Irrigation et agrocarburants : lettre à Mr Emmanuelli
Alors que la sécheresse sévit, 150 millions de m3 d’eau sont gaspillés dans la région, pour faire de l’éthanol de maïs ! Cela représente 2 ans et demi du débit moyen de la Midouze ou l’eau utilisée en un an par un million de ménages !
En plus, cette production est soutenue par des mesures de défiscalisation qui coûtent 35 millions d’euros ! Sans oublier que l’utilisation de matières alimentaires pour les moteurs fait monter les prix alimentaires mondiaux et précipite dans la faim de smillions de personnes. Face à un tel scandale, nous avons écrit au Président du Conseil Général des Landes. Voici la lettre envoyée le 18 février 2011. Nous attendons toujours une réponse… (Copie de la lettre a été envoyée à Sud-Ouest Mont-de-Marsan et Bordeaux, sans effet)
A Mr le Président du Conseil Général des Landes
Objet : soutien à l’irrigation
Monsieur
Le 19 novembre dernier avait lieu une session extraordinaire du Conseil Général dans le cadre des mesures en faveur de la Démocratie participative que vous avez mises en place dans les Landes. Elle portait, à la demande d’une partie de la profession agricole, sur l’irrigation et la nouvelle loi sur l’eau.
Les Amis de la Terre ne peuvent qu’être étonnés que la question de l’eau soit encore et toujours abordée sous l’unique aspect de l’augmentation de la ressource, sans poser la question essentielle de la réduction de la demande. Est-ce que, par exemple, d’autres cultures auraient autant besoin d’eau que le maïs, plante originaire du Mexique ?
Les Amis de la Terre sont aussi très gênés de voir les demandes d’aides financières des maïsculteurs, lorsque l’on sait qu’une partie de ce maïs doit être transformé en éthanol.
A propos d’irrigation et d’éthanol, faisons un petit calcul simple. Prenons une voiture qui consommerait 6 litres d’essence aux 100 km. Il lui faudrait pour parcourir la même distance, 9 litres d’éthanol, compte tenu de la densité énergétique moindre de celui-ci (à noter que notre brave automobiliste paye donc 50% de plus de taxes pour le même kilométrage…). Comme il faut 300 litres d’eau pour avoir un kilo de maïs et 3 kilos de maïs pour faire 1litre d’éthanol, il faut donc 900 litres d’eau pour 1 litre d’éthanol. Donc pour faire 100 km avec de l’éthanol, il aura fallu 9 fois 900 litres d’eau, soit un total de 8 100 litres ou 81 litres d’eau au km ! Et ce chiffre ne tient pas compte de l’eau nécessaire lors du processus de fabrication de l’éthanol !
L’essentiel du maïs qui part à Lacq est du maïs irrigué. En fait, avec l’éthanol de maïs, ce ne sont plus des champs qu’on irrigue, mais des « moteurs à eau » !
Comme vous le savez, l’usine d’Abengoa Energy à Lacq a été construite pour une capacité de 500 000 t de maïs, soit 10% de la production du Sud-Ouest. Sa production totale est de 2 500 000 hl d’éthanol par an. Actuellement, il s’agit de 2 000 000 hl d’éthanol produit à partir de maïs et 500 000 hl à partir d’alcools viniques. (Il ne vous aura pas échappé que l’éthanol produit à partir d’alcool est de l’éthanol, mais que, lorsqu’il est produit à partir de maïs, il devient du… « bio »-éthanol).
Vous n’êtes pas, non plus, sans savoir que les éthanoliers profitent d’une défiscalisation de 14 € par hectolitre d’éthanol, soit un cadeau de 35 millions d’€ pour la production de Lacq. Cela représente quand même 493 000 € pour chacun des 71 emplois annoncés, ou, pour 500 000 tonnes de maïs, 56 € par tonne de maïs, ou bien – selon les chiffres de l’AGPM qui annonce qu’un ha de maïs produit 36 hl d’éthanol – 504 € par hectare de maïs !
Certains agriculteurs se plaignent de voir la surface irriguée réduite et voudraient recevoir des aides publiques pour augmenter les retenues d’eau. Pourtant le contribuable finance déjà une défiscalisation qui ne lui profite pas, paye plus de taxes à la pompe et devrait en plus soutenir financièrement des projets de retenues d’eau, afin de faciliter la production de ce gouffre financier qu’est l’éthanol.
Il est vrai qu’on pourrait imaginer que les avantages de l’éthanol de maïs sont tels – en termes de gains énergétiques et de limitation de gaz à effet de serre – que l’on puisse accepter une telle ponction dans le porte-monnaie du consommateur / contribuable et …dans les réserves d’eau landaises.
Mais il n’en est rien. En fait, comme vous le savez, le bilan énergétique de l’éhanol est plus que médiocre. L’ADEME s’est discréditée en soutenant la première étude sur le bilan des agrocarburants et notamment l’éthanol de maïs (Etude Price Waterhouse Coopers de 2002, commandée par les lobbies agricoles) et a dû revoir sa copie. On peut affirmer que le bilan énergétique de l’éthanol de maïs est, dans le meilleur des cas, neutre et si l’on considère en plus que l’éthanol est incorporé dans l’essence sous forme d’additif (l’ETBE qui demande beaucoup d’énergie pour sa fabrication), il est carrément négatif !
En clair : l’éthanol ne couvre même pas l’énergie qu’il faut pour le produire et il vaudrait mieux utiliser directement l’énergie fossile ! Même chose pour les émissions de gaz à effet de serre.
Et ce n’est pas fini ! En ces périodes de hausses des prix alimentaires, il n’est pas inutile non plus de rappeler que le premier moteur de ces hausses, ce sont les programmes agrocarburants des Etats-Unis et de l’Union européenne (Dès 2007, l’OCDE annonçait que les prix alimentaires allaient augmenter de 20 à 50% dans les 10 années à venir !). A cela s’ajoute bien sûr les alea climatiques, ainsi que la spéculation, puisque rien n’a été fait depuis la crise financière pour la contrôler.
Mais il n’y a spéculation que parce que les spéculateurs peuvent compter sur de fortes tensions et des hausses à long terme sur les marchés alimentaires. Encore une fois, ces tensions sont en premier lieu provoquées par la demande croissante en maïs, soja, huile palme, colza, blé, etc…. tous ces aliments détournés vers la production d’agrocarburants.
Vous reconnaîtrez qu’il est quand même pour le moins paradoxal qu’une activité agricole soit le facteur n°1 de la hausse des prix alimentaires mondiaux et provoque ainsi un accroissement de la faim dans le monde ! On est passé de 850 000 000 d’affamés en 2008, à plus d’un milliard en 2010 ! Quel bilan !
Pour les Amis de la Terre, il est indispensable de se poser la question des vraies fonctions de l’agriculture de demain. Tant que les responsables agricoles landais et régionaux soutiendront des projets aussi nuisibles socialement et environnementalement que l’éthanol de maïs, il nous apparaît totalement inacceptable que le consommateur / contribuable landais soit appelé à fournir le moindre soutien financier à l’irrigation dans ce département.
Veuillez agréer Monsieur le Président, l’assurance de nos sentiments écologistes les meilleurs.
Pour les Amis de la Terre-Landes, C. Berdot