Interview de Philippe Noguès : la Bretagne ne doit redevenir un champ de mines !
Philippe Noguès, député du Morbihan, nous plonge au cœur des débats sur la réforme du code minier qui ont eu lieu à l’Assemblée nationale, et partage son expérience bretonne face aux projets miniers.
Il y a plusieurs projets de réouverture de mines en Bretagne. Quelle est votre expérience de terrain quant à l’arrivée et l’imposition de ces projets ?
J’ai en tête un exemple concret et précis, celui du permis de Silfiac dans ma circonscription. J’ai été alerté par un maire, qui lui même découvrait les choses. Il m’appelait en désespoir de cause car le permis avait déjà été attribué, par le ministre de l’époque, Emmanuel Macron. J’ai ainsi été amené à conduire une délégation d’élus au cabinet du ministre, fin 2015. On nous parlait à l’époque de mines propres, de consultation de la population, alors que les élus concernés, qui m’accompagnaient, avaient été mis devant le fait accompli, avec des informations minimales et très tardives, et les citoyens, eux, ne savaient rien. On nous avait alors juré que rien ne se ferait sans l’accord des populations locales.
Alertés par voie de presse, les citoyens se sont alors organisés en associations, comme « Attention Mines ! » dans ma circonscription, pour lutter contre les 3-4 projets miniers en Centre Bretagne menés par l’entreprise Variscan. En incitant plus de 1 000 citoyens à faire des lettres refusant l’accès de leur terrain à l’entreprise, nous avons réussi, sur Silfiac, à gagner du temps. Ce qui n’a malheureusement pas été le cas sur le permis de Merléac, où les forages sont imminents.
Le comble dans cette histoire, c’est que ce territoire est connu pour être le château d’eau de la Bretagne : l’eau que l’on boit, qu’on utilise pour les cultures, tout part d’ici. Les mines sont donc un vrai danger sanitaire et environnemental. Et on l’a déjà vécu avant avec les mines d’uranium. Comme je l’ai déjà dit dans l’hémicycle, il ne faut pas que la Bretagne redevienne un champ de mines !
La procédure renforcée de participation prévue dans la proposition de loi visant à réformer le code minier aurait-elle vraiment pu changer quelque chose ?
Même si ce n’est pas satisfaisant, ça serait un plus, parce que pour l’instant on n’a rien. Les citoyens ne sont pas avertis. Je me souviens d’une réunion publique, à Guéméné-sur-Scorff, où le cinéma était bondé, il y avait des gens debout dans les allées… J’étais estomaqué de voir comment avait réagi la population. Cela montre que les citoyens sont vraiment préoccupés par ces projets. Aujourd’hui, le ministère décide de tout, l’État décide de tout, les préfets décident de ceux qui peuvent participer au comité de suivi. Moi-même, j’ai dû me battre avec le préfet et le sous-préfet pour en faire partie, et ce malgré les mots « rassurants » du ministre : « M. le député, vous serez bien évidemment notre relais auprès de la population ». Je me suis aussi battu pour que soient intégrées des associations de défense de l’eau (Eau et Rivières de Bretagne, etc). Mais au final nous avons eu une réunion, et depuis, silence radio.
Du coup, cette nouvelle procédure aurait permis d’impliquer davantage les citoyens sur les demandes d’octroi de titres miniers ainsi que la prolongation de titres d’exploitation – même si un doute persistait sur son caractère obligatoire… A priori, elle aurait été mise en oeuvre si la majorité des communes ou 30 % des électeurs concernés le demandaient. Elle aurait été suivie par un groupement participatif composé entre autre d’élus locaux et de citoyens qui devraient, et là encore le flou persiste, recevoir suffisamment tôt les informations pour pouvoir s’en saisir.
Mais les délais dans lesquels le groupement participatif devait rendre ses conclusions étaient trop courts,
d’autant que l’on applique le principe selon lequel le silence vaut acceptation : compte tenu des intérêts en jeu et des moyens juridiques des industriels, il aurait fallu le principe contraire.
Vous avez dit en janvier « le code minier est le symbole d’un monde ancien ». Pensez-vous que les parlementaires et le gouvernement sont vraiment prêts à tourner la page de ce monde ancien et à renoncer à l’extractivisme ?
Heureusement, les mentalités avancent. Sur l’économie circulaire, contre l’obsolescence programmée, il y a un certain nombre de combats à mener pour limiter nos besoins en terres rares par exemple, pour éviter de renouveler trop souvent nos appareils. Il y a un certain nombre de politiques qui se battent sur ça, mais je crois que, bien souvent, ils sont en retard sur la population dans ce domaine là. Moi je milite depuis très longtemps pour qu’on change de paradigme. Aujourd’hui, la transition est engagée : pas assez vite, pas assez fortement certes, mais nous ne reviendrons pas en arrière. En attendant, ce code minier doit nous permettre de limiter les dégâts et de préserver, autant que faire se peut, notre planète.
Vous avez proposé de nombreux amendements pour « aller plus loin » mais qui ont, pour la plupart, été rejetés par le gouvernement et le rapporteur. Comment se battre concrètement dans l’hémicycle ?
On arrive à se battre par le système d’amendements justement : on en dépose, on essaie d’être le plus nombreux possible sur tel ou tel amendement. Quand c’est possible, on tente aussi de négocier en amont avec le gouvernement, pour dire « attendez, on représente aussi de nombreux citoyens, il faut que vous en teniez compte », et donc on discute politiquement pour essayer de les bousculer.
Nous avions donc déposé de nombreux amendements : pour renforcer davantage la consultation des populations, pour remettre en cause le droit de suite, ou encore pour interdire tous les hydrocarbures non conventionnels, y compris les gaz de couche, etc. Mais sur un sujet comme celui-là, qui arrive aussi tardivement dans l’hémicycle, le gouvernement savait d’avance qu’il n’y aurait pas de suite avant la fin du mandat. Donc ils étaient assez à l’aise pour refuser les amendements, pour réécrire le texte aussi, de manière à ce que ce soit très difficile pour les députés de suivre. D’une semaine à l’autre, le rapporteur a modifié totalement le texte, donc les amendements qu’on avait prévu d’écrire n’étaient plus cohérents avec le nouveau texte – ça a été très compliqué.
Mais je ne mets pas en cause le rapporteur, car je crois que c’était un sujet qui lui tenait à cœur, sur lequel il voulait se battre depuis le début : je l’avais entendu parler de la réforme du code minier en 2012 déjà. Il a voulu que ça passe avant la fin du mandat, pour laisser sa marque – car ce n’est pas sûr qu’il soit là la prochaine fois –, donc peut-être qu’il a accepté des choses qu’il n’aurait pas acceptées plus tôt si le projet avait été travaillé sur un temps plus long.
Et puis, il y a également l’action discrète mais efficace des lobbies industriels qui savent très bien faire leur travail. Beaucoup de députés y sont sensibles surtout lorsque les lobbies brandissent la promesse ou la menace de l’emploi dans leur circonscription, en leur disant qu’ils vont devoir s’expliquer devant leurs électeurs s’ils refusent telle ou telle mesure d’une loi. C’est à ce moment là que certains parlementaires oublient des valeurs pour défendre une industrie qui peut les faire élire, ou battre. Et ça, on le retrouve malheureusement sur tous les sujets. J’étais d’ailleurs en train d’écrire un article sur la loi sur le devoir de vigilance, pour raconter toutes les pressions des lobbies qu’on a subies…
La réforme du code minier adoptée en janvier à l’Assemblée nationale n’a pas pu terminer à temps son parcours législatif. Quelles sont les perspectives maintenant, à quoi a servi ce texte ?
Il a eu le mérite du débat à l’Assemblée nationale. De plus, ça a été repris dans la presse. Mais il y a des problématiques qui n’étaient pas assez bien traitées dans cette réforme, comme l’après-mine. La Bretagne est un exemple flagrant : Areva est en train de ramasser des terres polluées un peu partout en nous disant « ne vous inquiétez pas, elles ne sont pas très radioactives ». Et ils les stockent dans une petite commune de 600 habitants, où le maire n’a aucune possibilité de s’y opposer. La mine leur appartient, ils font ce qu’ils veulent, comme mettre un mètre de terre dessus et considérer le travail comme terminé. Pendant des années, ces sédiments ont même servi à des constructions de toutes sortes : des routes, des allées de jardins, des jeux de boules, pour ne pas évoquer les bacs à sable pour enfants !
Donc je crois que le fait qu’on en ait débattu, c’est mieux que rien du tout. Tout le monde savait qu’il n’y aurait pas de deuxième lecture à l’Assemblée nationale. Il aurait déjà fallu un passage au Sénat, qui aurait tout détricoté. Mais donc là en occurrence, tout est à refaire pour les députés qui seront réélus au mois de juin, et j’espère que j’en ferai partie : il va falloir qu’on porte le sujet de nouveau, qu’on reprenne la totalité des choses.
Propos recueillis par Juliette Renaud, le 22 février 2017