Multinationales
12 novembre 2012

RSEE = greenwashing ?

Traditionnellement basé sur l'engagement volontaire, le principe de responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE) n'est jamais parvenu à faire évoluer les pratiques des multinationales. Certaines d’entre-elles ont même réussi à le détourner pour verdir leur image.

Concept qui a émergé au tournant des années 1980/1990, la responsabilité sociale et environnementale des entreprises (RSEE) est la nouvelle marotte de nos multinationales. Mais qu’est-ce donc ? Selon la Commission européenne « la responsabilité des entreprises vis-à-vis des effets qu’elles exercent sur la société ». En France, le ministère de l’Ecologie et du Développement durable préfère parler de responsabilité sociétale des entreprises, ce qui revient quasi au même puisque qu’il s’agit pour les compagnies de « prendre en compte les impacts sociaux et environnementaux de leur activité pour adopter les meilleures pratiques possibles et contribuer ainsi à l’amélioration de la société et à la protection de l’environnement ». En bref, la RSEE est par définition une démarche qui s’appuie sur l’engagement volontaire des entreprises… Un engagement volontaire que l’on pourrait comparer à la main invisible permettant au marché de s’auto-réguler et d’assurer bonheur et prospérité au plus grand nombre.

De biens jolies plaquettes

Ainsi, depuis le boom du développement durable, une grande partie des grandes entreprises françaises et en particulier les multinationales ont fait le grand saut dans le bain de la RSEE publiant une avalanche de chartes éthiques et de rapports annuels 1 faisant état de leurs bonnes dispositions à l’égard des hommes et de l’environnement. Malheureusement, l’édition de jolies plaquettes sur papier glacé ne suffit pas à rendre les entreprises vertueuses. Même l’ONU qui avait fait sien le principe de RSEE via le lancement du Pacte mondial, ou Global Compact pour les anglophones, tend à prendre des distances avec un concept qui est loin d’avoir fait ses preuves. Petit retour en arrière. En 1999, Kofi Annan alors secrétaire général de l’Organisation des nations unies propose aux entreprises réunies à Davos de respecter un certain nombre de valeurs pour favoriser l’émergence de sociétés responsables socialement et environnementalement.

Un an après, elles sont incitées à signer un Pacte mondial qui les engage à « aligner leurs opérations et leurs stratégies sur dix principes universellement acceptés touchant les droits de l’homme, les normes du travail, l’environnement et la lutte contre la corruption » 2. On trouve pêle-mêle « des invitations » à promouvoir et respecter la protection du droit international relatif aux droits de l’homme, à éliminer toutes formes de travail forcé ou obligatoire, à abolir effectivement le travail des enfants ou à appliquer l’approche de précaution face aux problèmes touchant l’environnement. Très vagues dans leur définition, ces principes ne sont, en outre, assortis d’aucune mesure de contrôle et de sanction.

Le reniement de l’ONU

De fait, les signataires de ce pacte ne font que très rarement évoluer leurs pratiques. En revanche, l’apposition du label Nations unies leur permet de redorer leur image. L’an dernier, la Joint Inspection Unit (JIU), l’organe de contrôle et d’inspection des programmes de l’ONU, a d’ailleurs publié un rapport d’évaluation sur le rôle et le fonctionnement de ce dispositif qui laisse perplexe. Il insiste sur les « limites d’une sélection (des adhérents, ndlr) et d’un suivi arc-boutés sur l’adhésion volontaire » et précise que « le caractère volontaire de l’adhésion aux principes de l’IPM et la notion inhérente d’« apprentissage » ne sont guère un gage de « bonne conduite » ultérieure des participants ». Les inspecteurs de la JIU indiquent enfin que des « mesures correctives devraient être prises pour renforcer l’impact du Pacte mondial ».

Au delà du Pacte mondial, ce rapport remet totalement en cause le bien fondé et l’efficacité du concept d’engagement volontaire. Il faut dire qu’entre les déclarations d’intention des uns et des autres et la réalité sur le terrain, c’est le grand écart. Prenons le cas de GDF Suez dont les ambitions en terme de RSEE ne sont pas des moindres puisqu’il s’agit tout simplement de « devenir un référent dans le champ de la responsabilité sociale ». Ce même groupe qui a fait du dialogue social une de ses priorités, est à la tête du consortium responsable de la construction du barrage de Jirau au Brésil. Méprisant la constitution brésilienne qui prévoit le consentement libre, préalable et informé des personnes concernées, GDF Suez et ses partenaires se sont lancés dans un projet qui menace la survie de plusieurs communautés autochtones.

Outre le déplacement de milliers de personnes, l’édification du barrage aura des conséquences irréversibles pour l’environnement (inondation de larges pans de forêt, y compris des aires protégés, à la riche biodiversité, dévastation des stocks de poissons) et par ricochet sur la survie des populations locales privées de leurs moyens de subsistance. Enfin, depuis le lancement de projet, le chantier est émaillé de grèves et d’émeutes ouvrières causées par des conditions de travail jugés déplorables par les syndicats locaux (Libération du 13/04/2011). Autre exemple avec le groupe Vinci qui déclare sur son site Internet : « Notre ambition est de créer de la valeur pour nos clients, nos actionnaires et pour la société. Notre réussite s’apprécie sur le long terme, et notre performance ne se limite pas à nos résultats économiques et financiers. Elle s’apprécie aussi en termes d’adéquation des projets aux attentes des utilisateurs et de la collectivité, de valeur environnementale et de contribution au développement social ».

Peut-on considérer le projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes comme en adéquation avec les attentes des riverains et comme respectueux de l’environnement ? Rejeté par les habitants des environs, la construction de l’aéroport et de ses infrastructures entraînerait le bétonnage de près de 2 000 hectares de terres agricoles fertiles et la destruction d’un bocage d’une qualité écologique exceptionnelle. Pour brouiller les pistes, Vinci propose de créer sur le site ce qu’il appelle un « observatoire agricole » et suggère la création d’une AMAP pour « encourager l’agriculture durable ». Il faut croire que tout le monde n’est pas dupe : l’an dernier l’entreprise a remporté le prix Pinocchio catégorie « plus vert que vert » (voir aussi encadré ci-contre).

Nécessité d’un contrôle

Il ne s’agit là que de quelques illustrations parmi d’autres. On pourrait aussi citer Total dont les pratiques sont épinglées dans la dernière campagne des Amis de la Terre (voir document encarté dans ce numéro de La Baleine). « Par la signature d’engagements volontaires, explique Romain Porcheron, chargé de campagne RSEE aux Amis de la Terre, les multinationales donnent l’illusion de prendre en compte les dimensions environnementales et sociales. Leur discours est le suivant « pourquoi nous imposer de faire ceci ou cela alors que nous acceptons de nous y soumettre volontairement ? ». Par ce processus, elles bloquent toute initiative visant l’adoption d’un cadre juridique et contraignant. » Pourtant, la mise en place de mesures de contrôle et de sanction semble bien être la seule solution pour faire de la RSEE un outil fiable et efficace au service de la protection de l’homme et de son environnement et non plus un simple outil de marketing.

> LUCILE PESCADERE

Notes
1

La loi de 2001 sur les nouvelles réglementations économiques (NRE) demande aux sociétés cotées en bourse d’inclure dans leur rapport annuel un bilan environnemental et sociétal. La loi « Grenelle 2 » (2010) élargit cette obligation à l’ensemble des entreprises de plus de 500 salariés sans toutefois préciser les conditions de responsabilité juridique des dirigeants.

2

http://www.unglobalcompact.org