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Agriculture
12 octobre 2017

Les semences dans la tourmente

Sur 30 000 plantes terrestres comestibles connues, seules 7 000 sont cultivées. En réalité, 30 plantes nourrissent le monde et 5 cultures céréalières assurent 60 % des apports énergétiques de la population humaine. La FAO estime que 75 % de la biodiversité cultivée a été perdue entre 1900 et 2000.

Mais pour chaque plante, c’est aussi la diversité génétique qui disparaît. Les industriels travaillent sur « des lignées pures » qui présentent un appauvrissement génétique énorme. Face à l’érosion génétique et la perte de biodiversité menées par ces multinationales, la résistance s’organise pour faire revivre des espèces anciennes et maintenir la diversité des plantes cultivées en particulier, ici en France, autour du Réseau Semences Paysannes.

Alors que l’on comptait entre 7 000 et 8 000 sélectionneurs dans les années 1970, en 2013, les six premiers groupes du marché contrôlaient déjà 63 % des semences commercialisées dans le monde (ETC Group). Les fusions actuelles Dow Chemical/ DuPont, ChemChina/Syngenta et Bayer/Monsanto ne font qu’aggraver la situation !

Pour rentabiliser leurs investissements colossaux dans les biotechnologies, les firmes semencières ont réussi à obtenir, depuis les années 1980, un durcissement du Droit de la propriété intellectuelle en leur faveur.

À cause du Certificat d’obtention Végétale et plus récemment du brevet, le droit des agriculteurs·rices de ressemer une partie de leur récolte est de plus en plus contraint voire interdit sur certaines espèces… Avec la brevetabilité du vivant, les semenciers contrôlent et orientent la recherche. Celle-ci se concentre sur quelques variétés hybrides absorbant toujours plus d’engrais pour donner de « supers rendements » et maintenant sur les biotechnologies.

Le nombre de plantes cultivées et de variétés cultivées diminue dramatiquement. Les capacités de l’agriculture industrielle à s’adapter aux changements climatiques et à répondre aux futurs besoins alimentaires en est d’autant plus réduite. Les variétés standardisées, composées de clones cultivés en openfields et sous perfusion chimique, n’offrent aucune résilience aux aléas climatiques et sont beaucoup plus sensibles aux ravageurs.

Monsanto, ce sont l’herbicide le plus vendu au monde (Roundup) et les OGM transgéniques (les fameuses « variétés-pesticides » et/ou tolérantes au Roundup), mais aussi les nouvelles biotechnologies – NTB), des partenariats dans le « bio-contrôle », toute une politique d’acquisition de brevets et une participation active dans le numérique avec la « ferme digitale » qui permet de gérer les activités agricoles avec le développement de systèmes permettant de collecter et d’exploiter au mieux une multitude de données recueillies au sein des fermes et in fine de marchandiser tous les pans de la vie quotidienne des agriculteurs·rices.

En achetant Monsanto, Bayer acquiert ces nouvelles techniques et pourra jouer un rôle de premier plan dans ces domaines. Le groupe allemand met ainsi la main sur les nombreux brevets de Monsanto et profite de l’inventivité de l’américain. Plus une entreprise possède de brevets, plus elle contrôle le marché. Le budget global de recherche et développement atteindra environ 2,5 milliards d’euros.

En rachetant Monsanto, Bayer dispose d’un pouvoir de lobby international redoutable. Si Bayer est prêt à payer autant c’est que la firme attend des gains colossaux après la fusion. Il est à craindre que les agriculteurs·rices, les consommateurs·rices, l’environnement et la démocratie n’aient à payer la note…

Les paysan·ne·s du Réseau Semences Paysannes ont choisi une toute autre voie. Ce n’est pas facile, mais le chemin parcouru est énorme, même si les industriels ne leur font aucun cadeau.

Fin des années 90, les contaminations induites par l’autorisation des OGM transgéniques et les évolutions réglementaires confortant toujours plus le monopole des semences industrielles met en lumière le verrouillage à l’œuvre dans le secteur. Les variétés dites « locales », « de pays » ou encore « anciennes » sont en passe de devenir inaccessibles et la majorité des agriculteurs·rices ont d’ailleurs abandonné la pratique de conserver leurs semences à la ferme : après-guerre, c’est d’abord l’État puis les entreprises privées qui assurent la production de semences standardisées pour une agriculture productiviste 1.

Ce contexte agit comme catalyseur chez certain·e·s paysan·ne·s critiques du productivisme. Un premier état des lieux des pratiques individuelles et collectives de conservation, multiplication et sélection de semences à la ferme aboutit à la rencontre de 350 praticien·ne·s en 2003 à Auzeville. Une déclaration solennelle engage à cette occasion l’ensemble des participant·e·s et les structures organisatrices 2 à défendre les droits fondamentaux des paysan·ne·s sur leurs semences et à construire une alternative collective aux variétés industrielles. Le Réseau Semences Paysannes est né quelques mois plus tard pour animer cet engagement.

Après 15 ans d’existence, différents collectifs 3 regroupant des paysan·ne·s, des jardiniers·ères, des artisan·e·s semenciers·ères, des cuisiniers·ères, des boulangers·ères, parfois accompagné·e·s d’animateurs·rices et de chercheur·se·s, continuent de s’organiser en réseaux plus ou moins formels de conservation, de multiplication, de sélection et d’échange de semences paysannes sur une partie importante des plantes alimentaires en France. Ces semences paysannes 4 sont libres de droit de propriété industrielle et s’appuient sur une large base génétique ce qui leur permet de s’adapter à la diversité des terroirs comme des pratiques.

Sur certaines espèces, les premiers résultats sont là : en conditions d’agriculture biologique, les variétés paysannes de blé (plus d’une centaine en cours de sélection dans le réseau) sont très intéressantes : au-delà du rendement en grain, la production de biomasse (pailles hautes) et les qualités nutritionnelles et organoleptiques sont appréciées, notamment dans les sols maigres avec moins de potentiel. Ces variétés montrent aussi une stabilité et une résilience intéressante face aux aléas climatiques. Surtout, elles montrent une voie différente de celle du « progrès génétique » qui aboutit aujourd’hui à l’hégémonie de l’industrie agrochimique et à l’imposition programmée d’une alimentation biotechnologique bardée de brevets 5. Cette voie repose sur des réseaux de collectifs locaux qui construisent ensemble d’autres pratiques en partageant semences et savoir-faire. Ces réseaux exercent une démocratie alimentaire réelle où citoyen·ne·s et paysan·ne·s ne sont pas simples consommateurs·rices des produits agro-industriels mais acteurs centraux du système alimentaire.

Christian Berdot, administrateur au Réseau Semences Paysannes pour les Amis de la Terre.

Frédéric Latour, Patrick de Kochko, Pierre Rivière, animateurs au Réseau Semences Paysannes.

Crédit photo : Mansi Thapliyal / ActionAid

Notes
1

Bonneuil C., Thomas F. 2009. « Gène pouvoirs et profits Recherche publique et régimes de production des savoirs de Mendel aux OGM » http://www.semencespaysannes.org/bdf/bip/fiche-bip-243.html

2

Confédération Paysanne, Coordination Nationale de Défense des Semences de Ferme, Fédération Nationale de l’Agriculture Biologique, Mouvement de Culture Biodynamique et Nature et Progrès.

5

Il s’agit d’un ensemble de biotechnologies qualifiées abusivement par l’industrie d’« édition de gènes » ou encore par l’euphémisme de « nouvelles techniques de sélection ». Elles permettent d’activer ou d’inactiver une partie du génome, d’insérer un fragment d’ADN de la même espèce ou d’une autre espèce, ou encore d’imposer un caractère génétique à l’ensemble de la descendance de l’organisme modifié (forçage génétique). Parmi les chimères actuelles issues de ces biotechnologies : vaches sans cornes, micro-cochons, moustiques stériles, plantes cultivées soi disant plus performantes (tournesol et colza résistants aux herbicides, blé résistant au mildiou, pommes de terres ne brunissant pas, soja moins gras, champignons non périssables, pommiers résistants aux maladies, etc.)