Interview : L’appel de Juan et Rebekah, défenseurs des droits Amérindiens, aux actionnaires des banques
Les 23 et 24 mai 2017, Juan et Rebekah sont venus en France demander à BNP Paribas et Société Générale de ne plus financer les projets de gaz de schiste qui oppressent leurs peuples.
S’il est interdit aux banques françaises de soutenir cette industrie ici, elles s’en donnent à coeur joie aux USA où l’administration Trump leur déroule le tapis rouge – et tant pis pour celles et ceux qui subissent les conséquences de ces décisions injustes. Si Juan et Rebekah se sont présentés devant les actionnaires, c’est justement pour qu’on ne les oublie pas quand seront signés les contrats !
Si les déclarations publiques n’ont pas été au rendez-vous, la forte mobilisation de la société civile, en ligne et dans la rue, ainsi que l’impressionnante couverture presse devraient faire réfléchir nos banques quant à leur décision de financer le prochain pipeline ou terminal méthanier aux États-Unis. D’ailleurs, BNP Paribas devrait d’ici la fin de l’année se doter de lignes directives pour guider son retrait des énergies fossiles non conventionnelles aux États-Unis. Société Générale a elle déclaré, de manière surréaliste, que financer des terminaux d’exportation de gaz de schiste aidait la transition énergétique. On vous laisse apprécier…
Pourquoi êtes-vous venus en France ?
Bekah : Juan Mancias, président de la tribu Esto’k Gna et moi-même, avons voyagé en France pour affronter les grandes banques BNP Paribas et Société Générale et leur demander de se retirer des terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié Texas LNG et Rio Grande LNG prévus chez nous au Texas.
Juan : Ces banques ne sont pas conscientes des risques de ces terminaux pour nos communautés. Nous avons une prophétie qui annonce je crois notre bataille contre ces terminaux et les pipelines d’énergies fossiles qui y sont liés, qui veulent perforer nos terres pour en extraire leurs ressources. Nous les appelons « les grands serpents noirs ». C’est pour demander aux banques de ne pas financer ces projets que je suis venu en France.
Quels sont les risques de ces projets pour vous et votre communauté ?
Bekah : Notre côte est le seul endroit, sur tout le littoral du Texas, qui n’a pas été sacrifié aux raffineries et à l’industrie des énergies fossiles. Si les terminaux LNG sont construits, nos communautés qui dépendent de l’éco-tourisme et de la pêche seraient forcées de transformer leurs vies pour s’adapter à ces entreprises qui imposeront leur marque sur toute la ville. Ils formeront le plus gros complexe d’exportation de Gaz Naturel Liquéfié (GNL) au monde.
Juan : La construction des terminaux d’exportation de GNL impactera notre refuge faunique et un site indigène historique reconnu à l’échelle nationale. Ce site est connecté à mon peuple, le premier peuple du Texas. Nos ancêtres y sont enterrés. Je suis fatigué de voir mon peuple mourir, de voir mes ancêtres déterrés encore et encore. Chaque fois qu’on déplace leur tombe, on les tue à nouveau.
Quelle a été votre réaction quand vous avez appris que ces projets étaient soutenus par des banques françaises alors que la fracturation hydraulique est interdite dans notre pays?
Bekah : Cela fait trois ans que notre communauté réunie dans l’organisation « Save RGV from LNG » et les Esto’k Gna résistent aux terminaux d’exportation de gaz naturel liquéfié et petit à petit, nous avons développé des liens avec les organisations environnementales internationales telles que Rainforest Action Network, BankTrack et bien-sûr avec les Amis de la Terre France. Nous étions scandalisés d’apprendre que des banques françaises financent de nombreux projets d’énergies fossiles aux États-Unis, comme le Dakota Access Pipeline, et jouaient un rôle décisif dans ces projets de terminaux d’exportation de gaz de schiste.
Juan : L’interdiction de la fracturation hydraulique dans un pays n’arrête pas pour autant l’expansion de cette industrie polluante et dévastatrice à l’échelle mondiale. C’est en se mobilisant au niveau international contre ces projets destructeurs d’énergies fossiles que nous pourrons garantir des environnements sûrs et sains pour tous à l’avenir.
Les banques françaises disent que le GNL est une énergie de transition vers les énergies renouvelables. Qu’en pensez-vous ?
Bekah : Le GNL est très loin d’être une alternative propre au charbon. Si les trois terminaux GNL sont mis en pleine exploitation, ils contribueront alors à émettre autant de gaz à effet de serre que 30 centrales à charbon. Et l’ensemble du processus, comprenant l’extraction par fracturation hydraulique, le transport du gaz à travers des pipelines sur lesquels se produisent trop souvent des accidents, sa liquéfaction et son exportation par des navires-citernes à des milliers de kilomètres, son acheminement vers les centrales où il sera brûlé sont autant d’étapes extrêmement énergivores. Les fuites de méthane tout du long constituent une grave menace pour le climat et pour la santé des populations. Juan : La seule transition qu’il vaille, c’est l’arrêt de ces investissements fossiles pour laisser la chance aux communautés locales de construire leur modèle énergétique, basé sur les renouvelables.
N’est-ce pas toujours les mêmes en première ligne des combats sociaux et environnementaux ?
Bekah : En effet, notre communauté, majoritairement latino et d’origine autochtone et qui compte parmi les plus pauvres des États-Unis, fait déjà face aux impacts de mauvaises décisions prises par des politiciens déconnectés des besoins locaux. D’ores et déjà, nous sommes confrontés à la construction du mur frontalier avec le Mexique et à la militarisation de la zone ; à l’élévation du niveau de la mer et aux maladies transmises par les moustiques ; deux conséquences des changements climatiques. Et aujourd’hui, c’est 12 km2 de terres vierges totalement préservées comprenant des sites autochtones sacrés et des espèces protégées que trois entreprises gazières veulent détruire pour leurs profits. Les entreprises gazières sont venues pour nous convaincre des bénéfices de leurs projets. Pourtant, toutes les villes directement concernées ont voté des résolutions contre ces terminaux. Notre priorité est un environnement sain et sauvegardé pour nous, nos enfants et la biodiversité, et non leurs profits.
Juan : Nous, nous n’avons même pas été consultés par la FERC, la Commission fédérale de régulation de l’énergie alors que nous sommes les premiers habitants de la Vallée du Rio Grande au Texas… C’est typique de la politique des États-Unis. Ici, les agences publiques ignorent les peuples autochtones et les entreprises des énergies fossiles veulent juste extraire toujours plus de ressources sans même consulter ou considérer les droits de ceux qui sont présents sur ces terres.
Quel est votre bilan de votre venue en France et aux Assemblées générales des banques ?
Bekah : Aucune banque ne s’est engagée à se retirer de Texas LNG et Rio Grande LNG, mais au moins, nous avons fait entendre la voix de nos communautés. Si elles décident finalement d’accompagner
puis financer ces projets, elles ne pourront le faire la conscience tranquille car elles sauront qu’elles sont en train d’imposer une pollution massive et violer les droits de communautés et peuples autochtones qui y sont opposés. Notre venue a aussi apporté sa pierre à la construction et au renforcement du mouvement mondial contre les gaz de schiste. Nous espérons avoir inspiré le grand public et l’avoir encouragé à prendre position à nos côtés pour l’arrêt de ces financements destructeurs. Juan : La France a été très réceptive. Que ce soit le grand public ou les journalistes, tous ont été très à l’écoute de notre histoire et la presse a vraiment répondu présente. J’aurais souhaité avoir le même écho dans les médias américains. Je pense aussi que si les banques et les actionnaires n’ont pas apprécié qu’on critique leurs projets, ils ont été forcés de nous écouter et ont pris conscience de certains éléments qu’ils ignoraient jusque-là.
Propos recueillis par Lucie Pinson des Amis de la Terre, le 16 juin 2017.