La globalisation de la famine menace
Les conséquences de la sécheresse qui s'est abattue sur les Etats-Unis ces derniers mois le confirment : sans un réel changement de cap, les pénuries alimentaires, les famines, les émeutes de la faim seront plus que jamais le quotidien d'une grande partie de la population mondiale.
Dans de nombreuses régions, des millions de personnes sont dépourvues de nourriture. Ceci va s’amplifier avec la hausse des prix des matières premières agricoles, en particulier les céréales, qui n’en finissent plus de monter. Pour le seul mois de juillet 2012, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) a signalé une hausse des cours de l’ordre de 6 %.
Les causes de ces augmentations sont connues. Il y a d’abord les conséquences des dérèglements climatiques. Dans un rapport récemment publié, l’ONG OXFAM démontre que l’impact de ces dérèglements sur les prix alimentaires est gravement sous-estimé, en particulier en ce qui concerne des phénomènes météorologiques de plus en plus extrêmes et récurrents dont la sécheresse aux Etats-Unis est un exemple. Juillet 2012 a été le mois le plus chaud jamais enregistré aux Etats-Unis.
Faire du fric avec notre blé
Du fait de la sécheresse, les Etats-Unis, premier exportateur mondial de maïs, ne devraient produire cette année que 274 millions de tonnes, la plus faible récolte depuis six ans, soit 20 millions de tonnes de céréales détruites ou non récoltées, exactement la quantité exportée chaque année par le pays. Le prix du maïs s’est envolé de 60 % en deux mois, avec pour conséquences les pires difficultés alimentaires pour les pays pauvres dépendant des importations.
A cela s’ajoute la production criminelle d’agrocarburants. Les agrocarburants, c’est de fait l’organisation de famines durables par le détournement de la nourriture de base de millions d’êtres humains (maïs, blé, soja). Les céréales actuellement cultivées pour produire du combustible aux États-Unis seraient suffisantes pour nourrir 330 millions de personnes par an. Il n’y a pas non plus de crise alimentaire sans la spéculation qui l’accélère et l’aggrave. De très gros investisseurs gagnent des sommes colossales sur le marché mondial. L’une des causes de la volatilité des prix est la spéculation qui sert de valeur refuge aux fonds financiers. En 2007 et 2008, années du pic des prix alimentaires, les placements financiers dans les produits agricoles étaient plus rentables que dans le pétrole, les actions ou les obligations d’Etat. Les spéculateurs achètent et revendent des produits agricoles sans jamais les voir, ils spéculent même sur des récoltes qui ne sont pas encore semées. Seulement 2 % des contrats à terme sur le marché agricole aboutissent à la livraison d’une marchandise. Les 98 % restants sont revendus par les spéculateurs avant leur date d’expiration.
Pour l’agriculture paysanne
Que va-t-il se passer si le cours des céréales continue à flamber ? Les 920 millions de mal-nourris, vont avoir encore plus faim, et d’autres vont les rejoindre. On va franchir à nouveau le cap symbolique du milliard d’affamés, alors que la demande alimentaire mondiale ne cesse d’augmenter, jusqu’à 70 % de plus d’ici l’année 2050. Ces crises à répétition ne doivent-elles pas nous inciter à nous interroger sur la soutenabilité de notre système alimentaire ? La moitié du blé mondial, les trois quarts du maïs et du soja ne servent pas à faire du pain mais du boeuf pour les bien-nourris. Il nous faut revoir nos habitudes alimentaires : moins d’obèses ici et moins de mal-nourris partout ailleurs.
Dans un appel signé par les Amis de la Terre France, à l’instigation des Amis de la Terre International, plusieurs organisations dont la Via Campesina dénoncent le double langage de la FAO. Alors que Graziano da Silva, son directeur actuel, avait, avant sa désignation, assuré qu’il s’engagerait à soutenir l’agriculture paysanne, il affirme le contraire dans un article qu’il a co-signé dans le Wall Street Journal du 6 septembre 2012 avec Suma Chakrabarti, président de la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (BERD), appelant à « fertiliser la planète avec l’argent », désignant le secteur privé comme « moteur principal » de la production alimentaire, écartant les paysans sous le prétexte qu’ils constitueraient des fardeaux empêchant tout développement agricole. Alors qu’à l’inverse, on constate que, partout où les données officielles sont disponibles, l’agriculture paysanne se révèle plus efficace que les industries agroalimentaires. L’expansion de l’agroalimentaire ne fait qu’exacerber la pauvreté, augmenter les destructions environnementales. L’humanité a besoin que les zones rurales soient protégées et promues, parce que l’agriculture paysanne est plus efficace et productive, et que finalement elle contribue au refroidissement de la planète.
> ALAIN DORDE
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Crédit photo : Kenneth Odiwour/IRIN