Qui peut encore miser sur l’huile de palme ?
Dans le sud de la France Total a l’intention de transformer sa raffinerie de La Mède, en « bioraffinerie », pour produire à partir d’huiles un carburant destiné à être mélangé au gazole. Cette « bioraffinerie » est programmée pour consommer essentiellement de l’huile de palme.
Si cela se faisait, l’usine doublerait à elle seule les importations françaises. Les Amis de la Terre France font campagne contre cette reconversion trompeuse. L’enquête publique sur ce projet de reconversion s’est déroulée en avril. Il aura fallu les efforts conjoints des Amis de la Terre Bouche du Rhône, d’Alternatiba et du Collectif Climat Pays d’Aix pour qu’elle sorte de la discrétion souhaitée par Total.
Montrer la réalité du projet
Pour justifier son projet de reconversion industrielle, Total n’hésite pas à vanter l’utilisation qu’il fera d’huiles alimentaires usagées. Or, l’analyse complète du dossier d’enquête publique montre clairement qu’elle ne pourra atteindre que 100 000 tonnes sur les 650 000 attendues. En plus, comme les gisements les plus accessibles en France sont déjà recyclés, Total devra importer la ressource du Maghreb, voire de plus loin. Alors, passée la communication, place à la réalité : pour les 550 000 tonnes restantes, Total mise en fait sur l’huile de palme ou ses dérivés.
« Certifié durable » n’est pas un argument valable
« Certifié durable », voilà encore un argument clé avancé par Total pour justifier l’usage de l’huile de palme. Même si cela offrait une vraie garantie, cela ne ferait finalement que déporter le problème. Oui, tant que la consommation continuera de croître de façon galopante, la pression sur la forêt ne pourra que s’intensifier. Car si Total obtient de l’huile issue de plantations anciennes – et donc certifiées durables – il poussera des producteurs à étendre leurs surfaces pour remplacer le volume ainsi accaparé et vendre leur huile à des acheteurs peu exigeants : ceux-ci ne manquent pas.
Les autorités européennes se positionnent contre l’huile de palme
En fait, les « biocarburants » fondés sur des cultures alimentaires, et ceux à base d’huile de palme en particulier, n’ont pas le vent en poupe en Europe. La concurrence avec l’alimentation, la pression sur les forêts et les terres, le bilan climatique sont de plus en plus pris en compte.
Pour l’huile de palme, l’étude de référence commandée par la Commission Européenne 1 estime les émissions de gaz à effet de serre à trois fois celles du gazole ! La pression des ONG a conduit à plafonner de plus en plus strictement la part de ces « biocarburants » dans le carburant vendu à la pompe : 10 %, puis 7 % en 2015, puis 3,8 % proposés pour 2030. Pour enfoncer le clou, le parlement européen a voté le 4 avril 2017, à une écrasante majorité (640 votes pour, 18 contre, 28 abstentions), une résolution demandant d’éliminer progressivement « l’utilisation d’huiles végétales qui entraînent la déforestation, y compris l’huile de palme, dans les biocarburants, de préférence avant 2020 ».
Une vraie reconversion industrielle ne peut pas être fondée sur l’huile de palme
Selon Total, le projet de bioraffinerie doit permettre de conserver 250 emplois sur les 430 du site de la Mède. Mais les perspectives européennes remettent sérieusement en question la durée de vie d’une telle « bioraffinerie » et sa prétention à conserver des emplois de manière pérenne.
Il n’existe aucune solution évidente et simple pour reconvertir la raffinerie de La Mède, mais il existe des pistes de réflexion et une volonté des syndicats d’y contribuer. Nous allons continuer nos actions pour pousser les décideurs à bloquer cette reconversion fallacieuse, et à faire de La Mède un laboratoire du dialogue entre les syndicats, les collectivités locales, l’État et les entreprises. Il s’agit de concevoir ensemble des trajectoires de reconversion permettant de préserver les emplois, tout en répondant aux enjeux climatiques.
par Catherine Mollière, les Amis de la Terre France.
EEcofys, IIASA & E4tech, 2015. The land use change impact of biofuels consumed in the EU