Loi Climat : le gouvernement décidé à enterrer ses promesses de finance verte
Alors que la loi Climat est la dernière occasion pour le gouvernement de concrétiser ses ambitions affichées depuis quatre ans de leader de la finance verte, il préfère enterrer totalement le sujet et laisser les banques soutenir toujours plus les énergies fossiles.
Bruno Le Maire, mené par le bout du nez par les acteurs financiers
« La finance sera verte ou ne sera pas ». On ne compte plus le nombre de fois où le Ministre de l’Économie et des Finances a scandé cette phrase devant les acteurs financiers réunis à l’occasion d’un énième rendez-vous sur la finance climat, One Planet Summit ou Climate Finance Day. Mais si Bruno Le Maire a bien identifié la cause du problème – l’addiction des banques, des investisseurs et des assureurs aux industries polluantes –, il s’est avéré incapable d’y répondre.
Il a multiplié les appels à la bonne volonté des établissements de la Place financière de Paris : après leur avoir demandé en 2018 de se doter d’une stratégie de sortie du charbon 1, il a fin octobre dernier fait de même pour les secteurs des pétrole et gaz non-conventionnels 2. Mais le résultat des courses est dramatiquement insuffisant. Même sur l’infréquentable secteur charbon, les autorités de régulation financière font état de niveaux d’ambitions et d’efforts consentis encore variables d’un acteur financier à l’autre 3. En d’autres termes : deux ans plus tard, les banques, les investisseurs et les assureurs français n’ont toujours pas répondu de manière tout à fait satisfaisante à la demande du ministre.
Ce premier test n’augure rien de bon face à l’urgence d’endiguer les soutiens financiers à l’ensemble des énergies fossiles. Pour cause, les grandes banques françaises ont même presque doublé leurs financements aux énergies fossiles depuis l’adoption de l’Accord de Paris, totalisant $295 milliards en quatre ans. La Place financière de Paris s’est ainsi hissée au rang de premier banquier européen des énergies fossiles en 2020. Bruno Le Maire peut continuer de crier dans le désert, les acteurs financiers restent à ce jour déterminés à polluer.
La finance, grande oubliée d’un projet de loi au rabais
Alors que la loi Climat et Résilience est la dernière occasion pour le gouvernement d’enfin siffler la fin de la récré pour les acteurs financiers et de concrétiser ses ambitions affichées depuis le début du quinquennat sur la finance verte, cet enjeu est totalement absent du projet de loi. Malgré son objectif explicite d’« aligner les investissements financiers avec la stratégie nationale bas carbone » 4, aucune mesure ne figure au texte pour limiter l’impact climatique des activités financières et notamment pour réorienter les capitaux hors des énergies fossiles.
Les propositions de la Convention citoyenne visant à réguler l’impact climatique des grandes entreprises, y compris des acteurs financiers, ont été complètement balayées du projet de loi Climat. Le gouvernement refuse notamment d’exiger des entreprises une réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre 5. Les 150 citoyen·nes suggéraient également de sanctionner les soutiens des banques aux secteurs polluants, en taxant leurs profits réalisés sur les projets d’investissements néfastes pour le climat à hauteur de 40% 6.
De telles mesures contraignantes et structurantes sont pourtant à prendre de toute urgence pour empêcher les banques de nous condamner à un réchauffement de 4 °C : le podium des entreprises les plus polluantes du CAC40 est occupé par trois banques – BNP Paribas, Société Générale et Crédit Agricole – et l’empreinte carbone totale des banques françaises représente à elle seule près de 8 fois les émissions de gaz à effet de serre de la France 7. Cela impose de s’attaquer dès aujourd’hui à l’addiction des banques aux énergies fossiles, première cause de ce bilan climatique catastrophique 8.
Les député·es censuré·es dans leur volonté de légiférer
Non seulement le gouvernement a une fois encore tourné le dos à une régulation climat des entreprises, et des entreprises financières, mais les député·es ont été censuré·es dans leur droit fondamental à faire évoluer le texte en ce sens. Un nombre record d’amendements portés par des parlementaires de tout bord ont été jugés irrecevables et purement et simplement privés de débat par la présidente LREM de la commission spéciale de l’Assemblée nationale 9. Parmi eux, plusieurs amendements visaient à renforcer la responsabilité environnementale des banques, en imposant un encadrement strict de leurs activités dans les charbon, pétrole et gaz 10.
Alors que la dernière loi Climat du quinquennat sera débattue en séance publique à partir de la semaine prochaine, il n’a jamais été aussi urgent de restaurer les droits des député·es et d’entendre cet appel à mettre un terme à l’hypocrisie des acteurs financiers.
Une seule solution : la régulation
Le gouvernement doit arrêter de croire en une miraculeuse auto-régulation des banques, cesser d’attendre des pyromanes qu’ils éteignent d’eux-mêmes l’incendie. Il doit au contraire prendre acte de l’inefficacité de son approche strictement incitative, face au rôle actif et conscient joué par la finance française dans la crise climatique. Les Amis de la Terre France appellent à un encadrement dans la loi des activités des acteurs financiers dans les énergies fossiles. Ces normes contraignantes doivent a minima garantir que les acteurs financiers :
- mettent un terme immédiat à tout soutien aux nouveaux projets d’énergie fossile – exploration et exploitation de nouvelles réserves, construction de nouveaux gazoducs, oléoducs, terminaux méthaniers, centrales – et aux entreprises qui les portent ;
- se conforment à un échéancier détaillé de sortie des énergies fossiles, qui garantisse le respect de l’objectif de limiter l’augmentation de la température globale à 1,5 °C.
Discours de Bruno Le Maire au Climate Finance Day 2018.
Communiqué de presse de Bercy du 30 octobre 2020.
Titre II du projet de loi Climat et Résilience, exposé des motifs.
Voir la page 107 du rapport de propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat.
Dans les orientations en matière de financements de la Convention citoyenne pour le climat, non comprises donc dans les 149 propositions. Voir la page 427 du rapport de propositions de la Convention Citoyenne pour le Climat.
Oxfam France (2020) Banques : des engagements climat à prendre au 4ème degré. L’empreinte carbone des banques françaises représente à elle seule 25 fois la baisse des émissions à laquelle s’est engagée la France d’ici 2030 dans le cadre de la stratégie nationale bas carbone – objectif de baisse de -40% des émissions, depuis rehaussé à -55% au niveau européen.
Selon le rapport d’Oxfam France, les crédits aux entreprises actives dans le secteur du pétrole et gaz uniquement représentent plus de 40% des émissions du portefeuille de crédits aux entreprises des banques françaises.
Voir la lettre ouverte de la société civile à Jean Castex et à Richard Ferrand sur le manque de débat démocratique sur le projet de loi climat et résilience.