Rana Plaza, 10 ans après
Le drame est survenu le 24 avril 2013. L’effroi a motivé l’adoption d’une loi en France pour mieux réguler les multinationales. Mais dix ans après l’effondrement du Rana Plaza, les conditions de travail des travailleur·euses du secteur textile restent inhumaines et doivent impérativement être encadrées. Tour d’horizon.
Les terribles dessous de la fast-fashion révélés au grand jour
Le matin du 24 avril, un immeuble à Dacca (capitale du Bangladesh) s’effondre, provoquant la mort de plus de 1 130 personnes, principalement des femmes. L’immeuble de huit étages, du nom de Rana Plaza, abritait des ateliers de confection de vêtements pour des marques internationales, telles que Mango, Benetton ou Primark, ou françaises comme Camaïeu et Auchan.
L’effondrement de l’immeuble est dû à des fissures qui avaient été repérées la veille du drame et ignorées par les responsables des ateliers.
Le drame du Rana Plaza a mis sous les projecteurs du monde entier les conditions de travail délétères des travailleur·ses du secteur textile, notamment dans un contexte de montée de la fast-fashion. Au delà du secteur textile, il a révélé une fois de plus les conséquences dramatiques d’une mondialisation débridée, dans laquelle les multinationales engrangent toujours plus de profits sans jamais être inquiétées des catastrophes humaines et environnementales causées par leurs activités.
La fast-fashion en bref
La fast-fashion est un mode de production de vêtements en grandes quantités, rapide et à moindres coûts. Ce système, marqué par un renouvellement permanent des collections, a des conséquences désastreuses sur l’environnement et les droits sociaux.
Textile, pour en découdre avec la surproduction
Une loi comme tentative de réponse à l’électrochoc
Suite au drame du Rana Plaza et dans le contexte d’une prise de conscience planétaire autour des terribles conditions de travail imposées par les marques de fast-fashion, des parlementaires français·es ont enfin répondu aux demandes portées par les Amis de la Terre France et d’autres organisations alliées mobilisées depuis des années contre l’impunité des multinationales, en déposant fin 2013 une proposition de loi visant à obliger les grandes entreprises à adopter et mettre en œuvre les mesures nécessaires pour identifier et prévenir les violations des droits humains et les dommages environnementaux causés par leurs filiales et sous-traitants, en France et à l’étranger. En cas de manquement à ces obligations, les multinationales concernées devront rendre des comptes devant le juge et pourront le cas échéant être tenues responsables légalement et condamnées à réparer les préjudices causés.
Les lobbies feront de cette bataille contre l’impunité des multinationales un parcours semé d’embûches. Ce n’est que le 27 mars 2017 que sera promulguée la loi française sur le devoir de vigilance des multinationales. En 2018, les multinationales françaises doivent publier leurs premiers plans de vigilance, conformément à cette nouvelle loi, et en 2019 les premières actions en justice peuvent être lancées.
« Dans notre combat contre l’impunité des multinationales, l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance est un tournant majeur. Malgré ses failles et limites, cette loi doit ouvrir la voie à plus de justice, en tenant les entreprises responsables des conséquences humaines et environnementales de leurs activités. »
Six ans après son adoption, une dizaine d’actions en justice ont été lancées, dont deux impliquant les Amis de la Terre France – contre Total et contre BNP Paribas.
Fin de cavale pour les multinationales ? D’une loi pionnière en France à un traité à l’ONU
10 ans plus tard, l’exploitation perdure
Si l’adoption de la loi sur le devoir de vigilance a créé un espoir pour la protection des droits des travailleur·ses du secteur textile et les autres personnes affectées par les activités des multinationales, la fuite en avant de la fast-fashion est toujours d’actualité. Encore aujourd’hui, et plus que jamais, les grandes marques de vêtements génèrent des profits exubérants1 sur le dos des ouvrier·es et de l’environnement. En effet, alors que le drame du Rana Plaza avait choqué le monde entier, les conditions n’ont pas changé : salaires indignes, rythmes de production frénétiques et droits sociaux au rabais. Les chiffres sont effarants : au Bangladesh, les travailleur·ses de l’industrie de la mode sont payé·es 83€ par mois en moyenne, alors que le salaire minimum vital est estimé à 497€2.
Dans l’industrie textile, le piétinement des droits humains se conjugue au féminin. Les ouvriers du secteur sont en effet en grande majorité des ouvrières3, reléguées à des tâches répétitives et dangereuses (les blessures par aiguilles sont fréquentes, sans parler de la fatigue oculaire et de l’exposition à des produits chimiques).
À quand une slow fashion ?
Aux H&M, Zara, et autres ambassadrices de la fast-fashion, succèdent désormais des marques telles que Shein qui incarnent l’ultra fast-fashion. Mêmes recettes, mêmes maux, mais en pire 4… Pendant que des montagnes de vêtements s’entassent dans des décharges à ciel ouvert à l’autre bout du monde et que 2,88 milliards de vêtements sont mis en vente chaque année en France5 (soit 42 par habitant·e), il est urgent de plafonner le nombre de vêtements mis en marché, ralentir les cadences et réduire le renouvellement des collections, pour ouvrir la voie à une mode respectueuse de l’environnement et des travailleur·ses.
Une directive européenne qui ne doit pas manquer sa cible
En mai, le Parlement européen votera sa version du projet de directive européenne sur le devoir de vigilance des multinationales, avant l’ouverture de négociations avec la Commission européenne et le Conseil de l’UE. Depuis le début des négociations, les lobbies ont tout fait pour réduire à peau de chagrin la directive et protéger les intérêts privés des multinationales. Il est essentiel que les eurodéputé·es prennent leurs responsabilités et s’engagent pour une directive européenne ambitieuse, afin de réguler et encadrer les multinationales !
Inditex, maison mère de Zara, bat des records de profits, Le Monde, 15 mars 2023.
ActionAid, Victimes de la Mode, septembre 2022.
Au niveau mondial, 60% des travailleur·ses de l’industrie textile sont des femmes. Ce chiffre passe à 80% dans certaines régions. Chiffres de l’Organisation internationale du travail.
Les employé·es de Shein touchent en moyenne l’équivalent de 4 centimes d’euros par vêtement produit, pour des journées de travail durant parfois jusqu’à 18 heures. Rob Hastings, « Shein: Fast-Fashion Workers Paid 3p per Garment for 18-Hour Days, Undercover Filming Reveals ». Inews, 15 octobre 2022.
Refashion, Rapport d’activité 2019.