La compensation carbone pour les nuls
De plus en plus d'entreprises ou d'ONG présentent la compensation carbone comme une solution aux changements climatiques. Pour les Amis de la Terre, c'est au contraire une dangereuse distraction.
Qu’est ce que la compensation carbone ?
La compensation carbone est un mécanisme qui permet à des entreprises ou des États qui souhaitent, ou qui doivent, réduire leur émissions de gaz à effet de serre de s’acquitter, d’une partie ou de la totalité, de cet effort en finançant un projet dans un autre pays.
La théorie derrière la compensation carbone est que peut importe où sont fait les efforts de réduction du moment que ces efforts sont effectifs. Cependant, il est très difficile de prouver qu’un projet a vraiment permis de générer des réductions d’émissions supplémentaires (c’est le problème de l’additionnalité) ou que la pollution n’a pas été simplement déplacée ailleurs (c’est le problème des fuites).
Quel est le lien entre la compensation carbone et le marché du carbone ?
La compensation carbone peut-être volontaire – c’est à dire ne répondre à aucune obligation – ou s’inscrire dans un marché du carbone réglementaire institué par un ou des États (comme le European Trade System en Europe). En réalité, la frontière entre ces deux formes de compensation carbone est très poreuse.
La première est que la compensation carbone volontaire est basée sur les mêmes erreurs méthodologiques et la même absence de fondement scientifique que les mécanismes de compensation carbone officiellement reconnus, en particulier lorsqu’il s’agit de compensation carbone lié à des projets forestiers.
La deuxième est qu’il arrive très fréquemment qu’un projet de compensation carbone volontaire se transforme par la suite en un projet générant des crédits carbone sur un marché réglementaire. C’est le cas par exemple du projet PHCF à Madagascar (voir le rapport « REDD+ à Madagascar : le carbone qui cache la forêt » ). Autre exemple : en 1998, le premier projet de « puits de carbone » initié par Peugeot et l’ONF International au Brésil était présenté comme un projet à visée scientifique ayant uniquement pour but de développer des méthodologies de calcul du stockage de carbone. Face aux critiques, Peugeot et l’ONF International se sont toujours défendus de vouloir générer des crédits carbone . Or, en 2011, l’ONF International et Peugeot ont annoncé l’émission des premiers crédits carbone issus de ce projet
Est-ce que la compensation carbone est efficace pour lutter contre les changements climatiques ?
Au mieux, la compensation carbone est censée « neutraliser » – c’est à dire maintenir à un niveau constant – les émissions de gaz à effet de serre alors que l’enjeu est bien de les réduire. De plus, il n’est jamais possible d’être sur que cette compensation est effective : brûler une tonne de pétrole et mettre en circulation dans l’atmosphère le carbone contenu est une action certaine alors qu’imaginer qu’un projet va vraiment conduire à une réduction des émissions dans le futur, sans simplement déplacer le problème ailleurs par exemple, est incertain.
Si une entreprise réduit ces émissions et ne compense que la part incompressible, quel est le problème ?
Tout est dans cette fameuse « part incompressible » ! Aujourd’hui de nombreuses entreprises impliquées dans des projets climaticides (exploitation ou financement d’énergies fossiles, construction d’autoroutes ou d’aéroports…) ont des projets de compensation carbone alors qu’il est évident qu’elles ne changent pas leurs pratiques en profondeur. Face à l’ampleur du défi climatique, les efforts de la plupart des entreprises sont encore largement insuffisants et il est prioritaire de concentrer tous les moyens pour engager une reconversion industrielle des plus polluante et continuer à réduire l’impact des autres.
De plus, la compensation carbone volontaire est bien souvent un cheval de Troie utilisé par les entreprises pour anticiper et influencer des contraintes réglementaires. Aux Etats-Unis, des entreprises comme General Motors ou Chevron, qui ont financé d’une main de puissants lobbies pour éviter une loi sur le le climat, ont de l’autre financé de nombreux projets de compensation volontaires portés par des ONG (voir le reportage « Brazil : The money tree » ), notamment REDD+ (REDD+ est l’acronyme pour Réduction des Emissions liées à la Déforestation et à la Dégradation des forêts). Une façon d’éviter de mettre ses œufs dans le même panier et d’influencer cette loi si elles ne parviennent pas à la bloquer. Une stratégie payante car si, au niveau fédéral, les discussion sont dans l’impasse, en Californie – seul Etat en voie d’adopter une législation sur le climat – cette loi pourrait être largement édulcorée par la reconnaissance de ces mécanismes de compensation.
Quels sont les risques sociaux associés à la compensation carbone ?
Pour les Amis de la Terre, la compensation carbone va à l’encontre du principe de « responsabilité partagée mais différenciée », reconnu par les Nations Unies dans les négociations internationales sur le Climat, et légitime un transfert de responsabilité des plus riches vers les plus pauvres. Partir en vacances en avion n’est pas un besoin fondamental alors que défricher un lopin de terres pour sa famille en est un : il n’est donc pas moralement acceptable de proposer de compenser une action évitable en demandant aux plus modestes de modifier leur mode de vie.
De plus, la compensation carbone instaure la création de droits sur le carbone qui peuvent venir se juxtaposer aux droits fonciers sans qu’aucun cadre clair ne vienne en préciser les implications et les limites (voir par exemple, le rapport « Carbone contre nourriture » à propos des projets de Pur Projet ). Quand aucun droit foncier existe – comme c’est le cas dans la plupart des pays du Sud – ces nouveaux droits sur le carbone constituent un obstacle pour les communautés qui souhaitent obtenir une reconnaissance de leurs droits fonciers. Il s’agit donc bien d’une forme d’accaparement des terres.
Alors, que proposent les Amis de la Terre ?
Les Amis de la Terre font campagne pour que les gouvernements et les entreprises s’engagent à réduire de façon drastique leur consommation d’énergie pour limiter à 1,5°C en moyenne le réchauffement climatique planétaire .
En particulier, les Amis de la Terre demandent :
– à l’Europe de réduire de 40 % ces émissions de gaz à effet de serre (par rapport au niveau de 1990) d’ici 2020 sans recours à la compensation carbone.
– aux entreprises d’anticiper et d’accompagner cet objectif en mettant en œuvre des actions fortes pour réduire leur impacts directs et indirects sur le climat. Pour celles qui souhaitent financer en plus des projets de lutte contre les changements climatique dans les pays du Sud de le faire sans création et échange de droit sur le carbone mais par exemple, par une contribution volontaire sur l’énergie qui pourrait alimenter un fond international ou des projets d’ONG.