La flambée des prix alimentaires met le feu aux poudres
Le monde s’apprête à revivre en 2011 une nouvelle crise alimentaire dont les causes restent identiques à celles qui avaient causé les émeutes de la faim il y a trois ans.
Le spectre de la faim ressurgit. Les voyants annonçant une nouvelle hécatombe alimentaire s’allument les uns après les autres. Blé, maïs, café, sucre, huile de palme, la plupart des matières agricoles voient leurs cours s’envoler. Des analystes pointent du doigt une météo capricieuse et des catastrophes naturelles en série dans plusieurs pays fournisseurs du marché international : inondations en Australie, sécheresses en Argentine, incendies en Russie, pluies trop fortes au Canada… Et la hausse du prix du baril de pétrole ne fait qu’alourdir la facture. Selon l’Organisation des Nations unies pour l’agriculture et l’alimentation (FAO), l’indice des prix des produits alimentaires a atteint un record en décembre 2010. Ni la Chine ni l’Inde n’ont été épargnées avec une hausse de 20 et 18 %. En Algérie, après plusieurs jours d’émeutes, en partie dues à cette flambée des prix, le gouvernement a annoncé une exonération temporaire de 23 % des charges imposées aux importateurs d’huile et de sucre. Ce sont désor mais 80 pays qui sont en situation de déficit alimentaire d’après l’ONU.
Ruée sur les terres fertiles
Désireux de sécuriser leurs accès aux céréales, plusieurs pays importateurs comme l’Arabie Saoudite et la Corée du Sud, louent des millions d’hectares de terres en dehors de leurs frontières. Autre exemple : la Chine qui a obtenu une concession de 2,8 millions d’hectares en République démocratique du Congo pour y implanter la plus grande palmeraie du monde. Fatimatou Hima, membre de Via Campesina 1 en Afrique, résume cette situation à « un combat entre David et Goliath ». Cet accaparement massif des terres déstructure les productions et marchés locaux, pourtant les mieux à même de nourrir les populations indigènes.
La pénurie est-elle en cause dans les émeutes de la faim ? On constate aujourd’hui un doublement de la consommation mondiale de céréales, passée de 21 millions de tonnes par an pour la période 1990-2005 à 41 millions pour 2005-2010. Aux origines de cette hausse, les agrocarburants. Aux États-Unis, 50 % de la production de maïs est transformée en éthanol. Au Brésil, la canne à sucre sert désormais à faire le plein des voitures. Le problème n’est donc pas la pénurie mais bien un problème politique de répartition des ressources et de priorités.
L’ombre de la spéculation
L’Union européenne (UE) participe à cet emballement des prix : en fixant par la directive sur les énergies renouvelables un taux minimum d’incorporation de « 10 % d’agrocarburants dans la consommation totale d’essence et de gazole destinés au transport […] d’ici à 2020 », l’UE assure à terme un marché juteux aux producteurs d’agrocarburants. En septembre 2010, un rapport de la fédération des Amis de la Terre alerte sur cette « demande en agrocarburants [qui] détourne vers les carburants des ressources alimentaires – comme le manioc, l’arachide, le sorgho sucrier, le maïs… – de leurs consommateurs habituels ».
Un autre facteur de déstabilisation du marché vient s’ajouter aux catastrophes naturelles et à l’accaparement des terres : la spéculation. Les fonds de pensions et autres banques d’affaires ont découvert qu’ils pouvaient placer leurs formidables avoirs monétaires sur… les produits alimentaires ! Dans une enquête intitulée La bulle alimentaire : comment Wall Street a affamé des millions de personnes dans le monde sans être inquiété, le journaliste Frederick Kaufman a étudié le rôle de la banque d’investissement Goldman Sachs dans la crise alimentaire de 2008. « En accumulant des contrats d’achats à terme du blé, Goldman Sachs a entrainé “le choc de la demande”, explique Frederick Kaufman. Habituellement, le prix augmente quand l’offre baisse mais ici, la demande artificielle d’achat a entrainé l’augmentation des prix. »
À Dakar, à l’occasion du Forum social mondial qui s’est tenu du 6 au 11 février 2011, un appel a été rédigé contre l’accaparement des terres. Les signataires demandent aux parlements et aux gouvernements que cessent immédiatement tous les accaparements fonciers massifs en cours ou à venir et que soient restituées les terres spoliées. Ils exigent la mise en place d’un cadre effectif de reconnaissance et de régulation des droits fonciers des usagers. Comme le rappelle Fatimatou Hima, « la priorité pour les petits producteurs est d’assurer la souveraineté alimentaire aux populations ». Trois ans après les émeutes de la faim, le vent de la révolte gronde à nouveau.
> SOPHIE CHAPELLE
Mouvement international paysan, Via Campesina milite pour une agriculture locale et durable. www.viacampesina.org