Humeurs – Traquer l’insoutenable, toujours
Puisque le dossier de ce numéro de La Baleine est consacré aux sociétés soutenables, faisons, pour nous convaincre définitivement de la nécessité de changer d'ère, une revue de l'insoutenable en ces temps, du plus dérisoire au plus désastreux.
A l’automne dernier, Pékin accueillait un sommet des chefs d’État de la zone Asie- Pacifique (APEC). Le gouvernement se demanda comment offrir à ses invités un air moins pourri qu’à l’ordinaire. Il ordonna une fermeture temporaire de 2 000 usines de l’agglomération, traquant les contrevenants. Mais pour pouvoir cesser leur activité pendant une dizaine de jours, les industriels ont mis les bouchées doubles, faisant des semaines qui précédèrent et de celles qui suivirent un épisode des plus sombres en termes de qualité de l’air. En réaction, un nouveau qualificatif est apparu sur la blogosphère chinoise : le bleu APEC, désignant toute chose superficielle et éphémère.
Un médicament pour les troupeaux risque de faire disparaître les vautours d’Europe. Tout a commencé en Inde. À la fin des années quatre-vingt dix, 99 % de ces rapaces y sont morts, avec pour conséquences la prolifération des chiens errants, débarrassés de la concurrence, suivie d’une propagation de la rage. Le coupable de ce massacre est le diclofénac, un anti-inflammatoire destiné au bétail, que les vautours, indispensables fossoyeurs, ingurgitent et qui leur bousille les reins. L’Inde a finit par interdire certains usages de ce produit, mais il a réapparu en Europe sous le nom de Voltarène. L’Italie et surtout l’Espagne, le grand territoire européen des vautours, ont accordé une autorisation de mise sur le marché. Ce poison risque d’être distribué dans toute l’Union européenne, à commencer par la France, où les petites mains de Novartis ont commencé leur travail de sape. Et il ne s’agit pas seulement des vautours d’Europe, mais aussi de ceux d’Afrique, où le diclofénac/voltarène se répand à la vitesse des bakchichs.
Ces dernières années, le lac d’Oroumiyeh, situé en Iran, qui fut le plus vaste du Moyen-Orient, s’est asséché à 95 %. L’été dernier, trois des cinq barrages qui alimentent Téhéran se sont taris, obligeant les autorités à mettre en place des programmes de rationnement. La principale cause de ces sécheresses est le développement de l’agriculture productiviste. 92 % de l’eau consommée est utilisée dans l’agriculture. Des milliers de barrages et de digues ont été construits sans aucune précaution, 70 % de l’eau est perdue du fait des fuites. Le développement des industries, exigeant un important approvisionnement en eau a aggravé la situation. Enfin, les précipitations ont diminué de 16 % en quarante ans, créant de grandes zones désertiques. Pour les plus alarmistes, l’Iran serait de ce fait “la prochaine Somalie”. Suite à un article paru dans Le Monde, cette information a été publiée le 7 décembre 2014 sur blog de Fabrice Nicolino Planète sans visa. Tout comme les deux précédentes, parues elles aussi l’année dernière. Fabrice Nicolino tenait une rubrique régulière dans Charlie. Victime de l’attentat du 7 janvier, il était toujours à l’hopital, dans un état préoccupant, au moment où j’ai écrit ce billet. Je le salue ici en mon nom et au nom de tous les Amis de la Terre, en lui souhaitant de revenir au plus vite parmi nous pour continuer à débusquer et combattre l’insoutenable.
> ALAIN DORDÉ