette affaire de près.
L’offre de rachat de Monsanto pour 66 millions de dollars par la compagnie allemande intervient dans un contexte de préoccupation grandissante sur l’avenir de l’herbicide phare de l’entreprise, un produit chimique appelé glyphosate que Monsanto commercialise partout dans le monde depuis 40 ans, en tant qu’agent actif de son herbicide, le Roundup. Monsanto engrange des milliards de dollars annuellement grâce à ces produits, soit en gros, un tiers de ses ventes.
Ce n’est donc pas une mince affaire si, à la mi-octobre, l’Agence états-unienne de Protection de l’Environnement (EPA) prévoit de tenir pendant quatre jours des réunions publiques avec un groupe consultatif de scientifiques, pour savoir si le glyphosate peut provoquer ou non des cancers.Monsanto et les autres industriels qui profitent des produits à base de glyphosate, comme le Roundup, acceptent mal l’idée que l’herbicide le plus utilisé dans le monde et l’inquiétude croissante qu’il provoque, se retrouvent sous les projecteurs de l’opinion publique. Les représentants des intérêts de l’agrochimie sont allés jusqu’à dire à l’Agence de Protection de l’Environnement que ces réunions ne devraient pas avoir lieu et ont ajouté que si elles devaient se tenir, de nombreux scientifiques de renommée mondiale devraient en être exclus.
Il est clair que l’industrie voit d’un mauvais œil, l’attention que l’opinion publique va porter à ces réunions, mais elle devrait aussi être satisfaite que l’EPA ait clairement signifié que ce n’est pas son intention de contredire les affirmations de Monsanto sur la sûreté du glyphosate. Après tout, dans un rapport publié le 12 septembre, l’EPA présentait une évaluation de 227 pages sur le potentiel cancérigène du glyphosate et “proposait” comme conclusion que le glyphosate n’ “était probablement pas cancérigène pour les humains, à des doses significatives pour l’évaluation des risques pour les humains”. Cela, juste quelques semaines avant que les réunions n’aient lieu.
Pour la défense de l’EPA, il faut préciser que cette dernière a publié plusieurs mises en garde dans ce rapport : elle reconnaissait qu’une certaine étude ne faisait pas de lien entre le glyphosate et le cancer, mais elle donnait plusieurs explications sur le fait que l’EPA ne pensait pas que les résultats de cette étude étaient significatifs et/ou que les résultats d’autres études l’emportaient. L’Agence ajoutait aussi de très nombreux qualificatifs, affirmant que, concernant les études épidémiologiques, les données étaient restreintes et dépassées. L’EPA précisait que du fait que “l’utilisation du glyphosate a augmenté après l’introduction en 1996 des plantes tolérantes au glyphosate, il est nécessaire de procéder à des études plus récentes, car beaucoup d’études ont été menées avant 1996” [[Il est important de signaler que les plantes génétiquement modifiées ont été commercialisées avec le but affiché de diminuer la consommation de produits chimiques agricoles. En réalité, les ventes de Roundup et plus généralement de glyphosate ont augmenté et, avec l’apparition d’adventices tolérantes au Roundup, on a assisté à une forte augmentation des volumes utilisés de glyphosate et d’autres herbicides associés, atrazine, 2-4D, etc.]]. L’Agence précisait aussi que des études doivent être menées sur les formulations du glyphosate, et pas sur le glyphosate uniquement.
L’Agence a ajouté une mise en garde spéciale concernant les études qui font le lien entre le glyphosate et le lymphome non-hodgkinien (LNH). Elle précise : “Les opinions s’opposent quant à la façon d’interpréter les résultats globaux pour le LNH. Certains pensent que les données indiquent qu’il y a une association potentielle entre l’exposition au glyphosate et le risque de LNH”. Plus loin, il est ajouté : “Du fait des limites des études et des résultats contradictoires entre elles… il est difficile de déterminer, sur la base des données disponibles, une association entre l’exposition au glyphosate et le risque de LNH”.
De toute évidence, c’est une grosse partie qui se joue. Monsanto est actuellement poursuivi par des dizaines de personnes qui affirment que son herbicide, le Roundup, a provoqué chez elles ou des membres de leur famille, des cas de lymphome non-hodgkinien[ [“Des agriculteurs souffrant de lymphome non hodgkinien poursuivent Monsanto à cause de son herbicide” ]]. Parallèlement à ce procès, Monsanto mène une bataille juridique contre les mesures règlementaires de l’Etat de Californie visant à ajouter le glyphosate dans la liste des produits cancérigènes probables connus [Voir l’annonce de Reuters : [http://www.reuters.com/article/us-usa-monsanto-glyphosate-idUSKCN0UZ2RN]]. A cela s’ajoute, l’évaluation tant attendue des risques sanitaires et environnementaux du glyphosate où l’EPA pourrait ajouter des restrictions dans l’utilisation du glyphosate, si l’Agence estime de telles mesures nécessaires. Cette étude de risque devait être rendue en 2015. Maintenant, l’Agence annonce qu’elle devrait être achevée au printemps 2017.
Dans le contexte de l’acquisition par Bayer, avec les procès et l’évaluation qui se profilent, Monsanto a tout mis en œuvre pour défendre le glyphosate. Les pressions sur l’EPA pour défendre le glyphosate ont commencé immédiatement après que le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC) qui dépend de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) ait déclaré en mars 2015, que les études montraient que le glyphosate “était probablement cancérigène pour les humains”. La décision du CIRC était annoncé le vendredi 20 mars 2015[Voir notre article [ “Glyphosate : « probablement cancérigène » affirme l’OMS” ]] et le lundi suivant, le chef de la règlementation de Monsanto, Dan Jenkins, passait déjà des coups de téléphone et envoyait des courriels[Lien vers les courriers en question : [https://drive.google.com/file/d/0B-pJR4cGo9ckVjhZVFhiWXNxNG8/view]] aux responsables de l’EPA, demandant qu’ils “corrigent” le rapport sur le glyphosate. Les courriels obtenus en vertu de la Loi sur la Liberté d’information montrent que Jenkins proposait à l’EPA des “points à débattre” pour tenter de contredire le Centre international de recherches sur le cancer. Depuis lors, Monsanto n’a eu de cesse d’intensifier ses efforts pour infirmer les résultats du CIRC, attaquant ses scientifiques chevronnés comme étant “un organisme non élu, anti-démocratique, n’ayant de compte à rendre à personne et étranger”.
Monsanto a obtenu par la justice que soient communiqués les courriels et autres documents du président du CIRC, Aaron Blair, un scientifique émérite de l’Institut National du Cancer, qui fut aussi président de l’équipe du CIRC. Blair a une longue carrière de distinctions et de nominations qui témoignent de son expertise, et il a travaillé dans de nombreux groupes d’examen scientifiques, nationaux ou internationaux, y compris l’Agence états-unienne pour la Protection de l’Environnement. Mais Monsanto estime que le travail de Blair est suspect.
Monsanto a apparemment fait jouer ses muscles au Congrès. Lundi, le président du
Comité de surveillance de l’action gouvernementale de la Chambre des représentants écrivait aux Instituts Nationaux de la Santé pour leur réciter les nombreuses doléances que Monsanto et ses alliés avaient contre le Centre international de recherches sur le cancer et pour contester les subventions que les Instituts Nationaux de la Santé versaient au CIRC.
Cette impression que l’EPA s’aligne sur Monsanto provoque la colère de nombreuses personnes dans la communauté scientifique, qui affirment que l’EPA s’écarte de principes scientifiques bien établis et ignore des éléments de preuve essentiels, tout cela pour pouvoir satisfaire les intérêts des grandes entreprises qui profitent des herbicides au glyphosate.
Christopher Portier est l’ancien directeur du Centre national pour la santé environnementale et Agence pour le registre des substances toxiques et des maladies au sein du Centre états-unien pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC) Pour lui “Ce produit chimique est une substance probablement cancérigène pour l’humain, selon tout définition raisonnable, et il est absurde de soutenir le contraire”. Auparavant, Portier a passé 32 ans dans le Centre national des sciences de la santé environnementale (NIEHS) où il a officié comme directeur associé, directeur du Programme de toxicologie environnementale et directeur associé du Programme national de toxicologie. Une fois à la retraite, Portier qui était “scientifique invité” pour l’examen du glyphosate du CIRC, a fait quelques piges pour le Fond pour la défense de l’environnement.
Portier et plus de 90 scientifiques internationaux ont publié un rapport 1 détaillé présentant les recherches spécifiques qui établissent un lien entre le glyphosate et le cancer, à la fois dans des études sur les animaux que lors d’observations chez les humains. Pour les scientifiques, si les responsables de la règlementation veulent ignorer les preuves, ils devront transgresser des règles bien établies lors des évaluations scientifiques. Ils affirment que les preuves humaines disponibles montrent vraiment un lien entre le glyphosate et le lymphome non-hodgkinien, alors qu’on observe sur des animaux de laboratoires, des effets cancérigènes importants avec des types de tumeurs rares des reins et d’autres organes. Il y a aussi des “preuves solides de génotoxicité et de stress oxydant”, y compris constatations de liaisons de l’ADN dans le sang périphérique des personnes exposées au glyphosate.
D’après le rapport : “Le jugement le plus pertinent et le plus corroboré scientifiquement, relatifs aux cancers rapportés chez les humains et dans des animaux de laboratoire, ainsi qu’aux données mécanistiques probantes, est que le glyphosate est probablement cancérigène. Sur la base de cette conclusion et en l’absence de preuve du contraire, on peut raisonnablement conclure que les formulations du glyphosate devraient aussi être considérées comme cancérigènes probables pour les humains”. [[Lorsque l’on compare l’avis du CIRC et l’avis contradictoire de l’AESA, il est important de se rappeler comment la décision de l’AESA fut prise. La Commission demanda à l’Allemagne de faire procéder à une évaluation du glyphosate. Le gouvernement allemand demanda alors à l’Institut allemand d’évaluation des risques (BfR) de mener cette étude et voici comment le BfR a procédé : “(…) une bonne partie de l’évaluation récente du glyphosate, menée par le gouvernement allemand (…) n’a pas été rédigée par les scientifiques qui travaillent pour l’Institut fédéral allemand de l’évaluation des risques (BfR), mais par le European Glyphosate Task Force (le Groupe de travail européen sur le glyphosate), un consortium d’entreprises de l’agrochimie. Les responsables de l’Institut fédéral allemand ont expliqué qu’étant donné la quantité de preuves, ils n’avaient pas le temps de préparer eux-mêmes, une évaluation toxicologique. Ainsi, ce sont les industriels de l’agrochimie qui ont rédigé les descriptions et évalué la fiabilité de chaque preuve. (…) Les responsables de la réglementation du BfR ont fait des commentaires en italique sur le texte des industriels, mais on est bien loin de ce que la plupart des gens comprennent par évaluation indépendante.”
L’avis de l’AESA se base donc sur l’avis du BfR qui, lui-même, se base sur le rapport du Groupe de Travail sur le Glyphosate qui a notamment pour membre… Monsanto et pour président, Richard Garnett qui est lobbyiste pour Monsanto Europe !!
Article complet : “Glyphosate cancérigène ? Quand l’industrie dicte ses propres évaluations !” .
Pour Maarten Bosland, un des auteurs de ce rapport sur les recherches concernant le glyphosate : “L’Agence de Protection de l’Environnement est dans une fâcheuse posture. Ce recul est dû à l’industrie et repose sur des faits qui ne sont pas scientifiquement corrects”. Bosland est directeur du Centre pour la communication sanitaire mondiale, Département de pathologie, à l’université de l’Illinois à Chicago et il est titulaire d’un doctorat en pathologie expérimentale. “Les sommes qui sont engagées dans ce composé chimique sont gigantesques. C’est un conglomérat mondial d’intérêts financiers qui est directement atteint.”
Il est difficile de croire à une coïncidence lorsque les raisons qu’avance l’EPA pour rejeter les études scientifiques dont le Centre international de recherches sur le cancer affirme qu’elles montrent un lien avec le cancer, concordent étroitement avec les résultats d’un groupe de 16 scientifiques, financé par Monsanto. Ce groupe – dont seules quatre personnes n’ont jamais travaillé ni été consultants pour Monsanto – publia un rapport en décembre qui soutenait l’allégation de Monsanto selon laquelle il n’y a aucune preuve que le glyphosate provoque des cancers. Ce rapport était dirigé par Gary M. Williams, directeur de la pathologie environnementale et de toxicologie au Collège médical de New York et consultant de Monsanto. Williams a une longue histoire de publications de résultats favorables au glyphosate. Il était co-auteur d’une des études de Monsanto qui fit parler le plus d’elle, parue en 2000 et qui concluait que non seulement le glyphosate n’est pas cancérigène, mais qu’il “est considéré comme pratiquement non toxique”.
D’après Intertek Scientific & Regulatory Consultancy qui a été payé par Monsanto pour mettre en place ce groupe de travail, ce dernier prépare la publication prochaine dans le journal “Critical Review of Toxicology”, de cinq articles en faveur de l’innocuité du glyphosate.
Dans le rapport de l’Agence de Protection de l’Environnement, le point positif pour les détracteurs du glyphosate, est que l’EPA demande effectivement que l’on procède à plus de tests. L’Agence reconnait spécifiquement que les craintes que les formulations à base de glyphosate puissent être encore plus toxique que le glyphosate seul, doivent être étudiées. L’EPA met en place un “plan de recherches” avec l’Institut National des sciences de la santé environnementale, afin “d’évaluer le rôle du glyphosate dans les formulations du produits et les différences de toxicité des formulations”.
Aucune information nouvelle n’arrivera trop vite pour le consommateur qui s’inquiète de la persistance des niveaux de glyphosate dans les aliments qu’il consomme. Cette année, l’Agence états-unienne des produits alimentaires et médicamenteux (FDA) a trouvé des niveaux élevés de glyphosate dans le miel états-unien, certains taux étant deux fois plus élevés que la dose limite considérée comme sûre dans l’Union européenne.
Les réunions de l’EPA auront lieu du 18 au 21 octobre et on s’attend à ce qu’elles attirent une assistance variée. Juristes, militants, agriculteurs, écologistes et alliés de l’industrie, tous préparent leurs valises.
Article de Carey Gillam , journaliste et Directrice de recherche pour US Right to Know, un groupe d’éducation des consommateurs à but non lucratif. Article paru le 29 septembre, dans le Huffington Post , sous le titre “Upcoming EPA Meetings on Safety of Monsanto Weed Killer Drawing Scrutiny”
Ce rapport intitulé « Différences dans l’évaluation du caractère carcinogène du glyphosate entre le Centre international de recherches sur le cancer (CIRC) et l’agence Européenne de sécurité alimentaire (AESA)« fut envoyé en novembre 2015, à la Commission européenne. Les 96 scientifiques lui demandaient de « ne pas tenir compte de l’avis erroné de l’AESA […] et de mettre en œuvre une étude transparente, ouverte et crédible de la littérature scientifique ». Pour les signataires, l’avis du CIRC est l’aboutissement d’une « évaluation de la littérature en toxicologie et épidémiologie [réalisée] sur une période de 12 mois [selon] une procédure ouverte et transparente mise en œuvre par des scientifiques indépendants qui ont fourni des déclarations de conflits d’intérêt complètes et n’étaient pas affiliés ou soutenus financièrement par l’industrie chimique ».