Loi biodiversité: des avancées inachevées pour la biodiversité agricole
Communiqué du Collectif "Semons la biodiversité" dont les Amis de la Terre sont membres.
Circulation des semences paysannes et traditionnelles ; brevetage du vivant ; interdiction des pesticides néonicotinoïdes : les questions touchant à la biodiversité agricole ont été jusqu’en lecture définitive du projet de loi Biodiversité âprement débattues. Si des avancées ont été actées, plusieurs points primordiaux restent en suspens pour permettre pleinement à la France de s’inscrire dans un projet annoncé agroécologique…
Depuis 2014, le parcours du projet de loi Biodiversité n’a pas été un long fleuve tranquille, quel bilan en tirer aujourd’hui ?
Une légitime reconnaissance des semences non-industrielles
Le droit d’échanger des semences ou des plants n’appartenant pas à une variété soumise à un droit de propriété industrielle 1, a enfin été élargi à tous les agriculteurs. Concernant les semences et plants n’appartenant pas à des variétés enregistrées au catalogue officiel, le droit de les échanger et de les vendre à des jardiniers amateurs est à présent clairement inscrit dans la loi, y compris pour les plants de légumes.
Mais un recul profondément liberticide.
Malheureusement, cette reconnaissance est limitée, pour ce qui concerne la vente, aux seules associations à but non lucratif. Les paysans et les artisans semenciers en sont exclus. Cette exclusion est particulièrement dommageable pour les plants de légumes commercialisés avant tout par des maraîchers.
De plus, les échanges et les ventes de semences sont désormais tous soumis aux mêmes obligations d’enregistrements, de plans de contrôle et d’analyses sanitaires, certes indispensables pour les productions industrielles de masse, mais totalement inapplicables par l’immense majorité des jardiniers amateurs.
Vers une protection du vivant face à son appropriation par le brevet
Le scandale des brevets sur les gènes « natifs » 2 a encouragé les parlementaires à s’intéresser à l’appropriation illégitime du vivant. La nouvelle loi biodiversité interdit les brevets sur les plantes et les animaux issus de procédés essentiellement biologiques tels que le croisement ou la sélection, ainsi que sur les informations génétiques qu’ils contiennent.
Mais qui reste largement insuffisante.
Mais le brevetage du vivant est aujourd’hui étroitement lié au développement des techniques de génie génétique et de bio-informatique. Sous la pression des lobbys industriels, le Parlement a refusé d’aborder la réglementation des nouveaux OGM qui en sont issus et d’interdire les brevets sur les gènes natifs qu’elles permettent. Si ces nouveaux OGM restent cachés, tout comme les brevets qui vont avec, aucune étiquette n’informera les consommateurs tandis que les paysans et les petits semenciers verront leurs propres semences et animaux menacés d’appropriation par ceux qui auront breveté certains de leurs caractères natifs.
L’interdiction des néonicotinoïdes en 2018 : une avancée retardée et gare aux dérogations !
Grâce à la ténacité de quelques parlementaires et à la forte mobilisation de la société civile, le principe de l’interdiction des néonicotinoïdes en septembre 2018 a été entériné, mais il est regrettable que des dérogations soient possibles jusqu’en juillet 2020. Il s’agit d’une victoire incontestable tant les lobbys et certains membres du gouvernement ont œuvré contre cette interdiction. Néanmoins, au regard des certitudes scientifiques acquises quant aux dommages sanitaires et écologiques générés par ces insecticides et au préjudice subi par les apiculteurs, le collectif Semons la Biodiversité ne peut que regretter la date tardive de 2018 et la possibilité de dérogations jusqu’en 2020.
Espérons que de prochains débats parlementaires permettront de mettre un terme définitif à tout brevet sur les gènes natifs des plantes et des animaux et à toutes les restrictions abusives de diffusion de semences paysannes, jardinières ou artisanales. Il s’agit bien ici de répondre à des questions de souveraineté et de sécurité alimentaire.
Contacts du Collectif Semons la Biodiversité : Guy Kastler 06 03 94 57 21 ; Emilie Lapprand 06 43 61 06 26 ; Jean Sabench : 06 73 91 23 78 ; Anne Furet 01 48 87 77 91.
Semons La Biodiversité est un collectif regroupant une trentaine de structures engagées pour la reconnaissance positive des droits des agriculteurs sur les semences, pour la préservation et le renouvellement de la biodiversité cultivée. www.semonslabiodiversite.com
Pour aller plus loin : le bilan détaillé
Sur le front de la biodiversité agricole, le Parlement a commencé à s’attaquer aux deux scandales que constituent les brevets sur les gènes “natifs” et l’interdiction de diffusion des semences paysannes et traditionnelles. Il s’est malheureusement arrêté en chemin et devra donc y revenir.
Le parlement a d’abord étendu à l’ensemble des paysans le droit d’échanger leurs semences et plants dès lors qu’ils n’appartiennent pas à une variété protégée par un Certificat d’Obtention Végétal ( qui est un droit de de propriété industrielle) : une avancée majeure pour la réalisation des objectifs de l’agroécologie paysanne.
Il a ensuite interdit les brevets sur les plantes et les animaux issus de procédés essentiellement biologiques tels que le croisement ou la sélection, ainsi que sur les informations génétiques qu’ils contiennent.
Mais la pression des lobbys a bloqué toute tentative de réglementation obligatoire des nouveaux OGM issus des dernières techniques de génie génétique et de bio-informatique.
Elle a ensuite empêché l’interdiction des brevets sur les gènes natifs que permettent ces techniques. En effet, si ces nouveaux OGM restent cachés, non seulement les consommateurs en mangeront sans le savoir, mais en plus rien n’obligera l’industrie à indiquer ce qui permet de distinguer les plantes et les animaux dont elle a modifié les gènes, de plantes et d’animaux issus de sélections paysannes ou artisanales et naturellement porteurs de caractéristiques identiques à celles qu’elle a brevetées.
C’est ainsi qu’une poignée de multinationales est en train de breveter tous les gènes essentiels de la biodiversité agricole afin de s’emparer du contrôle de l’ensemble la chaîne alimentaire.
Le Parlement a enfin autorisé les échanges et la vente de semences et de plants non conformes aux standards industriels du catalogue officiel dès lors qu’ils sont exclusivement destinés à des jardiniers amateurs.
Pour les semences et les plants fruitiers, c’est la reconnaissance explicite d’un droit qu’aucun texte réglementaire n’interdit. L’obligation d’enregistrement de la variété au catalogue ne s’applique en effet qu’à la commercialisation « en vue d’une exploitation commerciale de la variété ». La vente à des jardiniers amateurs qui ne commercialisent pas leur récolte ne s’effectue pas « en vue d’une exploitation commerciale de la variété » et n’est donc pas soumise à cette obligation.
Pour la vente de plants de légumes jusqu’alors totalement interdite en l’absence d’enregistrement de la variété au catalogue, c’est une nouveauté.
Malheureusement, ces avancées sont assorties de deux reculs profondément liberticides.
Le droit de vendre ces semences et plants est limité aux seules associations à but non lucratif. Or les principaux vendeurs de plants de légumes non industriels sont des petits maraîchers : leur activité n’est toujours pas reconnue. Et la plupart des vendeurs de semences traditionnelles sont des artisans semenciers : l’interprofession semencière trouvera dans cette loi un nouveau prétexte pour tenter de remettre en cause la réglementation européenne qui n’interdit pas leur activité.
Quand aux échanges de semences, ils sont désormais tous soumis aux mêmes plans de contrôle et analyses sanitaires, certes indispensables pour les productions industrielles de masse, mais totalement inapplicables par l’immense majorité des jardiniers amateurs. Si quelques grosses associations de vente de semences anciennes voient avec cette loi leur activité explicitement sécurisée, la guerre enclenchée par l’interprofession semencière contre les multiples bourses d’échanges de semences et les petits producteurs paysans ou artisanaux risque malheureusement de continuer à agiter les campagnes.
En savoir plus sur le Collectif Semons la Biodiversité
En 2011, si le Collectif Semons La Biodiversité s’est d’abord créé pour proposer une loi positive afin de faire reconnaître les droits des agriculteurs, il a du très rapidement se mobiliser contre la loi COV (qui a été finalement adoptée en décembre 2011). Le collectif s’est fortement mobilisé pour appeler l’abrogation de cette loi.
La mobilisation s’est poursuivie en 2012 à travers un printemps des semences paysannes et fermières sans OGM .
Depuis, les membres du Collectif Semons la Biodiversité continue leur travail commun à travers différentes campagnes en lien direct avec l’actualité politique : le brevet unitaire européen ; les Accords de Libre-échange UE- Canada et UE- USA ; la Loi pour l’Avenir de l’Agriculture de l’Alimentation et de la Forêt ; la loi de lutte contre les contrefaçons ; mobilisation suite à des contrôles disproportionnés auprès de petits maraîchers vendeurs de plants. Voir aussi : www.semonslabiodiversite.com .
Appropriation de caractéristiques préexistant naturellement dans un végétal/animal. Ex : brevet sur les laitues résistantes aux pucerons permettant à son détenteur Rijk Zwaan d’exiger un droit de licence aux entreprises vendant déjà des semences de telles laitues comme Gauthier.
À savoir le Certificat d’Obtention Végétale ou COV.