Guerre en Ukraine et énergies fossiles : notre décryptage
La situation actuelle en Ukraine nous invite à interroger la part de responsabilité européenne dans ce conflit, alimenté par l’importation d’énergies fossiles depuis la Russie. Pour la paix et le climat, il est nécessaire et urgent d’opérer une véritable transition écologique, fondée sur les énergies renouvelables et la sobriété.
Une guerre financée par les revenus des énergies fossiles
Le budget fédéral russe est massivement alimenté (à hauteur de 40%) par les revenus liés aux énergies fossiles. Les Européens sont les premiers clients des pétrole et gaz russes, avec 100 milliards d’euros de dépenses de l’UE par an. Ainsi, en 2021, la France a importé pour 13,5 milliards d’euros d’énergies fossiles en provenance de Russie. Et cela n’a pas cessé depuis le début de la guerre le 24 février 2022.
Les activités des entreprises françaises dans le secteur du pétrole et gaz en Russie sont donc directement susceptibles de financer et contribuer à la guerre menée actuellement en Ukraine par le régime de Vladimir Poutine. Conscient·es de cela, nous demandons à Total de se retirer dans les plus brefs délais de Russie. Par cette mise en demeure, nous exigeons du géant pétro-gazier qu’il respecte la loi sur le devoir de vigilance. Depuis 2017, celle-ci contraint les multinationales à anticiper et prévenir leurs responsabilités sociales et environnementales, au lieu de les diluer dans une myriade de filiales et sous-traitants qui rendent volontairement impossible toute tentative de traçabilité.
Notre vulnérabilité dévoilée au grand jour
La guerre en Ukraine est une illustration dramatique des liens entre notre dépendance aux énergies fossiles et notre complaisance avec certains régimes autoritaires. En effet, les exemples de l’impossible équation qui oppose énergies fossiles et paix sont nombreux : faveurs du gouvernement d’Emmanuel Macron au service de Total en Russie, complicité diplomatique de la France dans le projet dévastateur de Total en Ouganda et Tanzanie, laisser-faire face aux agissements de Total qui a financé la junte birmane, implication de la France au Mozambique où le conflit armé est alimenté par la prédation sur les ressources fossiles.
La consommation énergétique en Europe est assurée à 25% par du gaz, et 40% de ce gaz est importé depuis la Russie. La guerre révèle ainsi la fragilité de nos sociétés due à notre dépendance aux énergies fossiles. Celle-ci a un coût non seulement économique et social, alors que les cours du gaz ont augmenté de plus de 50% depuis le début de la guerre, mais aussi climatique. En effet, pour maintenir le réchauffement climatique sous 1,5°C et limiter la dégradation des écosystèmes, nous devons impérativement diminuer la production annuelle de pétrole et gaz de 3%, et ce jusqu’en 2050.
La dépendance de nos sociétés aux énergies fossiles ne concerne pas que les transports. Il s’agit également du chauffage et de l’industrie, mais aussi de l’agriculture. En effet, le gaz est indispensable à la fabrication des engrais azotés de synthèse, dont l’usage est imposé par le modèle productiviste et industriel qui infuse notre système agroalimentaire. La guerre en Ukraine n’impactera donc pas que les prix de l’essence ou du gaz, mais aussi les prix des engrais et donc des productions agricoles. À l’arrivée, ce sont les citoyen·nes qui devront payer le prix de choix politiques contraires à la nécessité d’une transition agroécologique, énergétique, et à la paix.
L’art de l’auto-sabotage
Depuis la signature de l’Accord de Paris, les acteurs financiers publics et privés continuent de soutenir massivement le développement des énergies fossiles et refusent ainsi d’écouter les scientifiques ou l’Agence Internationale de l’Énergie appelant à sortir des énergies fossiles. Ils financent notre propre dépendance et alimentent activement notre addiction.
Les Amis de la Terre appellent les acteurs financiers privés (banques et assurances) à cesser de soutenir les entreprises pétro-grazières russes et suspendre leurs activités avec les majors étrangères qui n’ont toujours pas annoncé leur retrait de Russie, telles que Total.
Le gouvernement doit assumer sa responsabilité. Emmanuel Macron ne doit en aucun cas accorder de dérogation à Total vis-à-vis des sanctions européennes adoptées le 15 mars 2022 et doit exiger que Total se retire de Russie.
Les banques et assurances ne sont pas les seules à soutenir financièrement le secteur du pétrole et gaz russes : l’État français le fait aussi depuis des années, à travers les garanties à l’export. Cet outil permet à l’État de se positionner en tant qu’assureur pour des projets dont les risques (coûts élevés, pays économiquement ou politiquement instables…) rendent les banques privées frileuses. Lorsque l’État accorde des garanties à l’export pour ces projets, il s’engage à payer les pots cassés si la situation dégénère. 4 garanties de ce type ont ainsi été accordées par la France à des projets en Russie depuis 2016 – alors que Vladimir Poutine avait déjà amorcé l’invasion de l’Ukraine, avec l’annexion de la Crimée en 2014 -, pour un total de près d’un milliard d’euros.
Le principe de ces garanties à l’export est problématique pour plusieurs raisons : d’une part, il s’agit d’une implication directe de la puissance publique à des projets largement responsables du réchauffement climatique qui ne devraient pas exister ; d’autre part, ces garanties impliquent la France d’un point de vue géopolitique dans des zones en tension et qui peuvent dégénérer en conflits armés (comme c’est le cas au Mozambique). Enfin, ces financements publics fonctionnent de manière très opaque, privant la société civile et les citoyen·nes de leur droit de regard sur l’utilisation de l’argent public.
Refuser le cynisme et la fatalité
Tout doit être mis en place pour que la sortie des énergies fossiles ne soit pas synonyme de poids économique sur les ménages ou de fuite en avant vers de fausses solutions (comme le nucléaire, le gaz naturel liquéfié, l’hydrogène, le gaz de schiste ou encore la captation ou la compensation carbone), qui nous amèneraient à répéter les erreurs du passé.
Aux Amis de la Terre, nous luttons quotidiennement pour ouvrir la voie à des sociétés plus justes et soutenables. Ce modèle de société n’est pas hors de portée ! La transition peut être facilitée par différentes actions et mesures, dont notamment :
- la transition du modèle agro-industriel actuel, fortement dépendant des énergies fossiles, vers un modèle agricole respectueux des écosystèmes et juste pour les paysan·nes, où les engrais de synthèse, l’élevage intensif et les monocultures céréalières feraient place à des terres partagées, cultivées de manière agroécologique, avec notamment les légumineuses comme alternatives à la fertilisation minérale
- la redirection des investissements publics et privés aux énergies fossiles vers les énergies renouvelables
- la rénovation thermique massive des bâtiments
- la limitation du pouvoir d’influence des multinationales sur les pouvoirs publics
- un modèle de société libéré de l’imaginaire de croissance, où les ressources sont utilisées avec sobriété et partagées avec équité
Les alternatives existent !
Il est urgent de sortir de cette spirale de dépendance aux énergies fossiles, qui fragilise nos sociétés, favorise la collusion avec des régimes autoritaires et compromet notre avenir en retardant la transition.