L’accord climaticide que nous devons faire tomber
Le Traité sur la Charte de l’énergie est peu connu mais sape le combat contre le changement climatique.
Nous, militant·e·s pour le climat et la justice sociale, faisons actuellement tout ce qui est en notre pouvoir pour essayer d’empêcher les gouvernements de verser des sommes faramineuses pour renflouer les industries polluantes. Alors que les institutions européennes et les gouvernements européens s’engagent à injecter d’énormes sommes d’argent public pour relancer l’économie après la crise du coronavirus, nous avons une occasion historique de reconstruire une société meilleure et de favoriser une transition juste vers l’avenir énergétique propre dont nous avons besoin.
À rebours de cette trajectoire souhaitable, nombre de grandes entreprises polluantes, comme les constructeurs automobiles et les compagnies aériennes, ne veulent rien d’autre que préserver le statu quo qui conduira à aggraver l’urgence climatique. Malheureusement, et en dépit de la rhétorique verte des gouvernements, les grandes entreprises ont jusqu’à présent réussi à obtenir des aides importantes assorties de très faibles conditions.
En ce qui concerne le secteur de l’énergie (le plus nuisible de tous), un outil puissant dont disposent les entreprises polluantes pour préserver le statu quo est un accord d’investissement méconnu, le Traité sur la Charte de l’énergie. Et il se révèle être de plus en plus un obstacle à toute action en faveur de la lutte contre le changement climatique.
Attaque en règle contre le climat
Un traité absurde et opaque qui permet aux grands pollueurs de continuer à titrer profit du pétrole, du charbon et du gaz
Le Traité sur la Charte de l’énergie est à l’origine d’une charge inouïe contre l’action climatique. Ce Traité, qui est entré en vigueur dans les années 1990, accorde des droits et des garanties aux investisseurs dans le secteur de l’énergie. Les faits ont montré qu’il sert principalement les intérêts du secteur des énergies fossiles.
La principale caractéristique de cet accord opaque est la possibilité qu’il offre aux entreprises du secteur de l’énergie de poursuivre les gouvernements devant des tribunaux arbitraux privés favorables aux intérêts des entreprises (mécanisme connu sous le sigle anglais ISDS). Concrètement, les sociétés énergétiques peuvent utiliser le traité pour mettre à mal les politiques gouvernementales qui pourraient avoir un impact négatif sur leurs profits potentiels. Des mesures telles que l’élimination progressive des énergies sales ou la fermeture des usines de combustibles fossiles ont été ciblées.
Si les entreprises gagnent l’arbitrage, les États doivent leur verser jusqu’à plusieurs milliards d’euros d’argent public en dédommagement, même si cela entre en conflit avec la nécessité de prendre des mesures pour lutter contre la crise climatique.
Une épée de Damoclès sans cesse suspendue au-dessus des décideurs politiques
On peut facilement imaginer à quel point ce traité peut être délétère pour un gouvernement peu enclin à prendre des risques. La mise en place d’un système énergétique sans combustibles fossiles est un défi de taille qui nécessitera des mesures de transformation et des changements audacieux en matière réglementaire et législative. Nous n’avons que quelques années pour démanteler le système d’énergie fossile et mettre rapidement en place une énergie de bien commun renouvelable à 100 %.
Pourtant, avec le Traité sur la Charte de l’énergie, les décideurs politiques sont confrontés à une arme de dissuasion massive. Sous la menace de cette épée de Damoclès en suspens au-dessus de leur tête, ils sont incités à assouplir ou à abandonner des politiques publiques écologiques, un effet connu sous le nom de « gel réglementaire ».
Cela ressemble fort à un cauchemar saugrenu. Malheureusement, ces histoires sont avérées. Des entreprises du secteur des énergies fossiles ont déjà cherché à interférer avec les lois sur le climat en France et aux Pays-Bas. Beaucoup d’autres l’ont fait pour contester des normes environnementales, ou des réglementations sociales visant à placer de nouveau la distribution d’énergie dans le domaine public, ou à réguler les prix de l’énergie (voir les encadrés 1 et 3 de notre rapport).
Ce qui se profile : une vague de litiges pour contester la montée en puissance de l’action climatique
Au total, les entreprises ont déjà utilisé le Traité sur la Charte de l’énergie pour contester des politiques publiques au moins 128 fois (probablement plus, car aucune règle n’oblige les tribunaux arbitraux ni les parties à rendre publiques ces affaires). En conséquence, ces tribunaux ont accordé 52 milliards de dollars aux investisseurs dans le domaine de l’énergie, et ils pourraient leur accorder jusqu’à 32 milliards de dollars de plus si ces derniers gagnent les affaires en cours. Ces milliards vont directement remplir les poches des investisseurs, plutôt que de soutenir une transition écologique équitable durant les années à venir. Et à mesure que les gouvernements intensifieront leur action en faveur du climat, le nombre de litiges ne fera probablement qu’augmenter. La transition énergétique pourrait faire face à une vague d’attaques de la part des entreprises.
À l’heure actuelle, de telles sommes d’argent public sont nécessaires pour financer les systèmes de santé et une reprise économique juste, non pas pour renflouer les entreprises du secteur des énergies fossiles pour leurs investissements risqués et court-termistes.
Démantelons le Traité sur la Charte de l’énergie MAINTENANT
Le Traité sur la Charte de l’énergie est simplement absurde. Mais, en dépit de leurs discours, l’Union européenne et les gouvernements ne semblent pas comprendre ses effets nuisibles sur l’action climatique. Ils se sont plutôt engagés dans un long processus pour tenter de le « moderniser » (c’est-à-dire le préserver).
La réforme proposée est vouée à l’échec car elle ne s’attaque pas aux problèmes fondamentaux. Et, même si c’était le cas, elle nécessiterait l’unanimité des membres du traité, un cas de figure très peu probable. Ils disent avoir besoin de plus de temps pour ce processus. Mais dans cette urgence climatique, le temps est justement ce qu’il nous manque.
Nous savons quelles sont les mesures à prendre pour éradiquer les énergies fossiles et avoir une chance de survie sur notre planète. La suppression du Traité sur la Charte de l’énergie devra être l’une d’entre elles.
C’est pourquoi 280 organisations appellent l’Union européenne et les gouvernements européens à se retirer du Traité sur la Charte de l’énergie, ou à y mettre fin conjointement. Jusqu’à présent, cet appel est resté lettre morte. Unissons nos forces et attaquons-nous ensemble à cet obstacle !